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Sur la tribune de NKM

Nathalie Kosciusko-Morizet : « Libérer l’université française de ses tabous » ?

« Les nuages s’accumulent sur l’université française. » C’est ainsi que Nathalie Kosciusko-Morizet entame son pamphlet, publié le jeudi 24 septembre dans le journal Le Monde. S’il est certain, en cette rentrée 2015, que la situation sur les universités est particulièrement préoccupante, laissant des centaines de jeunes à leurs portes, décalant les rentrées pour cause de manque de salles et enterrant les personnels administratifs sous des montagnes de dossiers, les réponses proposées par NKM sont, comme on aurait pu le présupposer, loin d’apporter les solutions. De fait, ces propositions s’ancrent entièrement dans les projets qu’ont le gouvernement et le patronat quant au système universitaire : des études méritocratiques et élitistes, subordonnées aux besoins des entreprises, et dirigées sans participation ou presque de la communauté universitaire. Aglaé Martin

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« Il faut pouvoir augmenter les frais de scolarité »

La première mesure proposée par la vice-présidente des Républicains pour pallier les manques de moyens des universités est l’augmentation des frais de scolarité. Réglementés aujourd’hui à 184€ en licence et 256€ en master, auxquels il faut ajouter 215€ de frais de sécurité sociale étudiante, obligatoires pour les étudiants âgés entre 20 et 28 ans, NKM estime qu’il faudrait les augmenter à 1 000€, ce qui rapporterait près de 800 millions d’euros par an. Une idée qu’elle reprend de l’Inspection générale des finances, « le bras et l’œil du ministère des Finances » comme ils se nomment eux-mêmes, dont le rapport sorti fin juin dernier émanait directement d’une demande du gouvernement. Alors que nous sommes déjà 50% à travailler pour financer nos études et subvenir à nos besoins selon le dernier rapport de l’Unef , bien plus si l’on prend en compte les jobs ponctuels, à taux horaires moindres ou non déclarés, peut-on vraiment penser que la solution aux problèmes budgétaires de l’université se trouve dans les poches des étudiants eux-mêmes ? Quelle hypocrisie, surtout quand on sait que les dotations publiques de l’enseignement supérieur et de la recherche sont largement insuffisantes et que 5 milliards d’euros sont consacrés aux « Crédits impôts Recherche », cadeau direct aux entreprises.

NKM compense cette augmentation en proposant de fixer des quotas d’étudiants boursiers, « 25% par exemple », c’est-à-dire… la part d’étudiants touchant déjà une bourse actuellement selon le rapport de l’Unef ! Le problème étant que les étudiants ne recevant pas d’aides financières de leurs parents représentent 1/3 des étudiants et non-pas ¼, et que le coût de la vie étudiante continue d’augmenter. En moyenne, c’est 1,1% d’augmentation cette année, et 8,4% depuis le début du quinquennat Hollande. Par ailleurs, la question ne devrait pas être de savoir si nos parents ont un revenu suffisamment élevé pour assumer nos études ou non, mais bien comment sortir les jeunes du cadre de dépendance matérielle et morale des parents, parfois malsain, jamais émancipateur, par une allocation d’autonomie pour tous.

« L’université doit être libre de choisir ses élèves. »

Autre revendication de l’ex-candidate à la Mairie de Paris : la sélection, comme réponse à l’échec massif des étudiants et au manque de débouchés. Car l’éducation « n’est pas un dû, c’est une chance donnée à chacun. » A chacun ? Ce que NKM semble ignorer, c’est que la sélection, bien qu’officiellement illégale, est déjà largement pratiquée. Complexification des démarches administratives, raccourcissement des délais, multiplication des justificatifs pour les étudiants étrangers, mise en place de capacités d’accueil, etc. La course à l’admission ne permettra qu’aux plus disponibles, aux plus francophones, aux plus favorisés socialement, de franchir la ligne d’arrivée.

En effet, depuis 2009 avec « SYMPA » (système de répartition des moyens à l’activité et à la performance), le financement des universités se fait non plus en fonction de leurs besoins, mais de leur activité et leur performance. C’est donc un fonctionnement concurrentiel qui est mis en place entre établissements, chacun devant répondre de son efficacité à diplômer pour obtenir des subventions publiques. Mieux vaut alors miser sur les mieux prédisposés à la réussite : étudiants francophones, dont les aides financières parentales leurs permettront de se concentrer sur leurs études.

Parallèlement, en 2013 la loi Fioraso continuait la longue suite de réformes universitaires en imposant l’autonomie budgétaire des universités, les obligeant à chercher elles-mêmes leurs financements, laissant en contrepartie une place de plus en plus importante aux entreprises et aux élus politiques dans l’université, ayant accès au programme des cours.

NKM peut être rassurée, la sélection est déjà belle et bien mise en marche, son objectif est de la généraliser. Face à l’échec, à la dévalorisation des diplômes ou encore au manque de débouchés, la solution ne peut être la sélection, qui exclue les plus défavorisés et les plus précaires. Car comment réussir lorsque l’on doit cumuler études et travail à défaut d’être financé autrement pour se former ? La mise en concurrence des facs permet à certaines de devenir « facs d’élite », laissant à d’autres le grade de « facs poubelles », illuminant ou entachant les diplômes avec. Enfin, les jeunes diplômés font bel et bien face à un chômage massif même si moindre que les non-diplômés. Mais peut-être NKM nous expliquera-t-elle les plans de licenciements réguliers ou les heures supplémentaires imposées mais non-payées aux salariés des grandes entreprises, comme c’est le cas actuellement à Air France, dont le PDG a été rémunéré à hauteur de 645 000€ en 2014, soit 72% d’augmentation comparé à l’année précédente.

« Il faut […] remettre le président de l’université en situation de diriger »

Puisqu’une bonne cuillère de démagogie ne fait jamais de mal, NKM surfe également sur les tensions qu’a suscitées la mise en place de la loi Fioraso au niveau des présidences des nouveaux regroupements universitaires. NKM, critique le fait que ces « hommes et […] femmes d’expérience » soient « [entourées] de cénacles », qui sont « des freins à la décisions ». En effet, on a pu voir l’année dernière à l’Université Paris 8 comment cette « femme d’expérience » qu’est Danielle Tartakowsky, intellectuelle de gauche réputée, spécialiste des mouvements sociaux, a pu mettre à profit tout son savoir-faire pour tenter de casser la grève des personnels , en lutte pour des augmentations de salaires. Le problème de la loi Fioraso n’est pas de casser l’autorité des présidents d’universités, mais au contraire de renforcer un fonctionnement ultra-centralisé, en créant un organe de direction du nouveau « pôle universitaire » encore plus éloigné de la communauté universitaire. Critique d’autant plus fausse que NKM repose juste après toute l’ambition d’une telle réforme, d’une université « ancrée dans [son] écosystème, notamment économique. »
Aux antipodes de la situation actuelle où les conseils d’administration sont constitués d’une écrasante majorité de sbires de la direction et de « personnalités extérieures » (dirigeants d’entreprise, élus, etc), l’université devrait être gérée par ceux et celles qui la font au quotidien : étudiants, enseignants et personnels. Nos enseignements, aujourd’hui toujours plus soumis à la loi du marché, avec des création de filières professionnelles pour mieux servir en main-d’œuvre les entreprises, ou servant à trouver des justifications économiques aux politiques gouvernementales, devraient être indépendants des besoins patronaux, et au service des besoins réels de l’écrasante majorité de la population. L’éducation ne devrait pas être une chance, mais bien un vecteur d’émancipation pour tous.


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