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Répression dans la presse aux ordres

Licenciée pour des raisons politiques, Aude Lancelin décrit de l’intérieur le monde des médias

On sait que Lénine disait le plus grand bien du Talon de Fer de Jack London. Ce roman initiatique décrivait à merveille la découverte de la brutalité implacable du capitalisme, système qui se rend invisible pour mieux tromper et exploiter. Il montre aussi comment les révolutionnaires ont beaucoup à gagner à infiltrer les rangs de leurs ennemis, à y placer des espions. « Connais ton ennemi ! », un conseil stratégique vieux comme le monde, que Lénine méditait et que le livre d’Aude Lancelin ranime. Léo Serge

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A lire le livre d’Aude Lancelin, journaliste pendant plus de 15 ans dans les journaux bourgeois du centre gauche échoué, on se demande ce que Lénine en aurait pensé. Beaucoup de bien probablement car, au fond, il s’agit bien de l’histoire d’une journaliste qui a passé 15 ans chez nos ennemis de classe. Et son livre est riche d’enseignements sur les méthodes de la bourgeoisie.

Les enseignements de cette infiltration

Dans la guerre idéologique, les médias sont des instruments clefs et la masse des journalistes est en première ligne. Aude Lancelin décrit donc avec une plume éloquente plusieurs phénomènes qu’il est bon de connaître. Car si on prend un peu au sérieux Gramsci et la plupart des penseurs révolutionnaires – Luxembourg et Lénine également – on conçoit que le combat idéologique quotidien est décisif. Le succès de Révolution Permanente n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le fait que nous prenons cette tache au sérieux.

Le recrutement et la soumission, les clés de l’unanimisme journalistique

Que dit Aude Lancelin après son expérience chez l’ennemi ?
D’abord que les journaux de la bourgeoisie portent une attention pointue et une importance capitale au recrutement. Qu’on ne peut y avoir une fonction hiérarchique sans avoir pour protecteur un propriétaire, un grand capitaliste (Cf. page 122, c’est éloquent). Par ailleurs, on conçoit mal que les directeurs de journaux fassent peu de censure et donnent peu d’ordres, si on ne comprend pas que la très grande majorité des journalistes est triée sur le volet selon un critère principal : son absolue obéissance, sa capacité à courber l’échine. De là à penser comme Nizan que la seule véritable forme de noblesse est dans la subversion...et bien oui nous franchissons ce pas. Et même nous disons qu’un journal au service du progrès social, de l’émancipation humaine est un journal qui ouvre ses portes. Révolution Permanente n’a pas vocation à être le journal d’un seul courant politique mais bien d’être le journal de ses lecteurs et de ceux qui veulent y écrire car ils pensent que notre côté de la barricade a besoin de cette expression variée, diverse, accessible.
Nizan, Orwell, Guevara, voilà les références et les citations qui ornent ce livre d’Aude Lancelin. On comprend qu’elle a pu faire tâche dans le milieu qu’elle décrit avec précision. Elle a tiré en tous cas des leçons précises de la lecture d’Orwell appliquées non plus au « totalitarisme » mais à la domination bourgeoise des médias.

Car la deuxième leçon c’est que l’on sous-estime toujours la bourgeoisie. On sous-estime ses capacités d’opportunisme et de retournement de veste, sa violence, son refus de la vérité, de l’intégrité, ses méthodes terroristes et toutes ses caractéristiques qui furent aussi celles du stalinisme… Aude Lancelin l’a vécu et peut parler en connaissance de cause : virée pour des raisons idéologiques et politiques (« gauchisme »), empêchée de retrouver un autre poste dans ce journalisme désormais entièrement tenu par le grand patronat… Son expérience, elle la résume ainsi : « la sécurité aliénée du journalisme, ou bien la liberté – souvent payée par un arrêt de mort social ». Ce n’est pas Daniel Mermet, Siné ou tous les autres journalistes virés pour des raisons politiques qui la démentiront… Mais voilà, force est de reconnaître que la « sécurité aliénée » se transforme, vague de licenciement après vague de licenciement, en une « précarité aliénée.

Des complicités douteuses mais répandues chez les rédac’ chefs

Avec les journalistes des puissances de l’argent, avec leurs rédacteurs en chef, avec les intellectuels vendus, avec cette clique qui fonctionne dans un réseau hiérarchisé intensément complice – malgré les apparents clivages politiques – il faut toujours s’attendre au pire. C’est l’esprit de meute que nous devons affronter. Aude Lancelin l’illustre bien avec des exemples évoquant Bernard Henri-Levy ou Alain Minc, dont les positions de tyrans sont explicitées. Un esprit de meute proprement national et international, à coup d’alliances matrimoniales, de programme franco-américain Young Leaders (*), de Dîner du Siècle, de séjour à Marrakech, et de répression interne.
Un autre aveu : pour beaucoup de journalistes avaler des couleuvres est facilité, non pas tant par le chômage et la précarité qui y règne – même s’ils jouent leur rôle – que par la peur de devoir faire un autre métier, un métier dur en contact avec la réalité – enseignant par exemple… L’entre soi et le confort encore… on est prêt à beaucoup pour les conserver.
On apprend ainsi que les grands chefs des journaux de centre-gauche fréquentaient souvent le château des Le Pen. Une complicité coupable assez répandue pour que Lancelin puisque l’évoquer concernant plusieurs rédacteurs en chef très connus, décrivant une véritable admiration pour les « bonnes questions » mais aussi les « bonnes réponses » du FN. Bref, on apprend que ce que l’on voit sous nos yeux, le racisme et la haine anti-immigré, a conquis les cœurs et les esprits d’une grande partie de la bourgeoisie à droite du PCF...

Derrière la persécution des idées à contre-courant, la peur que le système capitaliste soit renversé

De l’intérieur, on pouvait voir depuis longtemps la décrépitude, la dérive, du PS dont « l’Obsolète » c’est à dire l’Obs était le miroir. Surtout on pouvait voir l’ampleur de sa fusion dans les réseaux pro-patronaux et dans son idéologie. On apprend la fureur et la crainte que ces milieux ont de ceux qui rompent leur unanimisme et comment dans les années 1990, le Monde Diplomatique a lui seul pouvait être craint. L’obsession permanente de la bourgeoisie pour l’anathème et la persécution de toute pensée s’approchant du communisme est un rappel profond : eux savent qu’ils peuvent être vaincus. Ce message, partagé par le film Merci Patron !, sur les minorités agissantes doit être un rappel sur l’importance de l’engagement, même minoritaire, même isolé, même le plus souvent défait. Alors imaginons un instant ce qu’il peut advenir quand le vent souffle dans nos voiles…
C’est peut-être ça d’ailleurs que malgré elle Aude Lancelin avance. Elle qui a eu un père Vendéen contre-révolutionnaire, elle fascinée par Nietzsche et initiée à Carl Schmidt – penseur nazi à prétentions philosophiques – par Pierre Manent, le disciple de Raymond Aron, dans sa maison d’Auteuil, elle formée au lycée Henri IV, elle qui avoue avoir été suspectée en raison en raison de ses amitiés d’être trop à droite… Au fond, aujourd’hui, oui, il y a bien des gens qui renient la bourgeoisie pour l’avoir trop fréquentée, pour en être. Autre force de la dialectique…
Un autre point encore, l’assurance de la victoire contre le marxisme, a permis une décrépitude intellectuelle violente au sein de la bourgeoisie. Les imbéciles y ont d’autant plus cru que, comme disait Che Guevara : « ce n’est pas de ma faute si le réel est marxiste ». Car la bourgeoisie doit croire à ses propres mensonges jusqu’à un certain point, c’est aussi ce que décrit Lancelin, jusqu’à nier la réalité… une nouvelle fragilité, une nouvelle brèche.

Elle termine en rappelant que, de ce genre d’expérience, on ne sort pas nécessairement brisé, mais bien parfois transformé et prêt à vouloir transformer le monde sans résignation.

Il manque peut-être à ce livre une tentative d’explication des bouleversements qui y sont décrits. Mais ce qui sous-tend le texte c’est qu’une presse non-indépendante des gouvernants et des puissances de l’argent est nécessairement destinée à devenir ce qu’elle est : à leur service. Une autre règle d’airain du capitalisme qui le rend incompatible avec la démocratie.
(*) Young leaders : association fondée en 1976 ayant pour finalité le rapprochement franco-américain sous toutes ses formes.


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