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Extrême-droite

Lier bataille pour nos retraites et lutte pour nos salaires est (aussi) un enjeu pour combattre le RN

Le Rassemblement national a lancé ce samedi la campagne « Où passe notre argent ? ». En pleine séquence des retraites, le parti d’extrême droite espère faire de la question du « pouvoir d’achat » l’occasion de repartir à l’offensive pour canaliser, sur un terrain réactionnaire, la colère que le mouvement de masse contre la réforme des retraites exprime.

Nathan Deas

6 mars 2023

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Lier bataille pour nos retraites et lutte pour nos salaires est (aussi) un enjeu pour combattre le RN

Crédit photo : AFP

En déplacement dans la Sarthe, c’est au pied du très chic Country Club du Mans, un hôtel quatre étoiles, que Jordan Bardella a lancé ce samedi 25 février la nouvelle campagne politique du RN sur le « pouvoir d’achat ». Un symbole riche de sens. Dans une séquence qui, mobilisation de masse oblige, ne lui est à priori pas favorable, l’opération vise à surfer sur l’inflation et la colère face à la vie chère, afin de canaliser sur un terrain réactionnaire la colère que le mouvement contre la réforme des retraites exprime ;

Le RN en campagne sur l’inflation … sans parler des salaires

Au Mans, Jordan Bardella n’annonce pourtant rien de bien nouveau. Les mesures du rassemblement national pour le « pouvoir d’achat » sont connues. Quelques promesses « sociales » en trompe l’œil. L’eurodéputé énumère : « Baisse de la TVA de 20 à 5,5 sur l’énergie et les carburants », « suppression de la TVA sur 100 produits de première nécessité. Et pas grand-chose d’autre. Sinon le retour des fondamentaux nauséabonds, racistes et sécuritaires habituels. « Il faut en finir avec une France championne d’Europe des impôts et des taxes », « l’effondrement de la justice et de la sécurité » et une « tiers-mondialisation des services publics » sous le « poids de l’immigration » dénonce Jordan Bardella.

Derrière le vernis social le RN se contente en réalité de « fausses promesses », puisque rien ne dit que ces mesures ne viendront pas remplir encore plus les poches du grand patronat et de ses profits records plutôt que bénéficier aux classes populaires. Elles viennent en outre masquer d’autres propositions qui, cette fois à coup sûr, viendront renforcer le « pouvoir d’achat » des classes plus aisées. Réduction des taxes sur les donations, baisse de l’impôt sur les successions, exonération d’impôts sur le revenu pour les moins de 30 ans, faux rétablissement de l’ISF, etc : autant de mesures qui visent à s’appuyer sur un sentiment « anti-taxe » pour emmener la colère sur un terrain réactionnaire.

En d’autres termes, dans une séquence politique marquée par le retour du mouvement ouvrier, le RN cherche à réactiver le en « en même temps » qui marque son orientation depuis plusieurs années : dureté sur les questions sécuritaires et d’immigration mâtinée d’un vernis prétendument social, mais aussi et surtout tentative de canaliser sur un terrain réactionnaire et « anti-taxe » la colère contre un « ennemi intérieur » plutôt que contre le grand patronat et les bourgeois. Pas question de parler des salaires donc. Pas vraiment une surprise. Ces dernières années le parti d’extrême-droite s’est systématiquement opposé à leur augmentation, jusqu’à refuser la hausse du SMIC ces derniers mois à l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est des profits, le RN entend bien incarner un discours pour dialoguer avec le sentiment « anti-riche », mais dans la limite du raisonnable. Face aux profits mirobolants de plusieurs secteurs des grandes entreprises multinationales et la spoliation des travailleurs, Marine Le Pen appelle à taxer un peu plus les superprofits, surtout pas trop, et bien entendu de manière temporaire. Une tentative de se repositionner dans la séquence alors que, ces derniers mois, elle s’est à de nombreuses reprises exprimée en soutien au grand patronat et au remboursement de la sacro-sainte dette. Un soutien qui s’illustre à nouveau dans sa proposition de remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune financière. Avec ce dernier, le RN veut par exemple exonérer le patrimoine immobilier « historique » jusqu’à 300.000 euros.

En résumé, derrière l’écran de fumée d’une campagne sur le « pouvoir d’achat », le RN cherche une fois de plus à faire payer la crise aux travailleurs et aux classes populaires. Entre deux caresses dans le sens du poil, quelques triturations là où ça ne fait pas mal et quelques mesures palliatives, le parti d’extrême-droite se garde bien de s’attaquer au fond du problème. D’un côté préserver les profits des patrons donc, de l’autre quelques gesticulations face à la crainte que la colère sur les retraites (et ce qu’elle exprime au-delà) ne lui échappe. En début de semaine dernière au palais Bourbon, Marine le Pen faisait la synthèse de ce programme : « n’écoutez pas ceux qui pensent qu’en menant la guerre des riches contre les pauvres, la vie sera meilleure ». Une affirmation qui a le mérite de la clarté.

Le RN cherche à canaliser sur un terrain réactionnaire la colère et le mouvement en cours

Dans la continuité de son opposition factice à l’Assemblée nationale sur les retraites où Marine le Pen et ses « collègues » députés ont avant tout cherché à apparaitre comme une opposition institutionnelle « respectable », le RN entend donc continuer à adresser des gages au respect des règles néolibérales et à ceux qui les édictent, mais aussi dans le même mouvement repartir à l’offensive pour canaliser sur un terrain réactionnaire la colère du mouvement contre les retraites.

[Lire : Retraites : l’opposition « respectable », raciste et impuissante du RN n’est pas une alliée

Pour l’heure, Marine le Pen, confiante dans son costume de première opposante à Emmanuel Macron dans l’opinion publique (et confortée en ce sens par un récent sondage Ifop effectué pour le JDD qui fait d’elle la première personnalité politique à « incarner » l’opposition sur les retraites), se voit comme le réceptacle naturel du mouvement. Cela n’est cependant pas sans contradiction. Pris en tenaille entre d’un côté son institutionnalisation et de l’autre la colère « anti-système » de sa base, mobilisée dans le mouvement en cours notamment dans les villes moyennes, le RN ne peut pas se risquer à la passivité et compte bien sortir renforcé de la séquence pour l’emporter en 2027.

Dans ce contexte, le lancement d’une campagne sur le « pouvoir d’achat » revêt ainsi un double objectif. D’abord se repositionner face au maintien d’un mouvement de grève dans la durée, ce qui laisse peu de marge de manœuvre au RN pour faire de la politique à l’Assemblée Nationale. Ensuite, occuper un espace laissé vacant par l’intersyndicale qui se refuse toujours à lier la lutte pour nos retraites à celle pour les salaires, qui continue pourtant de traverser nombre d’entreprises, et alors que l’ensemble du monde du travail souffre de l’inflation. En d’autres termes, si le RN continue de miser sur la défaite du mouvement (et sur les retombées de cette défaite), désormais il cherche dans le même mouvement à réactiver sa jambe prétendument « sociale » sur fond de retour aigu de l’inflation.

Alors que, comme nous l’avons déjà signalé, la « profondeur » du mouvement en cours est d’abord celle des « motifs de la mobilisation », l’intersyndicale joue un jeu dangereux. En refusant de prendre en charge et d’offrir des débouchées à la colère (légitime) sur la vie chère et le coût de la vie, elle ouvre une brèche à leur « récupération ». Ainsi, la division entretenue par l’intersyndicale entre nos salaires et nos retraites pose un véritable problème de fond.

Face à l’extrême droite et au gouvernement : lier la lutte pour nos retraites à celles pour nos salaires

Face aux démagogues d’extrême droite qui cherchent à mettre des œillères réactionnaires sur la colère de la rue et sur les causes de l’inflation, les enjeux sont loin de se cantonner à la réforme des retraites. D’un point de vue stratégique, le refus de l’intersyndicale de tisser des liens entre ces « enjeux » prive le mouvement en cours de l’entrée dans la bataille de secteurs entiers de notre classe. Il s’agit pourtant d’une des clefs de la victoire. La politique de l’intersyndicale aboutit en effet à ce que certains salariés limitent leurs jours de grève contre la réforme des retraites pour s’économiser en vue des grèves pour les salaires.

Plus largement, la question de savoir si le mouvement en cours sera victorieux ou non dépasse très largement la simple question des retraites. Une victoire de notre classe, après des décennies de défaite (sous la direction des mêmes bureaucraties syndicales), marquerait un sérieux coup d’arrêt à l’application des politiques libérales et de destructions des conditions de vie qui font le lit de la progression de l’extrême-droite depuis des années. Une telle victoire pourrait également être de nature à redonner confiance à des millions de travailleurs en leur propre force. En d’autres termes, il y a dans le mouvement actuel, l’occasion de faire reculer l’extrême-droite.

Cela d’autant plus, que comme le notait Juan Chingo dans un récent article publié dans nos colonnes la profondeur et la massivité de la colère contre la réforme des retraites font déjà se mobiliser, avec et par les méthodes de la classe ouvrière, une frange populaire de l’électorat du RN :

« Ce qui se joue en France est décisif. La profondeur du processus montre son potentiel. Le poids de la mobilisation dans les villes intermédiaires ou petites témoigne d’une puissante manifestation de la classe ouvrière et des secteurs populaires. Bien que cela ne soit pas sans précédent (cela s’est déjà produit en 1995, 2010 et partiellement en 2016), le fait que celle-ci prenne place dans la France politique de ces dernières années, où le Rassemblement national de Le Pen s’est enraciné dans une partie de l’électorat ouvrier et populaire, est une bonne nouvelle : des millions de prolétaires se mobilisent derrière les confédérations syndicales, qui malgré leur institutionnalisation et leur direction bureaucratique restent des organisations de la classe ouvrière ».

A l’inverse, une défaite combinée à l’inflation galopante et à sa non prise en compte par les directions du mouvement ouvrier pourrait servir de terreau au développement de l’extrême-droite. Le choix stratégique du RN de faire de l’inflation le sujet de sa nouvelle campagne politique n’est pas anodin, il est d’abord le produit de l’espace laissé ouvert par l’absence d’un programme offensif sur les salaires au sein du mouvement en cours. Contre Macron, l’extrême-droite et leur monde, pour nos retraites et nos salaires, il y a plus que jamais urgence à imposer un autre plan de bataille alliant élargissement des revendications, auto-organisation à la base, et grève reconductible.


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