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Danish Girl

Lili, portrait vivant.

Olivia Zinsou Inspiré d’une histoire vraie, tout comme l’était le film historique Le discours d’un roi ayant permis au réalisateur Tom Hooper d’acquérir une renommée internationale en 2011, son dernier film The Danish Girl qui n’en demeure pas moins brillant, relève d’un tout autre registre. Adaptation libre du roman éponyme de David Ebershoff, il s’agit ici de l’histoire romancée de Lili Elbe, la première femme trans ayant subi une « génitoplastie féminisante ». {}

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Nous sommes dans la période de l’entre deux guerres, en 1926 à Copenhague, où nous suivons la vie du couple d’artistes peintres reconnus que forme Gerda Wegener (Alicia Vikander) et Einar Wegener (Eddy Redmaye), incarnation du couple idéal tant ils sont en osmose parfaite aussi bien dans leur intimité au sein de leur appartement au parquet grinçant, que dans les soirées mondaines. En quête d’inspiration, Gerda prendra un beau matin son mari comme modèle en le faisant revêtir d’abord un bas, des chaussures de femmes, et ne lui laissera pas la possibilité de s’opposer à la superposition d’une robe sur son corps. Le temps s’arrête. Einar tremble de toute part frôlant du bout des doigts les étoffes de la couture qu’il serre contre lui. Persiste comme unique son sa respiration accélérée. A cet instant précis se fonde l’intrigue du film opérant le point de départ du long processus de transition qui ne cessera de croître tout au long du film.

We ’re gonna call you Lili’

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Le personnage d’Einar dans sa lente métamorphose en Lili ne cessera d’appuyer son regard d’un trait de crayon ou de peindre ses lèvres d’un rouge profond, au risque de se sentir porter un déguisement, d’avoir à jouer un rôle. Démarche qui n’est pas sans poser problème et donner lieux à de multiples interrogations. Tout d’abord, auprès de sa propre personne. En effet, même si cet état transitoire ne durera qu’un temps, on sent le personnage principal profondément troublé par cette « dualité » qui se joue en lui – ou du moins que le personnage semble ressentir au début du film. Notamment lors de sa rencontre avec Stendhal (Ben Whishauw) qui, même s’il le confortera dans cette acceptation en étant la première personne à le voir, le désirer, le comprendre en tant que Lili, lui fera remettre en cause la question de sa sexualité. Interrogations de sa femme aussi, qui apparaît comme étant aussi désorientée que Lili, si ce n’est plus, bien qu’en apparence tout lui réussisse. Qu’Einar puisse « jouer à la fille », soit. Elle sera même comme un miroir sur lequel son époux pourra se calquer afin de peaufiner sa gestuelle et d’adopter une démarche et des mimiques se référant exclusivement au féminin. Mais réaliser qu’il ne s’agit pas que d’un « jeu stupide » (“stupid game”), pour reprendre ses termes, est pour elle insoutenable. Elle vivra d’abord cette situation comme une honte et une offense qu’elle niera à haute voix : « but Lili doesn’t exist ». Puis, à son tour, elle connaîtra un processus de transformation, uniquement psychologique, et finira par accepter, et même comprendre, que Lili ne se sente plus à l’aise avec son corps. Au delà de la transidentité, le film est aussi le récit d’une histoire d’amour. Un amour impossible et changeant, qui reste indestructible malgré une sexualité éteinte.

On relèvera notamment cette phrase :

« Peut importe ce que je porte pour dormir, lorsque je rêve, je vis les rêves de Lilly. »

Destroy the bad and save the good’

Si le personnage de Lili rencontre des problèmes, c’est également vis-à-vis du monde extérieur. De par l’incompréhension qu’elle provoque et du dégoût qu’elle inspire, elle sera l’objet d’insultes, de menaces et de violences physiques.

« Détruire le mal pour sauver le bien{} », voilà les miracles que sont censés opérer les radiothérapies pour soigner les « personnes malsaines » (“insane”). Car si Lili pose problème, c’est aussi nécessairement auprès des instances médicales sachant qu’à cette époque, les deux réalités que sont l’homosexualité et la transidentité sont encore officiellement considérées comme des pathologies, en plus d’être largement dénoncées par les mœurs et l’éthique de l’époque. Ainsi, Lili se voit attribuer de nombreux qualificatifs tous plus dégradants les uns que les autres, bien loin de la réalité qu’elle vit. Et nombreux sont les médecins, psychologues, psychiatres voulant l’interner, lui diagnostiquant schizophrénie ou « homosexualité ».

« Where does she come from ? / Inside me. »

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Malgré tous les obstacles que Lili a dû affronter, on comprend bien qu’elle est habitée par sa détermination de tuer Einer, dans lequel elle ne se reconnaît plus, pour ne faire vivre que la femme qu’elle est.

Bien que près d’un siècle sépare le contexte historique du film de notre époque, les questions qu’il fait émerger restent cruellement d’actualité. Le regard de la société a-t-il évolué ? Sachant que par ailleurs la transidentité était encore répertoriée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux en 2012. Les personnes trans sont toujours marginalisées, discriminées, et bien souvent victimes de violence. La bataille pour pouvoir choisi son prénom, son pronom, pour pouvoir aimer qui on aime et être qui l’on est est une bataille encore en cours.

Le thème de la transidentité avait déjà été abordé au cours de ces dernières années de façon très sensible, à travers le personnage de Laurence Anyways (Melvil Poupaud), le troisième long-métrage de Xavier Dolan, ou encore de David dans le dernier film d’Ozon, Une nouvelle amie. Ces trois films ont au moins le mérite de faire sauter les verrous de manière très poétique sur les tabous liés à l’identité de genre.


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