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En avant-première ce vendredi à Saint-Denis

« Liquidation », le documentaire sur la lutte des Goodyear. Interview avec son réalisateur Mourad Laffitte

Réalisé à partir de centaines d’heures d’entretiens et d’images, le film-documentaire « Liquidation » est le résultat d’une longue et minutieuse enquête, menée au long des neuf ans de lutte des travailleurs de Goodyear Amiens Nord. Il dévoile notamment la scène de cette fameuse « séquestration » qui a donné lieu à la condamnation à 9 mois de prison ferme de 8 syndicalistes de Goodyear.

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Mourad Laffitte n’en est pas à son coup d’essai, dans la réalisation de ce qu’il appelle des « films-tracts ». En 2009, il signait « Goodyear Amiens. Chronique d’une délocalisation programmée », avant de révéler au grand jour le scandale sanitaire que représentait l’empoisonnement des salariés de Goodyear, avec son documentaire « La mort en bout de chaîne », sorti en 2012. « Liquidation » sera projeté en avant-première vendredi 18 mars à l’occasion d’une soirée de soutien aux Goodyear et aux Air France, à partir de 18 heures à la bourse du travail de Saint-Denis. En attendant de découvrir le film à l’écran, nous avons interviewé son réalisateur Mourad Laffitte.

Bande-annonce :

Propos recueillis par Flora Carpentier

Peux-tu nous présenter « Liquidation », ton nouveau documentaire sur la lutte des Goodyear ?

« Liquidation », c’est la synthèse de mes deux précédents documentaires, suite à la grande répression qu’a connu le monde syndical. L’usine a fermé, et à partir de là j’ai décidé de faire un nouveau documentaire, pour traiter du volet économique. Pour moi, il ne devrait pas y avoir de licenciement, justifié ou non. Un licenciement ne se justifie pas. La fermeture d’une usine de 1300 gars, ça concerne entre 3000 et 5000 emplois indirects. C’est un cataclysme, une catastrophe, donc qu’est-ce qui peut le justifier ?

Quand on aborde la question du volet économique, on tombe sur quelque chose de complètement ubuesque. C’est qu’il y a une direction française, une direction européenne, une direction mondiale aux Etats-Unis, et qu’en fin de compte ils n’ont jamais été dans le rouge. Ils ferment des usines, ils gagnent du fric, tout simplement parce qu’ils délocalisent en permanence vers des pays à bas coût.

Mais ils délocalisent aussi pour d’autres raisons, parce qu’ils utilisaient des produits chimiques qui empoisonnaient les ouvriers. Il y a eu une directive de 2001 qui a été mise en place pour l’utilisation de ces produits, parce qu’il y a des produits de substitution mais qui coûtent plus cher. Je ne vais pas parler de logique économique parce qu’on est dans un système capitaliste, un système qui n’est là que pour faire du profit. Donc il n’y a pas de logique, on cherche à faire du profit et point barre.

Tu évoques aussi l’après-fermeture, ce que ça signifie pour les salariés ?

Oui, on voit la situation des salariés aujourd’hui, à travers les cellules de reclassement. On parle des suicides, des divorces, des maisons perdues… et puis on voit combien gagne le cabinet de reclassement, les liens qu’ils ont avec ceux qui les paient, et puis les magouilles. Parce que les cellules de reclassement, ce sont souvent elles qui vont faire les audits pour faire fermer les boîtes, c’est très intéressant.

Ton film parle aussi de la lutte des salariés de Continental…

Oui, c’est un parallèle qui a été fait par peu de monde. Pourtant, Continental c’est une usine située à 80 km de l’usine de Goodyear Amiens Nord. Amiens Nord c’est 1230 ouvriers, Continental c’est à peu près 1300. Ils fabriquent le même produit, du pneu. La taille de l’usine, à quelques centaines de mètres carrés près, c’est la même. Et moi je fais le parallèle sur les méthodes. Goodyear on leur demande de passer en 4x8, travailler plus pour gagner moins en quelques sortes. Continental on leur demande d’abandonner les 35 heures pour passer aux 40 heures, et c’est pareil : on met des plans sociaux en place, qui sont invalidés. Les deux multinationales font des profits colossaux. C’est ça qui est impressionnant. Donc j’ai voulu dénoncer ce système, montrer que Goodyear n’est pas une exception. Et le paradoxe c’est que les plans sociaux sont invalidés une fois que l’usine est fermée.

Après neuf ans d’enquête, qu’est-ce qui ressort finalement de cette longue lutte ?

J’ai du faire entre 60 et 80 déplacements au total, ce qui est énorme en termes de manifestations diverses. Il y a eu deux moments très intéressants parmi ces grosses manifestations convergentes, c’était le salon de l’auto, où on retrouvait tous les équipementiers de l’industrie automobile : PSA, Faurecia, Michelin… ; et le rassemblement de la bourse, fin 2009. Là, je rencontre une première fois Arnaud Montebourg, futur ministre du « redressement productif ». On réalise une interview filmée qu’on voit dans le film, où il évoque deux volets intéressants. Il dit d’abord qu’il faut arrêter la criminalisation de l’action syndicale. Il m’explique qu’il faut repenser les luttes sociales à gauche, que les ouvriers ne sont pas responsables de ce qu’il leur arrive, que c’est à la gauche de se réinventer. Et je mets en parallèle le témoignage d’ouvriers qui regardent ce rush, et le discours de Valls au MEDEF. On a très bien vu que quand le PS est arrivé au pouvoir, il n’a pas levé le petit doigt pour demander l’abandon des poursuites, alors que ça dépend du parquet. Du fait que la partie civile sur le procès des Goodyear s’est retirée, en l’occurrence la multinationale, le DRH et le directeur de l’usine, le parquet n’a pas lieu de poursuivre, en théorie. Montebourg tenait un discours en 2009 puis il a fait tout le contraire. La visite de Hollande aussi est très intéressante. Il va voir les ouvriers et leur explique : « Moi ne suis pas comme quelqu’un que vous connaissez, moi je ne viens pas ici vous faire des promesses que je ne serai pas capable de tenir ».

Il fallait mettre tout ça bout à bout et construire chronologiquement, de manière honnête, en donnant la parole à ceux à qui on la donne très peu, les ouvriers.

A ce propos, que dire du traitement médiatique de cette affaire ?

Il y aurait un film à faire sur le traitement médiatique d’un conflit social. Aujourd’hui, tout le monde a une tablette, un smartphone ou un ordinateur. Donc pour chercher une info il suffit d’aller sur Google, Yahoo… Le journaliste de l’AFP, il vient, on lui demande simplement de couvrir un procès, d’en faire un compte-rendu sur 30 lignes, c’est ce qu’on appelle une dépêche. Il a à peine le temps de noter la phrase d’un syndicaliste, d’un avocat, et une fois qu’il a fait ça, il publie sa dépêche, qui est reprise partout. Donc il suffit que quelqu’un écrive un truc et ça va être repris 20 ou 30 fois, mais les journaux n’envoient même pas de correspondant. Ils retravaillent juste la dépêche AFP en ajoutant une petite phrase à partir d’un coup de fil, mais il n’y a pas une enquête qui est faite sérieusement.

Pour toi, la condamnation des Goodyear était prévisible ?

C’est clair, quand on lit les PV d’audition [suite à la séquestration], les 2 directeurs disent que s’il n’y avait pas eu la CGT, ils se faisaient tuer. Mickaël s’est fait piéger sur ce truc-là. Quand il apprend qu’il y a un plan social, il demande un rendez-vous avec le directeur, qui lui dit : « l’usine est fermée pendant 4 jours, on se voit le lundi matin ». Le lundi, Mickaël a rendez-vous à 10 heures, il arrive à 9h30 devant le bureau du directeur, et la secrétaire lui dit que le directeur n’est pas là, qu’il est avec les ouvriers. Donc le mec a convoqué tous les ouvriers avec les DRH sans passer par les syndicalistes, et c’est là que les mecs ont pété un boulon. Les chaises ont volé, la scène est dans le film. Moi je n’appelle pas ça une séquestration, parce que ce sont les patrons qui ont demandé à les rencontrer, et qui au bout d’un moment se sont retrouvés retenus. J’étais là et Mickaël disait « ne tombez pas dans le piège, les mecs n’attendent qu’une chose, c’est la violence ».

A ton avis, c’est une condamnation pour l’exemple ?

Oui, il y avait déjà eu les mineurs de 48, les ouvriers de chez Renault, Chausson… Xavier Mathieu et son prélèvement ADN, quand on voit les bureaux de la sous-préfecture, c’est disproportionné. Quand les Goodyear ont gardé 30 heures le directeur et le DRH, il n’y a pas eu de violence, et il apparaît clairement sur les procès-verbaux que la CGT a joué un rôle de médiateur. Ils n’ont pas été attachés, ils n’ont pas été torturés, ils avaient leurs deux téléphones portables, à boire et à manger, ils n’ont pas été humiliés, et c’est la CGT qui les a relâchés, il n’y a pas eu l’intervention de la police. Quand on voit combien a coûté la destruction des portiques pour l’écotaxe, ce que fait la FNSEA, et que des fois il n’y a même pas de poursuites… Je suis contre toute forme de répression, mais si on devait quantifier, on voit clairement qu’il y a deux poids, deux mesures. Xavier Mathieu, c’est un bureau qu’il a renversé avec un ordinateur. Et quand l’on suit son procès, ils sont incapables d’évaluer les dégâts. Donc condamner un mec à de la prison avec sursis, avec prélèvements ADN pour ça, ça amène à se pose des questions…

Avec la condamnation des Goodyear, il y a la volonté de briser toute velléité, tous ceux qui relèvent la tête, éviter toute forme de contestation. Avant il y a eu les Air France, dont on parle un peu dans le film. Tout ça c’est lié, parce que c’est pareil, tout ça pour deux chemises…


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