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L’introduction au débat organisé par Révolution Permanente à Nuit Debout

« Loi El Khomri, 49-3 et démocratie Made in MEDEF ».

Nous publions ici le topo d’introduction de Pierre Reip au débat organisé par Révolution Permanente à Nuit Debout vendredi 13 mai. L’échange qui a suivi a permis de questionner la démocratie dans laquelle nous sommes sensés vivre et d’ouvrir une discussion sur les perspectives du mouvement après la journée de mobilisation du 12 mai qui a coïncidé avec l’échec attendu de la motion de censure de la droite à l’Assemblée nationale.

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Retour sur la Loi El Khomri : une attaque politique

On va commencer par la loi El Khomri, parce que si, de loin, ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous sommes ici, c’est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Mais n’est-ce qu’une étincelle cette loi, qu’un simple aiguillon pour la mobilisation ?

On lit ça et là dans la presse internationale, que Hollande et Valls ont joué gros avec le 49-3, qui les grille politiquement (ainsi que le PS) en vue de 2017, pour une réforme, finalement marginale, qui en plus ne créera pas d’emploi.
Le second point est certain. Rien dans la loi ne favorisera la création d’emplois, bien au contraire, en limitant la majoration des heures supplémentaires à 10% contre 25 et 50% à partir de 43h semaine, les salariés devront travailler plus, et cela dissuadera les patrons à embaucher.
La loi va bien au contraire ouvrir grandes les vannes aux licenciements.
Sur ce point, Valls a fait une fausse concession qui offre une porte de sortie individuelle si on refuse l’augmentation des heures de travail - sans augmentation de salaire, c’est d’accepter individuellement le licenciement économique.

Le fait que la « flexibilisation du marché du travail » créerait automatiquement des emplois est un leurre grossier. Même Jean Tirole, prix Nobel d’économie et chef de la Business-school de Toulouse, dit que la loi travail de favorisera en rien la création d’emploi, même si bien évidemment les conclusions qu’il en tire sont à l’opposée des nôtres.

Mais le cœur de l’attaque, et ce qui lui donne son caractère politique, est représenté par l’article 2, que les frondeurs ont essayer d’atténuer…ce que Valls a refusé catégoriquement. Ce fameux article, c’est celui de l’inversion de la hiérarchie des normes. Un des acquis central des luttes sociales au XXe siècle, c’est la primauté des accords de branche sur les accords d’entreprises.
Gérard Filoche n’a pas tort quand il dit que cette loi est contre-révolutionnaire. Elle revient à balayer tous les acquis du mouvement ouvrier, jusqu’à ceux de Mai 68 en travestissant « la démocratie en entreprise » pour en faire un argument de vote du projet de loi. Les accords de Grenelle avaient été justifié à l’époque par les directions syndicales, en disant qu’ils permettaient, outre les augmentations de salaire, de faire « entrer la démocratie dans les entreprises ». Pour la première fois, effectivement, les salariés pouvaient se réunir dans l’usine, les syndiqués avoir un local.
L’article 2 permettra aux syndicats jaunes, dans la mesure où ils représentent 30% de la masse salariale, cadres y compris, de mettre en place un référendum d’entreprise ouvrant la voie à un plan de compétitivité, sur le modèle de ce qui s’est fait déjà, par exemple au BHV avec le travail le dimanche. En bref, travailler plus pour gagner moins.

La direction de la CFDT se trompe en défendant cette inversion de l’hiérarchie des normes. Elle espère se positionner comme syndicat « constructif », c’est à dire co-gestionnaire sur le modèle des syndicats allemands, qui sont encore des syndicats de masse comme IG Metall et Verdi. Mais ce que l’on mentionne rarement, c’est que ce qui fait la « force », toute relative, des syndicats allemands, en plus du nombre d’adhérents, c’est justement la primauté des accords de branche.

Aussi, la loi El Khomri est une attaque politique, en ce qu’avec cet article 2 elle restaure la dictature patronale dans les entreprises. C’est aussi ça la « démocratie Made in Medef » que nous promet Myriam El Khomri.
On sait bien que les référendums en entreprise sont l’enjeu de pressions de la part des directions et ils ne permettent en rien, de par leur formulation même, aux salariés de s’exprimer. Ils sont contraints de choisir, le couteau sous la gorge entre perdre leur emploi ou travailler plus.

De ce point de vue le marxisme n’est pas un économisme, seule sa caricature l’est. Le sens de la démonstration du Capital c’est de montrer que ce qui se joue dans une entreprise, c’est un rapport politique, le rapport d’exploitation, déguisé en échange marchand, en un deal négocié, librement entre l’employeur et le salarié.

Le 49-3 et le bonapartisme de la Cinquième république

Qu’est-ce qui se cache derrière le sigle 49-3 ? On parle de l’alinéa 3 de l’article 49 de la constitution de la République française, promulguée en 1958.
L’article 49 fait partie du titre V de la constitution, qui régit les rapports du gouvernement avec le parlement.
Il est présent dès les origines de la Cinquième République, qui instaure un régime présidentiel, définit par l’article 20, qui dispose que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Sympa.
La petite musique qu’on nous ressort souvent, c’est que la Cinquième République était une réponse face à « l’immobilisme » et à la paralysie de la IVe République et son régime parlementaire. Que nenni !

La Cinquième République se met en place dans le contexte très tendu de la Guerre d’Algérie. De Gaulle s’était alors posé comme homme providentiel, en promettant de « restaurer le pouvoir de l’exécutif » tout en laissant entendre aux partisans de l’Algérie française qu’il les soutiendrait.

Aussi, la Ve République a –t- elle un caractère profondément bonapartiste. Le bonapartisme, terme employé par Marx, désigne un pouvoir personnel qui se place « au dessus de la nation », dans un moment où l’antagonisme entre les classes sociales s’accentue. Le fait que le Bonaparte, le président, le De Gaulle, se place « au dessus » ne signifie pas qu’il mène une politique de compromis entre les intérêts des différentes classes, car dans les faits, sa politique ne sert in fine que les intérêts du patronat. Dans ce cas précis, le recours au 49-3 est aussi lié à la conjonction de deux éléments : l’affaiblissement de l’exécutif et la remontée de la contestation sociale.

Le recours au 49-3 pour la loi El Khomri apparaît comme particulièrement scandaleux, parce qu’il intervient avant même que les débats parlementaires n’aient eu lieu, vidant en quelque sorte le parlement de sa fonction, alors qu’il est « sensé, représenter la nation », dans sa pluralité, être une expression légitime des différentes composantes sociales du pays.
C’est pourquoi le recours au 49-3 apparaît comme très anti-démocratique. Et il l’est ! Mais précisons un peu ce point sur la démocratie et la question de la représentation.
J’ai dit « sensé » représenter la nation pour le parlement, parce qu’il suffit de jeter un coup d’œil à l’Assemblée pour voir qu’il s’agit plutôt d’hommes de plus de 50 ans de la CSP (catégorie socio-professionnelle) professions libérale et pas vraiment des CSP ouvriers et employés.
En fait, le parlement ne nous représente pas vraiment. Les parlementaires se représentent plutôt eux même avec leurs intérêts catégoriels et leurs combines politiques minables.
On voit bien d’ailleurs que les frondeurs ne sont pas allés jusqu’à mettre en cause leur train-train quotidien, en votant la motion de censure de la droite.

Le parlement n’a d’ailleurs en rien été un « rempart citoyen ». A la belle époque de l’union nationale, c’était il y a pas si longtemps, quand la chambre votait comme un seul homme, dans l’ordre, pour la loi renseignement, puis l’état d’urgence, les frappes en Syrie, et les prolongations de l’état d’urgence jusqu’au Tour de France.
Les frondeurs qui ont voté toutes ces mesures ont beau jeu de se présenter comme les hérauts de la démocratie.

Comme Jacques Rancière le montre, la démocratie dite représentative est plus une expropriation du pouvoir populaire qu’autre chose. Il lui oppose par exemple la démocratie avec tirage au sort.

Toujours est-il que le recours au 49-3 apparaît comme particulièrement scandaleux.
On peut parler dans ce cas aussi de démocratie Made in Medef, parce que le bonapartisme, sert in fine uniquement les fins du patronat. On voit bien qu’il ne sert pas vraiment l’intérêt du PS, qui se déchire dessus.

La Démocratie Made in MEDEF, c’est donc deux choses :

  •  la dictature patronale dans les entreprises avec l’inversion de la hiérarchie des normes et les référendums par entreprises
  •  la dictature de l’exécutif qui, avec le 49-3 peut faire passer n’importe quel texte, même si 70% de la population est contre

    Passons à présent aux perspectives :

    Comment répondre à la démocratie Made in Medef ?

    Par la démocratie, pardi, mais une autre, une vraie démocratie, qui n’est pas non plus de chercher un nouveau Podemos ou une nouvelle représentation des opprimés et des exploités pour les prochaines élections.
    Je parle de la démocratie dans les luttes et les grèves, c’est à dire les AG dans les boites, les facs, les lycées, les AG interpro, la coordination entre elles.
    Une démocratie qui effectivement débat, car on en a besoin pour ébaucher un plan d’action mais pas seulement.
    Le mouvement et loin d’être fini, comme nous le disions dans l’un de nos éditos :
    « Après une belle journée de mobilisation qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans tout l’Hexagone hier et qui montre qu’on n’en est encore qu’au tour de chauffe avant la seconde manche, la motion de censure déposée par les députés de droite a été rejetée jeudi, en fin d’après midi. Mais rien n’est encore joué et le gouvernement n’est pas sorti d’affaire. L’usage très peu démocratique du 49-3 est loin de passer comme une lettre à la poste.
    Si en mars et avril, la jeunesse étudiante et lycéenne, puis les intermittents avaient été à la pointe de la mobilisation, à la mi-mai, des secteurs du monde du travail ont bel et bien décidé de prendre le relai, en partant en grève reconductible. Une dynamique qui n’échappe pas aux directions syndicales elles-mêmes et qui pourrait s’accentuer encore. » Les exemples à cela ne manquent pas, à la SNCF, chez les raffineurs, les marins et les routiers.
    La grève reconductible interprofessionnelle est une perspective concrète. La construction d’un plan de bataille est l’un des enjeux du moment. Il devrait être repris par l’Intersyndicale et poserait la question d’une réelle coordination de l’ensemble des secteurs qui sont favorables à la reconductible et qui pourraient devenir des locomotives pour le mouvement. Cela ferait toucher du doigt réellement la perspective concrète pour le retrait sans conditions.
    Ce serait ainsi la meilleure façon de s’opposer au gouvernement et de lui faire avaler son projet de loi, tout en luttant jusqu’au bout contre le déni de démocratie et sa politique du coup d’état permanent, dont il use allègrement avec le 49-3.


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