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Loi Kasbarian

Loi « anti-squat » : comprendre l’offensive contre les précaires de la macronie

Le 2 février 2023, le Sénat a adopté en première lecture et avec quelques amendements la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » dite loi « anti-squat » présentée par le député Renaissance Guillaume Kasbarian. Révolution Permanente a rencontré Mattéo Bonaglia, avocat en droit au logement, et les habitants d'un squat pour analyser cette violente offensive contre les précaires.

Comité juridique

2 mars 2023

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Crédit photo : AFP

Le 2 février dernier, le Sénat adoptait en première lecture la loi Kasbarian. Cette proposition de loi vise les squatteurs et tout « occupant illicite » en élargissant l’arsenal de protection de la propriété des immeubles à tous types de locaux et en renforçant les sanctions pénales. Elle tend aussi à accélérer les procédures d’expulsion en généralisant des expulsions expéditives conduites par le préfet et la police. Enfin, dans un volet consacré à la location et à la protection de la rente locative, la proposition de loi vise les locataires en situation d’impayés de loyers en permettant la résiliation unilatérale du bail par le propriétaire, en accélérant les procédures d’expulsion, en durcissant les sanctions pénales.

Une proposition de loi sécuritaire et anti-pauvres qui réprime et harcèle les victimes du mal-logement tout en encourageant et facilitant la fluidification et l’uberisation du marché immobilier, largement acclamée par la Fédération nationale de l’immobilier qui salue une « amorce de rééquilibrage des droits ». Une logique en phase avec celle du député Renaissance Guillaume Kasbarian, qui a fait de la souffrance du petit propriétaire dépossédé par les squatteurs son cheval de bataille.

4 millions de personnes sans logement ou mal logées : la droite s’unit contre les précaires

S’appliquant à opposer le propriétaire méritant au locataire ou au squatteur profiteur et parasite, les défenseurs de ce projet ont relayé ces derniers mois pléthore d’anecdotes illustrant la détresse de petits propriétaires et n’ont pas hésité à utiliser des histoires mensongères pour servir cet argumentaire. Une propagande démagogique et populiste qui utilise quelques faits divers montés en épingles pour asseoir une attaque contre les précaires.

Car pour Guillaume Kasbarian, ce qui est insupportable, ce sont les difficultés des propriétaires, concernant des phénomènes minoritaires, et non le mal logement grandissant, les personnes à la rue et la violence des expulsions. Matteo Bonaglia, avocat qui défend régulièrement des squats souligne le caractère résiduel des situations auxquelles prétend s’attaquer Kasbarian :

« le squat représente 1% du contentieux logement devant les tribunaux, c’est une part minime des activités des juridictions et de notre réalité quotidienne. L’immense majorité des squats ce n’est pas l’appartement de Madame Michu qui lui permet de compléter sa petite retraite. Les gens ne se dirigent pas vers ce type de logement quand ils en viennent à squatter. Ce sont essentiellement des bâtis vides, souvent depuis des années, des biens qui ne sont pas affectés à de l’habitation à titre principal, qui sont d’anciennes usines, d’anciens bureaux, d’anciens commerces. […] L’argument selon lequel les petits propriétaires qui seraient spoliés de leur ressources complémentaires tirées d’un appartement qu’ils auraient payés avec leurs économies sont les principales victimes d’occupations sans droit ni titre c’est du grand n’importe quoi ».

Cette proposition de loi et la rhétorique qui l’accompagne viennent porter une attaque directe contre les personnes précaires dans une période d’inflation et de crise du logement. En effet, la situation des sans domicile fixe et des mal-logés s’aggrave en France : la Fondation Abbé Pierre fait état de 4 millions de personnes non ou mal logées, de 300 000 personnes privées de domicile et de 14,6 millions de personnes de personnes fragilisées par la crise du logement (Rapport annuel sur l’état du mal-logement en France en 2022).

En l’état, le texte prévoit une explosion des expulsions et une aggravation de la précarité des personnes en situation de mal-logement. Ce projet instaure un double mouvement, selon Matteo Bonaglia :

« Vers le haut, l’État instaure de plus en plus de libéralisme, de laissez-faire et moins d’encadrement des propriétaires. Vers le bas, il complexifie les procédures, aggrave l’arsenal répressif et encadre le « petit peuple ». C’est-à-dire que les conséquences de cette libéralisation accrue du marché locatif (des milliers de ménages supplémentaires à la rue) seront désormais gérées par les préfets et les procureurs, et non plus par le juge. La procédure d’expulsion devant l’autorité judiciaire est considérée comme trop respectueuse des droits des occupants, trop longue, insusceptible de préserver la rente locative et la spéculation foncière. On lui préfère donc l’expulsion extrajudiciaire à la diligence du préfet ou à celle des fonctionnaires de police agissant sur instructions du procureur de la République. ».

Perfectionner les outils de répression des mal-logés

Parmi les dispositions venant renforcer les sanctions et la répression figure la résiliation du bail automatique dans la plupart des situations d’impayé et la réduction des délais de procédure dans ces situations. Les locataires dont le bail aura été résilié deviendront des occupants sans droit ni titre, menacés d’expulsion.

En 2020, Guillaume Kasbarian avait déjà commencé son combat contre les squats. En amendant la loi ASAP du 7 décembre 2020 (Accélération et de simplification de l’action publique), il était parvenu à simplifier la procédure d’expulsion des squatteurs en étendant l’expulsion prévue à l’article 38 de la loi DALO. Cet article prévoit une procédure d’expulsion expéditive et extrêmement violente, décidée par le préfet après constat d’occupation par la police ou les huissiers, 24 heures après mise en demeure.

Depuis 2020, cette expulsion est étendue aux résidences secondaires et aux logements occasionnels. Le projet de loi entend étendre ces dispositions aux logements sans meubles, donc aux logements vacants. Ces dispositions visent très directement les squatteurs mais aussi les locataires dont le bail a été résilié, et qui deviennent des occupants sans droit ni titre de leur logement. Les modifications apportées par les sénateurs semblent refuser que le locataire en impayé tombe sous le coup de cette procédure, mais le texte doit à nouveau être discuté à l’Assemblée.

Matteo Bonaglia raconte la violence de ces procédures : « Le présumé squatteur n’a aucun droit. Il est remis à la rue sans ménagement, en deux ou trois jours, et ça donne lieu à des situations d’une violence inouïe. Pour moi, avec la prison, c’est l’une des pires violences de l’État. Remettre quelqu’un à la rue, c’est mettre quelqu’un sur le trottoir avec toutes ses affaires à sept heures du matin, devant tous ses voisins, avec la stigmatisation que cela implique et l’impossibilité de gérer ses meubles qui sont placés sur le trottoir, avec la difficulté de les surveiller, n’importe qui peut venir les prendre. C’est d’une violence crasse, crue, il faut voir une expulsion extrajudiciaire pour comprendre ».

Actuellement, les mécanismes qui visent à prévenir les expulsions ou à éviter les remises à la rue sèche dysfonctionnent totalement et interviennent à la marge. Ils sont aussi guidés par des préjugés racistes qui entrent fortement en jeu dans les rapports de force entre les agents de l’État et les personnes menacées d’expulsion. Le sociologue Camille François, qui a réalisé une enquête inédite dans différents services de l’État chargés des expulsions locatives, explique à Mediapart : « J’ai pu observer notamment que 50 % des décisions d’autorisation du concours de la force publique sont prises dès le premier examen du dossier pour les ménages identifiés comme « blancs » mais ce chiffre passe à 60 % lorsque les ménages sont d’origine maghrébine. Cette inégalité est la conséquence de discriminations qui se jouent en amont de la décision d’expulsion. »

Un occupant d’un squat situé en banlieue parisienne raconte à Révolution Permanente l’expulsion qu’ils ont subie, après onze jours d’occupation : « Un des policiers a fait sauter le cadenas. Les policiers sont rentrés. Les personnes à l’intérieur ont fermé la deuxième entrée mais les policiers sont passés par la fenêtre. Ils ont commencé à dégager ceux qui étaient à l’intérieur, à gazer, à frapper puis les policiers ont refermé la porte avec un nouveau cadenas. » Un autre occupant poursuit : « Les policiers disaient « ne vous inquiétez pas, on ne va pas vous faire sortir, c’est juste un contrôle ». Mais quelques minutes plus tard, ils ont gazé tout le monde. Ils étaient très violents. »

Criminaliser les squatteurs

Comme toute loi sécuritaire, l’outil pénal est fortement mobilisé pour réprimer et criminaliser les squatteurs et les locataires en situation d’impayés de loyers. Prévoir de lourdes sanctions pénales en cas d’occupation de lieux à usage d’habitation ou à usage économique est un outil majeur de répression des plus précaires, des squatteurs mais aussi des salariés en grève qui tiennent des piquets de grève ou occupent des usines, ou des militants associatifs.

Pour réprimer les « occupants illicites », le projet de loi prévoit de durcir les sanctions pénales de la violation de domicile en triplant les sanctions déjà prévues. En outre, la loi crée un nouveau délit d’occupation illicite (qui ne vise pas l’occupation d’un domicile), qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de s’introduire ou de se maintenir dans un local à usage d’habitation ou à usage économique sans titre ni autorisation.

En outre, le projet de loi prévoit que les locataires défaillants qui se maintiennent dans les lieux, alors qu’une décision définitive d’expulsion a été prononcée à leur encontre, feront aussi l’objet d’une sanction pénale de 7 500 euros d’amende. En définitive, alors que l’occupation illicite est souvent la dernière solution avant la rue, l’occupant précaire est menacé d’expulsion et de prison.

Une loi au soutien de la spéculation foncière

Le renforcement de la répression et des expulsions vient réaffirmer la logique de la propriété privée dans sa forme la plus brutale. Derrière l’appel à un « rééquilibrage entre droit des propriétaires et droit des locataires », alimentant le délire bourgeois sur les locataires qui disposeraient de droits excessifs et opprimeraient quasiment leurs propriétaires, ce projet politique vise à faciliter la spéculation sur le marché immobilier, dont les premières victimes sont déjà les occupants sans droit ni titre, souvent contraints d’occuper illicitement des lieux face à l’inaccessibilité à un logement qu’elle soit matérielle (absence de logement ou logement laissés vacants), financière (loyers exorbitants dont l’encadrement parfois prévu n’est jamais respecté et dont l’augmentation est encouragée par la faible offre) et administrative (les garanties sollicitées auprès des locataires constitue un obstacle à l’entrée dans le logement).

En 2021, 1,1 millions de logements étaient vacants depuis au moins deux ans dans le parc privé. Les personnes se résignant à occuper un lieu sortent pour la grande majorité d’un parcours de rue de plusieurs années et la voie de l’occupation illégale est la dernière alternative qui permet d’assurer leur survie, les dispositifs d’hébergement d’urgence étant saturés.

Mohamed*, habitant d’un squat en banlieue parisienne revient sur son errance avant de trouver refuge. Il a dormi à la rue de 2018 à 2022. Demandeur d’asile, il a vécu la procédure Dublin l’obligeant à retourner dans le premier pays européen d’arrivée. De retour en France, il n’avait plus de ressource financière, plus de couverture maladie et plus de logement. Il décrit : « Pendant la période du Covid, nous n’étions pas considérés comme des êtres humains. Nous voyions dans les médias qu’il fallait respecter les gestes barrières mais je dormais avec trois autres personnes dans une petite tente. J’ai été infecté et je ne pouvais même pas acheter de médicaments ». Alors, il insiste « le squat c’était la seule alternative à la rue, avant c’était la rue ou la rue ».

Comme le rappelle Matteo Bonaglia, le logement « n’est pas un bien comme les autres que l’on pourrait échanger comme une baguette de pain », il constitue le préalable à une vie décente. Depuis qu’il vit « protégé de la pluie, du froid, des attaques » dans un squat, la vie de Mohamed s’est améliorée : « J’ai rencontré des compatriotes qui connaissent certaines démarches administratives et qui m’ont aidé. Je partage également mon expérience avec d’autres. Des soutiens viennent apporter des aides juridiques. Beaucoup de gens étaient malades. Ils sont arrivés ici, depuis, ils n’ont plus froid. Des associations et des médecins viennent effectuer des suivis médicaux dans le lieu ».

Un autre occupant explique l’état de vulnérabilité qu’ils ont subi en étant à la rue : « Nous sommes aussi en sécurité ici. Quand nous étions dans la rue, certains d’entre nous se sont fait attaquer par des fachos, dans leurs tentes à Bercy. Dormir à l’extérieur et dormir sous un toit c’est incomparable sur le plan de la sécurité ». Les occupants du squat sont unanimes, habiter dans un lieu leur a permis d’échapper à la folie, à se stabiliser et à relever la tête. Mourad, qui occupe le squat depuis plusieurs mois raconte : « quand j’étais à l’extérieur je n’arrivais pas à travailler. J’ai failli devenir fou, péter un câble. Être ici me permet, déjà psychologiquement de me stabiliser, de me sentir mieux. Du coup j’ai commencé à trouver du travail, je suis plombier aujourd’hui. Plusieurs d’entre nous ont trouvé du travail après avoir trouvé le squat ».

Matteo Bonaglia explique que « ce sont surtout les gros acteurs de l’immobilier locatif qui veulent un marché fluidifié, quasiment ubérisé » où le logement peut être mis en location sur une application facilitant les courts séjours et augmentant la marge financière et dont le locataire puisse être expulsé rapidement. L’objectif, quelle que soit la façon de présenter les choses, n’est jamais que d’augmenter la rentabilité du propriétaire au détriment du locataire.

Un portage foncier organisé par l’État

Dans le cas des squats, on observe une volonté de promouvoir la rentabilité financière des opérations immobilières organisées par l’État lui-même, par le biais des établissements publics fonciers. En Ile-de-France où sont concentrés, d’après l’observatoire des squats et depuis sa création, un nombre important des squats ayant fait l’objet d’une procédure d’expulsion en France, les lieux occupés sont des bâtiments désaffectés à usage industriel, des bureaux ou des anciens locaux collectifs.

Matteo Bonaglia détaille une réalité tout à fait ignorée : « Dans un grand nombre de dossier de squats que je défends en Ile-de-France, le propriétaire des lieux est l’EPFIF (Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France) qui vient en soutien des collectivités territoriales pour leur projet d’aménagement foncier car, par exemple, elles n’ont pas la trésorerie nécessaire pour faire l’acquisition du foncier. L’établissement rétrocède ensuite ces biens à un prix symbolique lorsque la collectivité veut débuter les travaux ».

Voilà comment s’explique en partie le nombre de logements vacants : l’EPFIF acquiert de nombreux biens, pour les rétrocéder à des marchés privés ou publics. Sauf que l’achat intervient souvent des années avant la rétrocession ou la vente : « Les bénéficiaires privés de la promesse [de vente] ne vont lever la promesse que le jour où ils auront vendu sur plan leur projet et qu’ils auront ainsi atteint un taux de commercialité suffisant. C’est qu’à ce stade qu’ils pourront débloquer un concours financier qui lui permettra de supporter l’effort de construction. » Autrement dit, ces établissements publics maintiennent délibérément les lieux vides le temps nécessaire pour trouver les fonds permettant de rentabiliser l’opération.

Le résultat de ce mode opératoire est sans appel : « L’EPFIF possède énormément de biens vides et vacants, qui, à termes seront probablement rétrocédés à une commune dans 5, 8, 10 ans mais qui, dans l’intervalle, resteront vides ». Compétents en matière d’hébergement d’urgence et de logements sociaux, l’État et les collectivités territoriales arguent de difficultés à trouver des fonds, des délais très longs d’attribution de logements sociaux face à une demande accrue. Néanmoins, c’est un établissement public, l’EPFIF, qui est propriétaire de logements laissés vacants volontairement. L’EPFIF est donc propriétaire des lieux occupés, et se trouve être, avec la complicité de l’État et des collectivités territoriales, le premier responsable des expulsions de squats, mettant à la rue celles et ceux qui y avaient trouvé refuge.

Les établissements publics fonciers et les multipropriétaires privés forment un cocktail explosif du mal-logement en France et répriment toujours plus fort les occupants des lieux, pourtant vides, dont ils sont propriétaires. Du côté des locataires, les dynamiques d’uberisation cassent les barrières déjà fragiles de protection des locataires, en cherchant une rentabilité maximale par les locations de courtes durées. Par une loi répressive violente, ce sont ces mécanismes que la loi Kasbarian cherche à encourager et à fortifier.

La droite, de Renaissance au RN, est unanime pour défendre l’esprit de la proposition Kasbarian, un projet anti-pauvres et répressif qui n’a d’autre ambition que d’aggraver la menace de la matraque et de la rue sur la vie des plus précaires. Face à cela, il faut revendiquer la réquisition de tous les logements vides, ainsi que des investissements pour assurer l’accès au logement à tous et toutes ainsi la rénovation écologique des bâtiments anciens.

*Les noms des habitants ont été modifiés.


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