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« A bas le régime tout entier »

Lundi sanglant au Soudan : au moins 60 morts suite à la répression

Ce lundi, le Conseil Militaire de Transition (CMT) ordonnait l’évacuation du campement de protestation installé à Khartoum. Après avoir durement frappé l’organisation des manifestations en tuant au moins 60 personnes, l’armée annonce des élections d’ici 9 mois pour gagner du temps et sauver le régime.

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Les mobilisations massives de cet avril contre le régime et la détresse imposée par le FMI et ses agents au gouvernement ont provoqué la chute d’Omar Al-Bashir, le dictateur au pouvoir depuis 30 ans. Cependant, les attentes du peuple soudanais en lutte étaient rapidement bouchées par l’armée qui, face à une situation devenue intenable avec l’ancien dictateur aux commandes, prenait le pouvoir en imposant une direction militaire et l’Etat d’urgence sous le prétexte de garantir une transition politique. Cette mesure, aux antipodes des revendications des manifestants les ont poussés à mettre en place, le 11 avril, le camp de la capitale, à Khartoum, devant le ministère de la Défense, le siège de l’armée. Depuis lors ce camp est le centre d’organisation des manifestations et un symbole de la lutte contre le régime d’Al-Bashir qui inquiète la direction militaire du pays, la CMT.

Même si l’armée se prétend un acteur « neutre » dans la période, les manifestants ne semblent pas dupes. Les tensions entre les manifestants, l’opposition politique et la direction militaire se sont exacerbés dès le 21 mai avec la suspension des négociations entre le CMT et l’Alliance pour la Liberté et le Changement (ALC), puis la grève générale de 48h qui a été déclenchée le 27 et le 28 mai. En raison de l’absence d’accord sur un Conseil Souverain de Transition, l’ALC appelait à la grève générale pour faire une démonstration de force et exercer une pression sur le commandement militaire. L’objectif : obtenir une représentation majoritaire au sein du futur Conseil Souverain.

Si l’appel à la grève a été très suivi, cela ne signifie pas que les manifestants suivent la direction de l’opposition politique de l’ALC dont son programme écarte des points tels qu’un gouvernement 100% civil, l’égalité de genre (malgré la forte présence des femmes dans les manifestations), la convocation d’une assemblée constituante, ou le rejet des accords passés avec le FMI venant plonger le pays dans la misère. Au contraire, loin de la ligne politique conciliante de l’ALC, pendant ces journées de grève, les étudiants, les travailleurs et les travailleuses ont fait l’expérience de leur propre force, sous le mot d’ordre, resté inchangé, d’appel à la fin du « régime tout entier ». Les revendications ont franchi un cap dans la lutte contre la direction militaire.

Le lundi sanglant

En réponse, la réaction de l’armée ne s’est fait pas attendre. Le jeudi 29 mai, le général Bahar Ahmed, chef régional de l’armée dans la capitale menaçait les manifestants et avançait dans l’escalade répressive vers un point d’inflexion en déclarant que « le camp de Khartoum est une menace pour la sécurité nationale ». Quatre jours plus tard, ce lundi 3 juin au matin, le CMT envoyait l’armée afin d’expulser les milliers de manifestants installés pacifiquement dans camp situé devant le siège du ministère de la Défense au centre de Khartoum. Des centaines de militaires avec des armes à feu, des grenades lacrymogènes et des bâtons ont été envoyés pour tabasser, gazer et tirer des balles réelles sur une foule qui tentait de s’échapper. Pendant l’après-midi, les attaques contre les manifestants se sont poursuivies et le Comité Central des Médecins Soudanais, un groupe lié à l’APS (Association des professionnels du Soudan), a signalé des attaques à balles réelles à l’hôpital East Nile de Khartoum, où certains des blessés étaient en train de se faire soigner. Jusqu’à là, le bilan de cette escalade répressive a fait au moins 30 morts et environ 150 blessés.

En réponse à la fusillade dans le camp, des milliers de manifestants armés des bâtons et des pierres ont aussi bloqué les routes avec des pneus enflammés à Omdurman, la ville jumelle proche de la capitale soudanaise et ont également bloqué l’un des ponts sur le Nil. De même, l’opposition soudanaise, l’APS et ALC, ont appelé à la « désobéissance civile » dans le but de renverser la CMT et tous les vestiges du régime d’Omar al-Bashir. Cependant, malgré leur saut dans la rhétorique il semble que les leaders de l’opposition essayent juste de conquérir une position de force pour négocier des lieux de pouvoir dans le futur gouvernement.

Même si les Nations Unies ont condamné la violence contre les manifestants et ont appelé à une enquête indépendante sur les faits, cela ne reste qu’un geste vide et cynique. Tel que le souligne Clément Deshayes dans un article de Libération, le régime soudanais est bien protégé internationalement : « D’abord les pays du Golfe : le Qatar est un vieil ami de Khartoum, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis sont des parrains plus récents. Les Chinois, à qui les Soudanais doivent des milliards de dollars de pétrole, veillent à obtenir leur dû. Le voisin égyptien, Al-Sissi, engagé dans une restauration autoritaire, ne veut surtout pas d’un réveil du printemps. Les Russes protègent leurs mines et se sont récemment rapprochés de Khartoum - le NISS a été fondé sur le modèle du KGB, cela crée des liens. Même les Américains se sont accommodés du régime. Depuis le 11 septembre 2001, la CIA a noué un précieux partenariat antiterroriste avec les services soudanais alors que Khartoum a longtemps été le rendez-vous des jihadistes du monde entier. Les Européens eux-mêmes, obsédés par les migrants, ont signé un pacte scandaleux avec l’Etat soudanais (le « processus de Khartoum ») pour restreindre l’émigration illégale. »

Dans le but de gagner du temps et sauver le régime en officialisant la dictature militaire, le général Al Burhan annonçait ce mardi une éventuelle mise en place d’un gouvernement qui serait présidé par la junte militaire elle-même et qui aurait l’objectif de garantir les élections dans les 9 mois sous contrôle régional et international, mais surtout « d’imposer la paix et de permettre la liberté ». Rien donc d’une rupture avec le régime tel que le souhaitent les manifestants.

L’intellectuel de d’origine libanaise, Gilbert Achcar, soulignait dans un rapport récent que les partis politiques du Maghreb, après le Printemps Arabe, ont tiré la conclusion que renverser les régimes dictatoriaux de manière pacifique peut constituer une solution permettant d’éviter les guerres civils, tel que le propose aussi l’opposition soudanaise avec la désobéissance civile et « la mise en place de la résistance pacifique ». Cependant, la réalité actuelle montre que la voie du pacifisme et du réformisme est juste la meilleure manière de servir le régime en désarmant le mouvement populaire.

L’escalade répressive et le risque très probable d’une guerre civile ouverte dans laquelle l’armée pourrait se diviser entre ceux qui soutient le CMT et ceux qui voudraient rejoindre la révolution, impose aux dirigeants soudanais un autre type de mesures pour faire face à la répression de l’armée et renverser le régime : reconstruire les camps et organiser leur défense face à l’armée, ainsi que le recours à la grève générale politique qui a démontré sa force pendant les 27 et 28 mai.


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