À un mois de sa présidence européenne

Macron, un leadership à la peine

Virginia de la Siega

Macron, un leadership à la peine

Virginia de la Siega

Brexit, crises des migrants et de la pêche, fiasco des sous-marins et Aukus, projets de marché de la défense et de Force de défense européenne… Au cours de l’année écoulée, l’impérialisme français a été mis à rude épreuve.

Tout le monde sait que la présidence tournante de l’Union européenne est une responsabilité formelle. Macron pense cependant que lorsqu’il assumera ce poste, le 1er janvier 2022, il aura la possibilité de mettre sur la table une série de dossiers lui permettant de faire avancer sa vision stratégique de l’Union européenne comme entité politique, économique et militaire « indépendante ». Peut-il y réussir ?

L’Union européenne de Macron

Du point de vue politique et économique, Macron veut qu’en cas de problème entre un État membre et un pays tiers, la solution vienne d’un accord avec la commission européenne et non d’un arrangement bilatéral entre les deux pays concernés. Le refus du Royaume-Uni d’accepter ce principe est la clé des crises entre lui et la France.

La situation est plus complexe du point de vue de l’unité militaire. Après le Brexit, la France reste au sein de l’UE la seule puissance disposant de l’arme nucléaire et en condition d’intervenir militairement dans une série de régions du monde. Le souvenir des attaques de Trump contre ses alliés européens de l’OTAN – essentiellement l’Allemagne –, accusés de ne pas investir suffisamment dans leur défense, ainsi que la défaite étasunienne en Afghanistan, font que l’Allemagne commence à considérer que les États-Unis ne sont pas vraiment un allié « fiable ». Il n’est donc pas surprenant que la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, ait annoncé devant le parlement européen qu’elle est d’accord avec l’idée de Macron visant à créer une Force de défense européenne qui fonctionnerait, naturellement, en accord avec l’OTAN.

Crise avec le Royaume-Uni (1) – Migrants : l’invasion des canots pneumatiques

La crise des migrants dans la Manche est une conséquence de l’explosion des migrations au niveau mondial comme conséquences des guerres, des persécutions idéologiques ou ethniques et de la crise environnementale. Selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), on a compté en 2020, au niveau mondial, 272 millions de migrants (soit 3,5 % de la population mondiale [1]). Parmi eux, seule une infime minorité se trouve en Europe.

La campagne sur le Brexit a montré une forte division entre les pays qui forment le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Tandis que l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté pour rester dans l’UE, l’Angleterre et le Pays de Galles, dont les populations étaient majoritairement convaincues qu’elles étaient envahies par des hordes d’étrangers parce que l’Union européenne les « empêchait » de contrôler leurs frontière, ont voté en faveur du Brexit. Ce que le gouvernement conservateur de Boris Johnson ne parvient pas à expliquer est pourquoi, après le Brexit, arrivent au Royaume-Uni trois fois plus de migrants qu’avant.

Les raisons pour lesquelles les migrants souhaitent s’établir au Royaume-Uni sont multiples : ils parlent anglais ; beaucoup ont sur place de la famille ou d’importantes communautés venant de leur pays ; et il n’existe pas de pièce d’identité, ce qui rend plus facile de « se fondre dans la masse ». De plus, comme le Royaume-Uni n’est plus membre de l’Union européenne, il ne peut plus demander l’application du traité de Dublin, aux termes duquel les immigrés entrés illégalement sont renvoyés dans le premier pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne.

Avec le renforcement des contrôles, les migrants ne parviennent plus à se cacher dans des camions. C’est pourquoi ils font maintenant la traversée dans des canots pneumatiques.

Les vingt-sept cadavres du 24 novembre ont mis en évidence l’hypocrisie des gouvernements européens. Boris Johnson et le parti conservateur se plaignent de ce que la France ne respecte pas les accords du Touquet, signés en 2003 et dont un résultat est que la frontière britannique, s’agissant des migrations, est « déplacée » sur les côtes françaises, les autorités hexagonales ayant la charge d’empêcher les entrées illégales au Royaume-Uni. C’est pourquoi le gouvernement britannique menace d’imposer le « pushback » (du verbe signifiant « repousser »), une politique contraire au droit international qui consisterait à renvoyer les embarcations de migrants vers la France. Le lendemain de la mort des 27 migrants, différentes associations britanniques de défense des droits humains ont présenté des recours contre cette politique et le syndicat des gardes-côtes britanniques a menacé d’entrer en grève si on les obligeait à appliquer une telle mesure.

Du côté français, l’opposition politique et les maires de la région ont commencé à demander la renégociation, voire l’abrogation, des accords du Touquet. Les associations de défense des migrants ont rappelé que ces accords avaient été dénoncés en 2015 par la commission consultative nationale des droits de l’Homme comme ayant transformé la France en « bras policier de la politique migratoire britannique [2] ». Le gouvernement Macron, quant à lui, s’est plaint de ce que les migrants arrivent en France depuis le Belarus, après avoir traversé la Pologne et l’Allemagne, et que des bandes organisées de passeurs les fassent payer pour traverser non seulement la France mais aussi ces autres pays, ainsi que la Belgique et le Royaume-Uni. C’est pourquoi il a demandé, et obtenu, l’intervention de la commission européenne.

Le 28 novembre s’est tenue une réunion appelée par le gouvernement français pour discuter de la question des migrants avec les représentants de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne et de la commission européenne, et à laquelle la secrétaire d’Etat à l’Intérieur britannique, Priti Pratel, n’a pas été invitée. La principale annonce faite à l’issue de cette réunion a été qu’à partir du 1er décembre, pour empêcher les traversées, l’agence européenne Frontex dépêcherait un avion qui survolerait nuit et jour une zone allant de la côte française aux Pays-Bas. Le représentant allemand a souligné l’urgence d’un accord sur les migrations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les solutions proposées ne sont que sécuritaires, impliquant un renforcement du contrôle policier et militaire. Aucune de ces mesures n’empêchera des milliers de migrants désespérés de continuer à risquer leur vie en tentant de traverser la Manche sur des canots pneumatiques.

Crise avec le Royaume-Uni (2) – Petits pêcheurs, le conflit du désespoir

À ce stade de l’histoire, tous les autres pays de pêche dans l’Union européenne ont obtenu les licences qu’ils avaient demandées. Il en va de même pour les pêcheurs français de haute-mer ou équipés de technologies avancées. Les 150 permis manquants concernent principalement la zone de pêche de douze mille nautiques entourant l’enclave britannique de Jersey, dans la baie de Saint-Malo. Le point de discorde porte sur la façon dont les petits pêcheurs, sans grands moyens technologiques, pourraient démontrer au gouvernement « indépendant » de Jersey qu’ils ont pêché dans cette zone au cours des deux dernières années.

Depuis le début du conflit, l’attitude du gouvernement Macron a été erratique. Durant des semaines, les ministres macroniens ont menacé de couper l’électricité à Jersey et d’interdire aux bateaux britanniques d’entrer dans les ports français. Après une réunion avec la commission européenne, la ministre française de la Mer, Annick Girardin, a déclaré que la France utiliserait des fonds de l’Union européenne pour indemniser les pêcheurs français qui ne recevraient pas les licences permettant de pêcher en eau britannique et se trouveraient contraints de détruire leurs bateaux. Macron s’est empressé de démentir sa ministre et de téléphoner à Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches maritimes des Hauts-de-France, pour lui dire qu’il continuerait à lutter sur la question des permis. Pendant ce temps, Gérard Romiti, président du comité national des pêches maritimes, a exigé le respect des accords de pêche signés à l’occasion du Brexit et apporté son soutien à un blocage symbolique, le 26 novembre, des ports de Saint-Malo, Calais, Ouistreham ainsi que du tunnel sous la Manche.

La commission européenne a enjoint le Royaume-Uni d’accorder les licences avant le 10 décembre. « De quoi allons-nous pouvoir vivre s’ils ne nous donnent pas les licences ? », demandent les petits pêcheurs sans obtenir de réponse.

Le Brexit, l’Irlande du Nord et la Cour de justice de l’Union européenne

Si la commission européenne est un peu plus réceptive ces jours-ci aux propositions de Macron, c’est parce qu’elle craint que Boris Johnson et le parti conservateur britannique ne respectent pas les accords du Brexit. Ce parti a élu Johnson comme Premier ministre parce qu’il lui a promis un Royaume-Uni ouvert au monde et en rupture totale avec l’Union européenne. Mais l’accord que le même Johnson a signé laisse l’Irlande du Nord au sein de l’Union douanière de l’Union européenne et de l’Espace économique européen. Il devait en être ainsi parce que les accords ayant mis fin à la guerre civile qui avait embrasé l’Irlande du Nord pendant des décennies ont établi qu’il ne pouvait y avoir de frontière physique entre la République d’Irlande (membre de l’Union européenne) et l’Irlande du Nord – une condition indispensable afin d’éviter toute reprise des troubles. Le résultat est une rupture de la continuité territoriale du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, puisque la frontière avec l’Union européenne tombe donc en pleine Mer d’Irlande.

Le Royaume-Uni a décidé unilatéralement d’abolir les contrôles sur les marchandises qui entrent en Grande-Bretagne depuis l’Irlande du Nord. En signe de bonne volonté, l’UE a offert de réduire drastiquement les contrôles sur les marchandises entrant en Irlande du Nord en provenance de Grande-Bretagne. Cependant, le secteur le plus dur du parti conservateur affirme qu’il n’est pas d’accord pour que ce soit la Cour de justice de l’Union européenne qui arbitre – en stricte application des accords du Brexit – les différends pouvant surgir entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Conscients des problèmes qu’amènerait une guerre commerciale, les deux côtés ont baissé le ton dans leurs discussions ; les négociations restent ouvertes et se prolongeront au moins jusqu’à Noël 2021. Si le conflit sur la pêche a pu avoir quelque conséquence positive, c’est le fait qu’après la menace française de contrôler chaque camion d’outre-Manche entrant à Calais, le gouvernement britannique s’est rendu compte que si la France, la République d’Irlande et les pays du Benelux appliquaient les contrôles tels qu’ils sont prévus en principe, ses chaînes d’importation se verraient sérieusement affectées. En réalité, tant l’UE que le Royaume-Uni savent qu’aucun des deux côtés ne gagnerait à une guerre commerciale.

Aukus : la torpille qui a coulé la « troisième voie »

Pour comprendre l’ampleur du revers qu’a signifié, pour l’impérialisme français, l’annulation de la vente des 12 sous-marins diésel à l’Australie, plusieurs éléments doivent être pris en compte.

Du point de vue économique, l’Australie devra payer un milliard et demi d’euros pour la mise à la casse des sous-marins en construction, en plus des pénalités prévues en cas de rupture de contrat. Comme l’explique le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, la crise est donc « infiniment moins une crise commerciale et industrielle qu’une crise politique et stratégique [3] ». L’exportation d’armements est un élément clé des ambitions françaises sur la scène internationale. Lucie Béraud-Sudrau, directrice du programme « Dépenses militaires et industrie d’armement » du Stockholm International Peace Research Institute, l’explique ainsi : « Ce qui est spécifique à la France dans sa manière de vendre des armes et dans sa politique d’exportation d’armement, c’est de faire le lien entre les grands contrats d’armement et l’idée de partenariat stratégique. Pour la France, la perte du contrat [avec l’Australie] était aussi celle du partenariat stratégique. [4] » Benjamin Haddad, du Atlantic Council de Washington, partage cette opinion : « Les Américains ont totalement négligé le fait qu’il ne s’agissait pas simplement d’un contrat commercial. C’était le fondement de la stratégie de la France pour l’Indo-Pacifique. [5] »

Avec ses 7000 militaires stationnés en permanence, les près de deux millions d’habitants de ses départements et collectivités d’outre-mer (Mayotte, Réunion, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française…), les 90 % de sa zone économique exclusive (la première ou deuxième au monde selon les modes de calcul, avec plus de 11 millions de kilomètres carrés), la France est la seule puissance européenne dans l’Indo-Pacifique, où elle se trouve en concurrence directe avec les États-Unis et la Chine. Face à ces deux colosses, sa politique dans la région est celle de la « troisième voie » : faire en sorte qu’aucune puissance ne soit hégémonique dans l’Indo-Pacifique. Cela s’oppose frontalement à la position des États-Unis qui, avec le Japon, l’Inde et l’Australie, défendent une politique de « contention » de la Chine. Il est intéressant de noter dans ce cadre que l’Inde, historiquement un pays « non aligné », était depuis des décennies un allié stratégique de la France dans la région.

Pourquoi les États-Unis ont-ils organisé l’Aukus [6] ? Après leur humiliante fuite d’Afghanistan, leur profil dans la région s’est sensiblement détérioré. La signature de l’Aukus a été conçue comme la démonstration la plus claire que les États-Unis sont disposés à s’affronter à la Chine sur le plan militaire et à s’engager à long terme dans la région indo-pacifique. Dans ce cadre, « la France est un dommage collatéral [7] » comme l’a dit Michael Fullilove, membre du Lowy Institute de Sidney. Le problème est que les stratèges de Biden n’avaient en tête que la nécessité de renforcer l’image militaire des États-Unis face à l’influence croissante de la Chine dans le Pacifique, et il ne semble pas qu’ils aient pensé aux conséquences diplomatiques.

Les répercussions de l’Aukus

L’Aukus a eu des conséquences différentes selon les régions du monde affectées. Côté européen, même si la réaction a tardé cinq jours, la commission européenne a décidé de suspendre pour un temps indéterminé les négociations sur le traité de libre échange avec l’Australie et exigé de ce pays qu’il présente des excuses à la France. Mais sur le fond, l’accord Aukus a été dévoilé le jour même où l’Union européenne rendait publique sa stratégie pour l’Indo-Pacifique. Les dirigeants de l’UE l’ont considéré comme une provocation.

Côté australien, il est clair que la priorité du gouvernement actuel est son alliance politico-militaire stratégique avec les États-Unis, même au prix d’envenimer davantage sa relation avec la Chine, son principal partenaire commercial, et de mettre en danger son accord commercial avec l’Union européenne. Tout cela, en vue de devenir une puissance militaire atomique. Mais aux termes de l’accord, les sous-marins à propulsion nucléaire que doivent livrer les États-Unis ne seront opérationnels pour la Mer de Chine qu’en 2040. Dans l’intervalle, l’Australie s’engage à développer sur son territoire les infrastructures nécessaires (bases navales spéciales) qui pourront être utilisées par les sous-marins nucléaires étasuniens et britanniques. Si l’objectif de l’Aukus était de disposer rapidement d’une force de dissuasion en Mer de Chine, les sous-marins atomiques qui pourront éventuellement être utilisés partiront bien de ports australiens, mais ne seront pas australiens.

Du côté asiatique, l’annonce de la formation de l’Aukus a été considérée comme une bonne nouvelle par des pays tels que le Japon. Mais selon un article du Guardian [8] l’ASEAN [9], un accord commercial de dix pays du sud-est asiatique, alliée stratégique historique des États-Unis, mais partenaire commercial de la Chine, craint que les Nord-Américains visent avec l’Aukus à la supplanter, en installant dans la région une « anglosphère ». Gurjit Sing, ancien ambassadeur de l’Inde auprès de l’ASEAN, ajoute que celle-ci « voit l’annonce du pacte de l’Aukus comme augmentant les risques géopolitiques dans la région, dans la mesure où l’Aukus vise à contrecarrer la belligérance croissante de la Chine. »

La Malaisie et l’Indonésie, deux membres importants de l’ASEAN, ont fait savoir qu’elles veulent que la région reste pacifique et stable, et qu’elles sont opposés aux tensions vers la course aux armements créées par la situation actuelle. Pour joindre le geste à la parole, les deux pays ont réactivé leurs liens diplomatiques avec la France, et l’Indonésie lui a acheté 36 avions Rafale.

La Corée du Sud a exprimé ses doutes. Lors d’une visite aux États-Unis, le premier secrétaire du ministère des relations extérieures, Choi Jong-gun, a clairement affirmé que « la Corée du Sud est un partenaire stratégique de la Chine et a besoin d’un partenariat avec Pékin. » La réponse de la diplomatie étasunienne ne s’est pas fait attendre. Selon le même article du Guardian, Randal Schriver, ancien sous-secrétaire à la Défense pour la région Asie-Pacifique, lui a rétorqué que si la Corée du Sud ne prenait pas garde, elle pourrait finir comme la France. L’Inde a également fait part de ses inquiétudes, tandis que la Nouvelle-Zélande a indiqué qu’il était indispensable de réaffirmer la centralité de l’ASEAN dans la région et ajouté qu’elle partageait la préoccupation du Japon sur l’introduction d’armes atomiques dans cette zone. Jouant sur ces peurs, la Chine a souligné le fait que pour la première fois dans l’Histoire, un pays dépourvu d’armes nucléaires se verrait remettre la technologie permettant d’enrichir l’uranium, premier pas vers la fabrication d’armes nucléaires.

Quant aux États-Unis, Biden et son administration se retrouvent dans une position peu confortable. En tant que président de la première puissance mondiale, Biden ne peut pas affirmer, comme il l’a fait au moment de présenter ses excuses à Macron, qu’il ne savait rien des négociations secrètes entre son pays, l’Australie et le Royaume-Uni, ni des conséquences qui en découleraient pour la France. Si vraiment il ignorait tout, alors il est juste complètement incompétent. Mais le plus important est que cet impair met à nu un grand point faible de la politique étasunienne par rapport à la Chine : l’accent mis sur la puissance militaire en laissant de côté la dimension économique et commerciale, qui fait la force de ce pays. Aucun de ses alliés asiatiques n’a manqué de s’en rendre compte.

Les seuls ayant quelque chose à gagner à ce jeu sont les Britanniques. Pour Johnson, cet accord est une démonstration, dirigée à la base de son parti, que le « Global Britain » existe. L’envoi d’un porte-aéronefs en Mer de Chine, la signature de ce traité, la possibilité de développer de nouvelles technologies militaires apporteront un élément de réalité au « tournant » britannique vers l’Indo-Pacifique, que Johnson promet depuis le Brexit. Tout aussi évidente est cependant son anxiété à démontrer aux États-Unis que le Royaume-Uni veut être leur partenaire privilégié en Europe (ce que Johnson avait déjà promis pendant la campagne du Brexit, mais que le conflit sur l’Irlande du Nord rendait difficile).

Président pour six mois (ou quatre ?)

Lorsque, le 1er janvier 2022, Emmanuel Macron assumera à son tour la présidence de l’Union européenne, il aura devant lui au moins trois dossiers urgents, dont deux concernent le Royaume-Uni.

Si un accord n’intervient pas avant Noël sur l’Irlande du Nord, ce sera la grande question de la présidence Macron. Il ne semble pas pour l’instant que Boris Johnson soit prêt à dénoncer les accords du Brexit, ni à suivre les secteurs les plus irresponsables de son parti qui refusent que la Cour de justice de l’Union européenne arbitre les différends pouvant surgir. Mais Johnson, comme c’était avant lui le cas de Trump, est un « populiste » imprévisible dont la popularité décline et qui traîne une série de scandales. Autant dire que le Brexit demeurera une question ouverte.

Si la crise de la pêche, comme la commission européenne et le gouvernement français l’espèrent, se résout d’une façon ou d’une autre d’ici au 10 décembre, le problème brûlant entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sera celui des migrants. Il semble probable que le nombre des traversées se réduise durant l’hiver, avec ses conditions météorologiques encore plus dures. Mais lorsqu’elles s’amélioreront, dès mars ou avril, on pourrait assister à une réouverture de la crise juste au moment où Macron terminera en France sa campagne électorale.

En tant que président de l’UE, Emmanuel Macron disposera de possibilités accrues de faire avancer sa politique de « ventes d’armes + partenariat stratégique » dans et hors de l’Union. Deux faits majeurs montrent que le gouvernement français est décidé à poursuivre dans cette voie. Au plan interne, la vente de trois frégates à la Grèce a été présentée comme un « premier pas audacieux vers l’autonomie stratégique européenne [10] ». À l’extérieur, le méga-contrat signé par les Émirats arabes unis, pour l’achat de 80 avions Rafale et 12 hélicoptères Caracal (d’une valeur de 17 milliards d’euros), confirme que l’impérialisme français entend jouer dans la cour des grands au Moyen-Orient. Le communiqué de l’Élysée affirme qu’« il s’agit d’un aboutissement majeur du partenariat stratégique entre deux pays, consolidant leur capacité à agir ensemble pour leur autonomie et leur sécurité. [11] » Évidemment, ces démonstrations d’« autonomie » sont favorisées par le fait que pour compenser le camouflet infligé à Macron par l’Aukus et l’affaire des sous-marins australiens, Biden lui a donné le feu vert pour poursuivre ses projets en matière de défense.

Autre chose sera de concrétiser les annonces sur les débuts de discussion pour la constitution d’une Force européenne de défense, un thème qui a été et reste problématique au sein de l’UE. La majorité des pays européens n’est pas disposée à investir davantage en matière de défense, parce que ceux-ci considèrent que pour cette tâche il y a l’OTAN, et qu’il n’existe pas au sein de l’UE d’accord quant à savoir quels pays constituent une menace. Le cas typique est celui de la Russie, que les pays baltes voient comme une menace existentielle, alors que l’Allemagne la considère comme un allié incommode mais incontournable du point de vue de la fourniture d’énergie, et que pour le gouvernement hongrois elle est un allié politique clé.

En septembre, Ursula von der Leyen a cependant déclaré devant le parlement européen qu’elle n’écartait pas la possibilité de crises face auxquelles l’UE devrait intervenir en tant que force militaire indépendante de l’ONU et de l’OTAN. Pour tranquilliser les partisans de l’OTAN, elle a également annoncé être en train de rédiger, en commun avec le secrétaire général de l’organisation transatlantique, une déclaration sur les rapports entre les deux structures, qui devrait être publiée à la fin de l’année ; et aussi que sous la présidence européenne de Macron, tous deux appelleraient à un sommet visant à discuter la question de la Force de défense européenne.

L’actuelle ministre allemande de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a affirmé : « Ursula von der Leyen a raison. Une véritable défense de l’UE dépend de la volonté politique des États membres. C’est pourquoi l’Allemagne et la France doivent prendre la tête. [12] » À ceci près que Kramp-Karrenbauer ne sera plus ministre de la défense en janvier, après que le parti de Merkel a perdu les élections.
Vu les difficultés de fonctionnement qu’on rencontrées les deux groupes tournants d’intervention militaire formés en 2007, il semble douteux qu’une telle force puisse réellement voir le jour, et plus probable le discours de von der Leyen n’ait pour matérialisation que le fait que les armées des différents pays européens utilisent des armes et équipements compatibles entre eux, ainsi que sa proposition d’éliminer la TVA pour les ventes d’armes réalisées à l’intérieur de l’UE.

« Puissiez-vous vivre des temps intéressants »

Sous l’influence du confucianisme, pour lequel une société idéale est celle où il ne se passe rien, et surtout pas de grands bouleversements, les Chinois disposent d’une malédiction : « Pussiez-vous vivre des temps intéressants ». Le seul fait de penser à trois des événements possibles, à l’échelle européenne, auxquels la présidence Macron aura à faire face, ainsi qu’aux efforts qui seront nécessaires pour en empêcher les conséquences les plus tragiques, donne le vertige.

Ainsi : comment réagiront les petits pêcheurs français si, à la date-butoir fixée par la commission européenne, leurs demandes ne sont toujours pas prises en compte, et comment alors faire en sorte que leur juste colère ne tourne pas à des attaques xénophobes contre leurs collègues britanniques ? Comment aider à développer un grand mouvement de solidarité internationale avec les migrants, qui en finisse avec les solutions répressives militaro-policières et impose la solidarité pour accueillir le petit nombre d’hommes, femmes et enfants qui arrivent jusqu’en Europe en fuyant la guerre et les persécutions ? Comment éviter que se réalise le cauchemar réactionnaire du marché intérieur de la défense, avec la Force de défense européenne et l’élimination de la TVA pour des ventes d’armes dont nous savons tous à quoi elles vont servir ?

À aucune de ces questions, il n’y a de réponse au seul niveau national. La nécessité d’une mobilisation européenne et internationale des travailleurs et des peuples, d’une Internationale ouvrière et socialiste, est plus prégnante que jamais.

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Rapport sur les migrations dans le monde 2020, https://publications.iom.int/books/world-migration-report-2020-chapter-2

[6« Aukus », acronyme de l’anglais « Australia, United Kingdom, United States » (Australie, Royaume-Uni, États-Unis), est l’alliance militaire formée entre ces trois pays, en septembre 2021, pour contrer la Chine dans l’Océan pacifique.

[9ASEAN : Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Les pays qui la forment sont le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam.
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