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« On a fusillé un peu à tort et à travers »

Madagascar 1947. La blessure ouverte d’une mémoire enfouie

Avec la Conférence de Brazzaville en 1944 de Gaulle promettait d’engager les colonies « sur la route des temps nouveaux ». Les faits allaient bientôt se charger de confirmer ce que valaient les promesses de la « France libre » qui succédait au régime de Pétain.

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Les premiers à en faire l’expérience directe seront les Algériens de la région de Sétif, bombardés, à partir du 8 mai 1945, sur ordre du gouvernement français, intégré alors par le PCF. Les manifestants voulaient célébrer la défaite du nazisme tout en revendiquant le droit à une Algérie libre. Les massacres, selon Benjamin Stora, feront près de 30.000 morts. La plus sombre des nuits coloniales allait s’abattre peu de temps après sur Madagascar. .

Le 29 mars 1947, des centaines de militants liés au jeune parti nationaliste de gauche MDRM s’attaquent à des casernes et à des exploitations agricoles tenues par des « vasaha », ces colons blancs arrivés après la sanglante conquête de l’île par le général Gallieni à la fin du XIXe siècle. Ils sont las d’attendre ces « temps nouveaux » qui n’arrivent jamais. Les députés du MRDM qui, à Paris, l’année précédente, avaient déposé un projet de loi revendiquant l’indépendance de l’île dans le cadre de l’Union Française avaient été accusés d’appel à la sédition. Sur place, à Madagascar, en dépit de l’abolition formelle de l’indigénat, les paysans continuent à être exploités comme des bêtes de somme. « L’effort de guerre » que la France a demandé à ses colonies s’est traduit par une aggravation des conditions d’exploitation de la main d’œuvre servile qui ira en augmentant après 1945.

Ce n’est donc pas un hasard si la révolte fait rapidement tâche d’huile. La répression ne se fait pas attendre. A Paris, l’immunité parlementaire des députés du MDRM est levée, avec l’appui de toutes les forces politiques. On les condamne à mort ou aux travaux forcés car on les tient, à tort, pour les instigateurs de la révolte dont les racines sont bien plus profondes. C’est en fait la base même du MDRM qui a opté pour le chemin de la rébellion.

Si l’armée coloniale tient les villes, il n’en va pas de même pour les campagnes, notamment les régions côtières du Sud et de l’Est de l’île. Dans ces zones rurales, c’est Naxal Bari avant l’heure. La guerre est asymétrique, mais la résistance est impressionnante. Armée de sagaies et de quelques carabines, pendant vingt mois elle tiendra en échec un corps expéditionnaire qui atteindra les 30.000 hommes. C’est à cette époque, en 1947, que l’État-major français expérimentera ce qui plus tard allait être employé à grande échelle en Indochine puis théorisé dans les manuels de guerre contre-révolutionnaire, distribués à l’École des Amériques de Panama, à savoir notamment le regroupement forcé de la population pour couper la rébellion de ses soutiens, campagne de terreur systématique à mener contre les suspects. Les militaires français les jettent vivants des avions… Inutile de dire combien Pinochet et Videla sont redevables à ce que par la suite on connaîtra comme « l’école française de la terreur ».

Le débat sur le nombre de victimes de la répression est encore ouvert ; mais qu’il y en ait eu 30.000, 89.000 ou 100.000, selon les différents chiffres officiels évoqués par Paris, cela change peu la force du traumatisme, surtout si on reporte ces chiffres aux régions Sud et Est où eurent lieu les principales exactions, ne comptant pas plus de 700.000 habitants à l’époque.

Pour la France coloniale, après la répression, c’est l’occasion de favoriser l’accession aux responsabilités du PADESM, parti rival du MRDM, totalement désarticulé par le conflit. C’est du PADESM, une formation fortement ethniciste qui applique sur le terrain « la politique des races » initiée par Galliéni pendant la conquête de l’île, que sortiront la plupart des dirigeants qui prendront la tête du pays par la suite. Ceux-ci apportent bientôt à Paris de solides garanties pour que, par-delà l’Indépendance qui adviendra en 1960, la France puisse continuer à entretenir des rapports très particuliers avec son ancienne colonie, à l’image de ce qui se passe dans le reste de l’Afrique francophone jusqu’à nos jours.

Il ne manquait plus que d’enfouir ce massacre colonial ayant duré 21 longs mois sous le sceau de la dénégation. « On a fusillé un peu à tort et à travers » dira pudiquement le Président Vincent Auriol. Aveu de culpabilité, preuve d’un quelconque repentir ? En aucun cas. Aux générations futures de Malgaches, un certain François Mitterrand, ministre des Colonies en 1951, annoncera funestement que « l’avenir de Madagascar est indéfectiblement lié à la République française ».


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