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Impérialisme

Mali. Pourquoi un éventuel déploiement de mercenaires russes inquiète la France ?

L’arrivée du Wagner Group au Mali pourrait renforcer la présence russe dans la région, ce qui constitue une pression supplémentaire pour l’impérialisme français en Afrique.

Philippe Alcoy

16 septembre 2021

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La nouvelle a été dévoilée lundi dernier par Reuters mais visiblement il existait déjà des inquiétudes parmi les gouvernements occidentaux, notamment le français : l’entreprise de mercenaires russe Wagner Group serait sur le point de conclure un accord avec le gouvernement putschiste malien pour un déploiement de ses soldats dans le pays. Même si pour le moment rien n’a été signé certains membres du gouvernement malien ont affirmé qu’il existe des contacts entre les deux parties.

Selon les sources consultées par Reuters l’accord porterait sur le déploiement d’environ 1000 soldats au Mali (certains estiment que ce serait un nombre inférieur). L’ensemble coûterait 9,15 millions d’euros par mois à l’Etat malien mais aussi des concessions pour l’exploitation de trois gisements miniers par des entreprises liées à Wagner Group. Les mercenaires russes auraient en charge aussi bien la formation des militaires maliens et la protection des membres du gouvernement.

Une fois rendue publique, cette nouvelle a fait réagir les hauts dirigeants occidentaux, notamment français. En effet, Jean-Yves Le Drian a considéré que le Wagner Group est composé de « gens qui s’illustrent par leurs exactions, par les violations du droit humanitaire » et que leur déploiement au Mali « serait incompatible avec la présence internationale et européenne ». De son côté, la ministre des Armées, Florence Parly, a déclaré que « si un accord avait été passé pour déployer des mercenaires, ce serait incompatible avec notre stratégie au Sahel », sans dire clairement si dans un tel cas la France partirait du Mali. Cependant, certains spéculent sur le fait que la France pourrait éventuellement déplacer ses forces au Mali vers le Niger en cas d’accord avec Wagner Group.

D’autres dirigeants impérialistes ont aussi réagi pour s’opposer à une telle perspective. Ainsi, la ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer, a déclaré : « si la coopération entre le Mali et les groupes de mercenaires russes est confirmée, cela remet en question le mandat de l’armée allemande, la mission de l’ONU au Mali (Minusma) et la mission de formation de l’UE ». Ainsi, les financements internationaux pourraient être gelés pour le Mali, ainsi que la formation des forces armées maliennes.

Il n’est pas non plus un hasard qu’Emmanuel Macron ait annoncé à ce moment-là l’assassinat du leader de l’Etat Islamique au Grand Sahel, Abu Walid al-Sahrawi, sans cependant donner des précisions ni des détails sur l’évènement.

En effet, la France est très inquiète d’un tel développement dans un pays central pour ses intérêts au Sahel et en Afrique en général. Et cette inquiétude n’a rien à voir avec la lutte contre les groupes armés islamistes et encore moins avec la protection des droits humains des populations civiles, qui subissent des exactions de la part des islamistes, des milices locales mais aussi de la part des armées malienne et française. Si les dirigeants français dénoncent les violations des droits humains, bien réelles, de la part du Wagner Group, il faut aussi dire que ces crimes n’ont pas empêché la France de se trouver dans le même camp que les mercenaires russes en Libye, où tous les deux soutenaient le maréchal Khalifa Haftar.

Le fait est que la France se trouve en pleine réarticulation de sa présence militaire au Sahel où elle entend remplacer une partie de ses 5100 troupes par des troupes internationales, notamment européennes. Dans le contexte du départ chaotique des Etats-Unis et des forces de l’OTAN d’Afghanistan, et du sort catastrophique du gouvernement afghan, les autorités maliennes tentent d’accélérer la diversification de leurs partenaires internationaux. Dès lors, la Russie (et la Chine) apparaissent comme de potentiels soutiens. Et cela d’autant plus que depuis le début de l’intervention française en 2013, les organisations islamistes n’ont fait que se multiplier, et ont élargi leur influence dans différentes régions du pays et dans d’autres Etats du continent. Autrement dit, depuis le début de l’opération française la situation sécuritaire et militaire s’est dégradée.

Dans ce contexte, la Russie tente de remplir un certain vide que le redéploiement français laisse dans la région. D’autres puissances pourraient tenter de faire de même, comme la Chine. C’est une perspective catastrophique pour l’impérialisme français qui dépend fortement de son emprise économique, politique et militaire sur une partie importante du continent africain pour continuer à faire partie du groupe des grandes puissances mondiales. Le déploiement du Wagner Group signifierait sans doute ouvrir la voie aux capitaux russes dans divers secteurs et donc dans le même temps entraver les plans stratégiques de la France en Afrique.

De son côté le gouvernement malien conscient de ces contradictions tente de tirer profit de cette concurrence. Certaines organisations politiques manifestent également leur soutien à une implication russe au Mali. « Si Wagner est allé libérer la Syrie, si Wagner est allé libérer la République centrafricaine, alors nous accueillons Wagner à Bamako pour libérer le Mali. A la guerre asymétrique, nous proposons une solution asymétrique, qui s’appelle Wagner. C’est la vérité et aujourd’hui c’est la fin de la Françafrique » déclarait Adama Ben Diarra, porte-parole du collectif « Yerewolo - debout sur les remparts ». Cependant, une potentielle arrivée du Wagner Group au Mali n’aurait rien d’anti-impérialiste. La Russie réactionnaire de Poutine n’est nullement une alliée pour le peuple malien face à la Françafrique. Au contraire. Partout où interviennent les troupes russes (privées ou celles de l’armée russe) c’est pour défendre les intérêts du capitalisme russe et jamais ceux des exploités et opprimés.

Dans ce contexte, pour nous il s’agit de réaffirmer notre opposition aux interventions étrangères, et notamment des forces fraçaises, au Sahel. Ni le renforcement de l’intervention française ou sa réarticulation peuvent mettre fin à la barbarie islamiste au Sahel. L’intervention du Wagner Group ce n’est pas non plus une solution, comme toute ses interventions dans le continent le montrent.


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