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Gilets jaunes

Marcuse avec les gilets jaunes : le besoin vital de faire la révolution

C'est bien cette force, ce « virus » qui contamine l'ensemble du corps social que propagent les gilets jaunes, sur les ronds-points, dans les manifestations, dans leurs assemblées ; un virus que n'éradiquera ni la répression des flics, ni les chiens, ni le froid, ni les mutilés et les morts, ni les manoeuvres sordides du gouvernement. Car ce virus, en réalité, c'est le remède à cette société malade : c'est le besoin vital de faire la révolution.

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Les héritiers de Marcuse sont là, sur les ronds-points. Les gilets jaunes l’ont démontré : jamais le besoin de faire la révolution ne fut aussi vital. Et si le vieux philosophe de Berlin aurait à n’en pas douter lui aussi revêtu, à tout le moins par solidarité, le gilet jaune, l’occasion est donnée, dans cette situation qui ravive le spectre de la révolution, de raviver avec celui de Marcuse.

De l’intégration organique à la crise organique

« Je vais esquisser une définition du sujet révolutionnaire en disant : c’est une classe, ou un groupe, qui, en vertu de sa position et de sa fonction dans la société, expérimente un besoin vital et est capable de risquer ce qu’elle a pour obtenir dans l’ordre existant de remplacer ce système – un changement radical impliquant destruction, abolition du système existant. Je répète, une telle classe doit avoir un besoin vital de faire la révolution, et doit être capable de l’initier, voire de la mener à bien. Avec cette notion, la révolution sans la classe ouvrière industrielle est tout à fait inimaginable. D’un autre coté, précisément dans les sociétés les plus avancées du capitalisme, la majorité des classes travailleuses n’a pas ce besoin vital de révolution. Pouvons-nous réconcilier ces deux réalités qui sont évidemment en conflit ? »
Marcuse, revue Praxis, 1969

Le diagnostic, qu’illustre la citation en exergue, posé par Marcuse au cours de la période qui va d’Eros à Civilisation à Vers la libération en passant par l’Homme unidimensionnel soulève, déjà, les interrogations d’une extrême-gauche confrontée, du moins dans les pays impérialistes, à un paradoxe : bien que les conditions objectives pour la révolution soient plus mures que jamais, voire déjà pourries, le mouvement ouvrier, de son coté, est comme entré en hibernation prolongée.

Ce constat est toutefois moins tranché qu’il n’y parait. Loin d’absolutiser de façon intégrale la capacité des sociétés industrielles avancées à intégrer la contestation, la pensée de Marcuse est plutôt le produit d’hésitations, de revirements, et oscillations qui traduisent, autant qu’elles trahissent, les coordonnées socio-politiques dans lesquels ce dernier était plongé – exil aux Etats-Unis, coupure d’un mouvement de masse, renforcement des mécanismes autoritaires dans les « démocraties » occidentales. [Voir plus en détail l’article d’Emmanuel Barot.]

Car en effet, à bien des moments, Marcuse pose explicitement la question de la pérennité de « l’Etat de Bien-Être », et de sa capacité à surmonter perpétuellement ses contradictions par l’intégration dans la société de consommation. Inquiétude plutôt que pessimisme de la pensée marcusienne. « En résumé , écrit Marcuse dans l’Homme Unidimensionnel : C’est l’avenir de l’Etat de Bien-Etre qui décidera de la possibilité de bloquer la révolution – possibilité qui existe en conséquence d’une politique de domination technologique. Un tel Etat semble capable d’élever le standard de vie en l’ « administrant ». C’est une capacité inhérente à toutes les sociétés industrielles avancées où l’appareil technique est très efficace – il et organisé sous forme de pouvoir indépendant des individus – et fonctionne en développant et en intensifiant la productivité. Dans ces conditions, si la liberté et l’opposition s’affaiblissent, il ne faut pas envisager ce phénomène comme un problème intellectuel ou moral, il ne s’agit pas de détérioration ou de corruption. Il s’agit plutôt d’un processus social objectif dans la mesure où la production et la distribution d’une quantité croissante de marchandises et de services créent une attitude rationnelle de conformité à la technologie. »
[l’Homme Unidimensionnel, p.73]

C’est justement l’avenir de cet « Etat de Bien-Etre » qui est aujourd’hui profondément ébranlé par la crise économique de 2008, marquant un saut dans la décomposition de l’ordre bourgeois et des tendances à la crise organique.« Si la classe dominante, écrit Gramsci, a perdu le consentement, c’est-à-dire qu’elle n’est plus "dirigeante", mais uniquement "dominante", et seulement détentrice d’une pure force de coercition, cela signifie précisément que les grandes masses se sont détachées des idéologies traditionnelles, qu’elles ne croient plus à ce en quoi elles croyaient auparavant. La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés. » « Crise de l’état dans son ensemble », c’est-à-dire de toutes les médiations et courroies de transmission assurant habituellement l’hégémonie bourgeoise : presse, syndicats, partis, etc.

[Voir aussi pour une définition plus approfondie de la tendance contemporaine à la crise organique l’article d’Emmanuel Barot.]

Comme la caractérise Gramsci, la tendance à la crise organique ouvre une situation éruptive marquée par des situations de forte conflictualité dont les gilets jaunes sont une expression.

Un besoin de révolte qui vient de loin

La première chose à noter, dans le mouvement des gilets jaunes, c’est la profondeur, l’enracinement de cette révolte qui a rouvert l’actualité de la révolution dans tout ce qu’elle a de plus vitale.

Quarante années de néolibéralisme n’ont pas été sans accumuler un capital explosif de frustration, de colère ; la dégradation des services publics, l’abandon territorial – une cause parmi d’autres du mouvement des gilets jaunes – etc., autant de facteurs de désintégration économique, sociale, politique et morale qui ont réveillé ce besoin vital de révolte. « Une chose est certaine,  écrit Camille Peugny, sociologue, dans une tribune au Monde : devant nos yeux explose le résultat de vingt ans de politiques néolibérales qui fracturent la société française, créent des nouveaux clivages et font à nouveau exploser les inégalités. Ce n’est pas nouveau : on observe depuis plusieurs années des conflits à bas bruit dans le monde du travail... »  
Des conflits à bas bruit qui explosent aujourd’hui dans la conflagration d’un mouvement de masse éruptif et spontané ; un mouvement d’autant plus dangereux que, comme explicité plus haut, les habituels appareils de contention ayant perdu de leur efficacité, le gouvernement peine à ramener cette contestation sur un terrain institutionnel.

Certes, et c’est ce qui a pu dans un premier temps décontenancer les observateurs, jusque et y compris au sein de l’extrême-gauche, il s’agit là d’un mouvement polyclassiste. Mais ne nous y trompons pas, loin en effet de se cantonner à un mouvement de la « classe moyenne », constellation au demeurant floue, c’est bien la classe ouvrière qui est là, dans toute son hétérogénéité objective et subjective.

« Je suis ainsi frappée  , écrit Camille Peugny dans la même tribune, par la variété des professions qui se mobilisent actuellement : des fonctionnaires de catégorie C, des aides-soignantes, des techniciens du privé, des employés, des aides à domicile, des caissières… Autant de personnes qui partagent ce sentiment que leur avenir est bouché et qu’ils ne sont que des variables d’ajustement condamnées à des vies au salaire minimum... [nous soulignons]. Ce qui fait la force des « gilets jaunes », c’est l’expression collective de gens aux prises avec les mêmes difficultés. En se retrouvant sur les ronds-points, ils s’aperçoivent qu’à côté de chez eux, il y a des milliers de personnes qui vivent et pensent la même chose. »

Des personnes jusque là « intégrées », ou supportant avec une passivité relative ce processus de lente désagrégation sociale, sont poussées, par les conditions mêmes dans lesquelles ils sont plongés, à se révolter – pour la plupart pour la première fois de leur vie. Constellation de groupes sociaux dont la coalescence est opérée, en grande partie, sur des question objectives de classe, et dont l’aspect le plus éminemment vital est celui du niveau de vie, « la vie chère » – comme en témoignent les premières études sociologiques portant sur la composition du mouvement des gilets jaunes publiée dans le Monde : « Les premiers résultats d’une étude de sociologues, politologues et géographes sur cette mobilisation démontrent que les manifestants portent des revendications sociales plutôt que nationalistes […]. Le revenu médian du foyer déclaré représente 1 700 euros par mois, soit environ 30 % de moins que le revenu médian moyen déclaré de l’ensemble des ménages (enquête " Revenus fiscaux et sociaux " 2015 de l’Insee). Les participants aux actions des " gilets jaunes " sont donc pour la majorité d’entre eux des individus aux revenus modestes [...]. Pour presque la moitié des répondants (47 %), le mouvement des " gilets jaunes " constitue leur première mobilisation. »

Les gilets jaunes : la (re)naissance du principe d’espérance

« En langage scientifique c’est une « improbabilité infinie qui se produit régulièrement […].C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur « bonne nouvelle » : « Un enfant est né. » 
Hannah Arendt,  La Condition de l’Homme moderne  

Si la politique n’est pas faite d’images, du moins pas seulement, il en est qui incarnent à elles seules ce qu’est et peut être la politique. En l’occurrence la naissance, sur un rond-point bloqué par les gilets jaunes, d’une petite fille, Calie, à laquelle les gilets jaunes ont par la suite offert des cadeaux. Comme le rapporte le journal 20 Minutes, la naissance fut une véritable scène de liesse : « Quelques heures après la naissance de sa fille, le papa est retourné sur le rond-point pour annoncer la bonne nouvelle aux « gilets jaunes ». Ces derniers se sont ensuite rendus à la maternité pour offrir des cadeaux à la maman et au bébé. »

La « bonne nouvelle » de la naissance comme la métaphore d’un mouvement de masse spontané, naissant, qui inscrit le besoin de faire la révolution dans les tréfonds de la constitution « biologique » des êtres humains, au même titre que celui de donner la vie.

Une précision liminaire ici toutefois : biologique est à entendre non pas en un sens naturaliste, mais, tel que le définit Marcuse, à la lisière de la constitution historique de la « nature humaine » et des besoins physiologiques socialement institués, qui finissent par faire partie intégrante de la constitution vitale des êtres humains : « Biologique », « biologie », précise Marcuse, ne font pas ici référence à la discipline scientifique de ce nom ; j’en m’en sers pour qualifier la dimension et le processus suivant lesquels des penchants, des types de comportement, des aspirations, deviennent des besoins vitaux, dont l’insatisfaction entradmirait un dysfonctionnement de l’organisme. Inversement, des besoins ou des aspirations induits par la société peuvent aboutir à une conduite organique plus apte à procurer du plaisir. Si l’on définit les besoins biologiques comme ceux dont la satisfaction est absolument nécessaire et ne se satisfait d’aucun substitue, certains besoins culturels peuvent « s’enfoncer » dans la biologie de l’homme. On pourrait alors parler, par exemple, du besoin biologique de liberté, ou de certains besoins esthétiques qui auraient pris racine dans la structure organique de l’homme, dans sa « nature » ou plutôt sans sa « seconde nature ». Cet usage du terme de biologique n’implique ni ne préjuge rien quant à la manifestation ou à la transmission physiologique des besoins. »
[Marcuse, Vers la libération, p.28]

En effet, ce qui est frappant, décisif même d’un point de vue politique, dans le mouvement des gilets jaunes, c’est la double dimension de la négativité qu’ils incarnent : à la fois refus et critique d’une vie qui n’est plus qu’une survie, ou une sous-vie, et en même temps le dessin en creux, l’émergence d’une autre façon de vivre, voir et échanger. Peut-être, mais nous n’en savons rien, que prend naissance ici une autre forme de vie historique : autour des ronds-points et péages, dansant autour d’un feu allumé avec des pneus et de la tôle, dans ces abris de fortune résistant aux intempéries et à la brutalité des forces de l’ordre (« Il faut pas croire que les gilets jaunes ne reviennent pas. Une heure après, les gilets jaunes on revient, on reconstruit notre cabane. » dit un gilet jaune au micro de Révolution Permanente). Celui qui prend de haut ces gens qui dansent ici depuis des jours et jours autour des ronds-points, se réunissent et bâtissent, physiquement, sur les débris du vieux monde en décomposition, avec leurs cabanes, leurs barricades, leurs chansons, leur humour, une autre forme de vie, celui qui prend de haut cette fête perpétuelle dans les ronds-points n’a pas vu que c’est ici que nait, de façon balbutiante, cette « nouvelle sensibilité » évoquée par Marcuse : « C’est pour cette raison même que la nouvelle sensibilité est devenue une praxis : elle surgit à ce moment du combat contre la violence et l’exploitation où apparaissent la revendications de types et de formes de vie nouveaux, la négation de l’ordre établi, de sa moralité et de sa culture, l’affirmation du droit qu’a l’individu de lutter contre la misère et le labeur, pour parvenir à un univers où le sensible, le ludique, le calme, le beau, deviennent des formes de l’existence et par là la Forme même de la société. »
[Vers la libération p. 53]

« Péage en feu, mariage sur l’autoroute... Sept scènes improbables [nous soulignons] lors des manifestations des "gilets jaunes" », ainsi titre France Info, recensant certaines des actions effectuées par les gilets jaunes. « Improbable » est le mot qui convient, en effet. Contre toute attente, défiant toute probabilité, remettant en cause l’ordre bien réglé qui régit le « principe de réalité », certaines des scènes que l’on a pu observer, et que l’on n’a certainement pas fini d’observer, au cours du mouvement des gilets jaunes, méritent qu’on s’y attarde. Non pas tant, comme le fait France Info, et l’ensemble des média bourgeois, pour y dénoter quelque chose d’improbable, mais justement pour en dégager une « probabilité objective », une possibilité réelle inscrite dans l’ordre des faits ; autrement dit, une autre façon de vivre.

Défiant la fatalité inscrite dans l’ordre des faits, et qui tend à mystifier l’ordre social pour le faire passer pour un ordre naturel, les gilets jaunes ouvrent, mais peut-être à leur insu, l’espace pour qu’émerge l’utopie. Ils et elles dévoilent l’irrationalité d’un ordre social absurde qui, comme le dit un gilet jaune au micro de Révolution Permanente : « appauvrit les pauvres et enrichit les riches ».

Non pas une utopie fantasmée, mais une utopie concrète, qui prend appui sur l’ordre des faits pour, le sapant de l’intérieur, y bâtir quelque chose de nouveau, comme une renaissance du principe d’espérance qui rendrait à nouveau actuelle la coïncidence de la transformation de la vie et des conditions vie dans un même mouvement révolutionnaire.

Vers la libération ?


"Etre gilet jaune, c’est vouloir mieux vivre !
Diviser pour mieux régner ? Aujourd’hui, c’est fini !
On est tous conscients que c’est ça notre force, cette solidarité qu’on est en train de créer !"
Christophe, ancien ouvrier de Latécoère : Christophe, ancien ouvrier de Latécoère

Je ne saurais dire ce qui est le plus beau dans cette histoire d’un couple de gilets jaunes se mariant sur un péage. La rencontre sur le rond-point qui culmine dans un mariage, le mariage sur le péage, le mariage qui se conclut par un discours, si drôle, si vivant – « Vu la conjoncture actuelle, vous allez devoir vivre d’amour et d’eau fraîche, et de la soupe populaire. » – discours ponctué d’insultes bouffonnes à Macron, le tout à la façon d’un carnaval.

Peut-être qu’un jour, on ne trouvera plus ni grotesque ni fantasque de se marier sur un péage, avec qui on veut, quand on veut. Et qu’après tout, il sera possible de vivre d’amour et d’eau fraiche – et plus encore. L’utopie est-elle encore vraiment un « non-lieu », au même titre que la révolution ?

En effet, l’utopie promise par les gilets jaunes, dans leurs actes et leurs discours – aspiration à une vie plus digne, une vraie vie, une vie faite de loisir, au sens propre du terme, à l’opposé d’une vie soumise au principe de rendement – a vite fait d’être brocardée, surtout par les classes dominantes, et rangée derechef au magasin des curiosités – quand ces actions n’attesteraient pas explicitement d’une forme d’arriération au sein des masses.

Non-lieu, donc, de l’utopie, au sens où l’imagination d’une autre forme d’organisation de la société, plus rationnelle, fondée sur la satisfaction des besoins et l’apaisement des tensions et de l’angoisse semble irrémédiablement « impossible » et remisée.

C’est ici que les rapports de Marcuse peuvent être les plus décisifs.
En effet, à travers sa « contribution à la philosophie de la psychanalyse » dans Eros et Civilisation, Marcuse propose une relecture radicale des thèses freudiennes. Postulant à cet effet une historicité radicale des fondements instinctuels du principe de plaisir et de réalité, Marcuse, par le détour assumé aux Manuscrits de 1844, et sans la moindre once « d’idéalisme », fait sauter le principe même du « principe de réalité ». Distinguant entre la part « rationnelle » du principe de réalité, et sa part irrationnelle, il établit une frontière entre « répression » et « sur-répression », la seconde découlant de la structure même des rapports sociaux capitalistes qui, enrôlant les instincts de vie et de mort, Eros et Thanaos, au service du « principe de rendement », se caractérise par une répression accrue du principe de plaisir au détriment du principe de mort, détournant les pulsions vers les activités de destruction – la guerre – et la production de marchandises. Déflation et atrophie de l’Eros au profit de Thanatos.

Marcuse pose néanmoins par cette reformulation historicisante des thèses freudiennes les bases d’une économie pulsionnelle qui aurait pour fondement non plus le principe de mort mais celui de vie, le fondement biologique du socialisme, à savoir le regroupement en unité toujours plus large des individus, par opposition à l’atomisation et l’individualisation de la société capitaliste. Une forme d’union telle qu’on la voit, déjà, sur les ronds-points, où encore lorsque deux retraités gilets jaunes qui se sont rencontrés en manifestations finissent par tomber amoureux.

Tout au contraire de Freud, pour qui le bonheur est impossible dans le cadre de la civilisation, Marcuse déplace la question. Le bonheur est impossible dans cette société, certes, mais la cause est à chercher dans les fondements de cette civilisation répressive, qui contraint au travail et à la souffrance, produit la misère, la mort et l’affliction. Mais rien n’est dit que cette forme de civilisation soit éternelle. En effet nous dit Marcuse, le progrès technologique et culturel offre, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la possibilité de réaliser ce qu’on n’a pu qu’entrapercevoir jusque-là dans l’art : à savoir la « promesse de bonheur » – selon la formule de Stendhal.  « On a recouvert du voile technologique le pur intérêt de classe qui opère dans la marchandise. « Est-il encore nécessaire, d’expliquer que ce ne sont pas la technologie, la technique, la machine, qui exercent la domination, mais seulement la présence, dans les machines, de l’autorité des maitres, qui en déterminent le nombre, la durée d’existence, le pouvoir et la signification dans la vie des hommes, et qui décident du besoin que l’on a d’elles ? Est-il encore nécessaire de répéter que la science et la technologie sont les principaux agents de la libération, et que seule leur utilisation restreinte dans la société répressive en fait des agents de domination ? »
[Vers la libération, p. 30]

Vision formidable déjà esquissée par Marx dont le souffle utopique, qui ne perd rien en portée scientifique ni stratégique, marque la sortie hors du royaume de la nécessité et l’entrée dans le domaine de la liberté, se dégageant du temps – et de l’espace – par la production automatisée des biens de première nécessité. Libre développement et épanouissement des facultés humaines qui dispose, pour la première fois de l’histoire humaine d’une base réelle – le progrès technologique et scientifique – qui peut enfin être employé à la libération. « Moins il faut de temps à la société pour produire du blé, du bétail etc., plus elle gagne du temps pour d’autres productions, matérielles ou spirituelles, écrit Marx. De même chez un individu, l’universalité de son développement, de sa jouissance et de son activité dépend de l’économie de son temps […]. L’astuce est au contraire que le temps de travail nécessaire à la satisfaction des besoins absolu laisse du temps libre et que l’on puisse ainsi créer un surproduit en faisant du surtravail. Le but est justement d’abolie ce rapport nécessaire, et que, finalement, la production matérielle laisse à chacun un surplus de temps pour d’autres activités. »
[Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, dits « Grundrisse », Editions Sociale, p. 571]

« Conception utopique ? interroge Marcuse dans Vers la libération, paru après la révolte de 68. En réalité poursuit-il, elle [l’utopie] a été la grande force, réelle, transcendante, l’idée neuve, de la première révolte puissante contre l’ensemble de la société existante de cette révolte qui visait une transmutation raciale des valeurs, une transformation qualitative du mode de vie : la révolte en mai en France. Les graffiti de la « jeunesse en colère » Josiane Karl Marx à André Breton ; le slogan « L’imagination au pouvoir » répondait à « Les comités partout » ; un pianiste jouait du jazz sur les barricades [une scène, qui, par un heureux hasard, s’est répétée : un pianiste a en effet joué au milieu d’une autoroute aux cotés de gilets jaunes], et le drapeau rouge ne déparait pas la statue de l’auteur des Misérables ; les étudiants en grève à Toulouse demandaient la renaissance de la langue des troubadours et des Albigeois. La nouvelle sensibilité est devenue une force politique, elle dépasse les frontières entre les blocs socialistes et capitaliste ; elle est contagieuse parce que le virus s’en trouve dans l’ambiance même, dans le climat, des société établies. »

[Vers la libération, p.48]

C’est bien cette force, ce « virus » qui contamine l’ensemble du corps social que propagent les gilets jaunes, sur les ronds-points, dans les manifestations, dans leurs assemblées ; un virus que n’éradiquera ni la répression des flics, ni les chiens, ni le froid, ni les mutilés et les morts, ni les manoeuvres sordides du gouvernement. Car ce virus, en réalité, c’est le remède à cette société malade : c’est le besoin vital de faire la révolution.


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