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Après la France, les USA

Mariage pour tous. Quelle orientation pour le mouvement LGBTI ?

Seb Scorza Ces derniers jours on a connu plusieurs victoires pour l'égalité des droits dans le monde. Aux États-Unis suite à un vote de la Cour suprême le 26 juin, le mariage pour les couples du même sexe a été autorisé dans tout le pays. En Irlande, le mariage pour tous a été arraché lors d'un référendum, ce que l'Eglise catholique a qualifié de « défaite morale pour l'humanité ». En Équateur, l'union de fait a finalement été reconnue, malgré un gouvernement de gauche dans les discours mais conservateur dans les faits. Enfin, au Mozambique, l'homosexualité a été dépénalisée lundi dernier dans le cadre d'une révision du Code Pénal. Mais malgré ces avancées, la lutte des LGBTI continue pour ceux et celles qu'on essaye de laisser de côté et parce que l'égalité dans la loi ne veut pas dire égalité dans la vie.

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La longue marche des droits des LGBTI

C’est pour cela qu’on a également vu dernièrement des mobilisations importantes dans des pays où les gouvernements homophobes soit refusent de céder sur les droits des gays, lesbiennes et trans, soit ils les répriment ouvertement. Au Chili une manifestation imposante de 50 000 personnes réclamait au gouvernement de Bachelet une Loi d’Identité de Genre. Au Pérou, la jeunesse fait un réveil politique autour de la question des droits démocratiques comme la lutte pour l’union civile pour les couples du même sexe ou le droit à l’avortement. Ou encore en Serbie où la droite homophobe a fait plus de 150 blessés sans pouvoir empêcher la tenue de la marche des fiertés. On a vu des situations semblables lors des marches des fiertés en Russie ou en Ukraine.

Les images qui ont le plus circulé internationalement sont celles de la Turquie, où la marche des fiertés a été férocement réprimée avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des cannons à eau. Si, en Turquie, l’homosexualité n’est pas pénalisée, la communauté LGBTI dénonce une répression insidieuse (interdiction d’accès à des sites de rencontres) et un harcèlement quotidien de la part de l’État. Les autorités ont justifié cette fois-ci l’attitude de la police en argumentant que la marche avait lieu au même moment que le mois du Ramadan.

Un Obama « gay-friendly » ?

La décision de la Cour suprême américaine est le résultat d’une très longue lutte qui commence en 1969 avec l’émeute de Stonewall, l’étincelle qui a déclenché la lutte ouverte pour la liberté sexuelle et de genre. Obama déclarait il y a quelques jours, dans un discours très émotif, qu’il s’agissait d’une « victoire pour toute l’Amérique » et qu’« aujourd’hui nous faisant un grand pas dans le chemin de l’égalité ».

Mais ce serait facile de retomber dans la démagogie des gouvernements impérialistes d’Obama ou Hollande qui essaient de repeindre en rose leurs politiques antisociales. Alors que les Etats-Unis commémorent une conquête historique pour les personnes LGBTI, l’impérialisme américain reste toujours un impérialisme oppresseur contre les LGBTI, les noirs, les latino-américains, les musulmans, etc. La LGBTI-phobie mutile et tue encore tous les jours tant aux USA qu’en France. Rien qu’aux USA, Taja Gabriel a été assassinée pour être noire et trans par la police de son pays, Rachel Bryck, femme trans, s’est suicidée à New York à cause du harcèlement transphobe qu’elle subissait, Leelah Alcorn, s’est suicidée à 17 ans en raison de la transphobie de ses parents, Devin Norman a été défiguré dans un parking de supermarché par un agresseur homophobe, et ce ne sont que les noms que la presse a retenu.

Dans le cadre du mois de célébration de la fierté LGBTI à la Maison Blanche, une militante trans d’origine mexicaine, Jennicet Gutiérrez, a interrompu le discours du Président Obama pour dénoncer la persécution subie par les personnes LGBTI immigrées aux Etats-Unis. Elle l’a interpellé en disant : « Président Obama, libérez tous les LGBTI prisonniers dans les centres de rétention ! Président Obama, arrêtez les tortures et les abus contre les femmes trans dans les centres de rétention ! ». Ce à quoi Obama a répondu : « Écoutez, vous êtes chez moi » ; et qu’elle devrait avoir honte de ce qu’elle faisait, tandis que le service de sécurité l’expulsait des lieux.

La grande victoire de l’égalité des droits en Amérique reste un acquis formel, dans un cadre juridique. Obama n’est donc pas devenu un symbole des opprimés, sinon l’impérialisme américain ne traiterait pas les noirs comme des criminels ou comme un ennemi intérieur, ni les LGBTI étrangers comme une menace à la sécurité intérieure, ainsi que le dénonçait Jennicet Gutiérrez. Aux USA, la lutte des LGBTI est donc aussi celle des noirs, des femmes, des immigrés, etc.

Alors que la Maison Blanche était illuminée le 26 juin par les couleurs du drapeau des LGBTI, nous devons revendiquer que nos couleurs soient celles de milliers d’homosexuels, lesbiennes, bis et trans assassinés dans le monde entier tous les jours, celles de la liberté sexuelle et de toutes les formes d’amour. Pour qu’on puisse enfin accéder aux droits qu’a n’importe quel hétérosexuel, pour pouvoir dire : « Me marier ? Non, merci ».

En France, une marche en voie de dépolitisation

Si, comme en France, aux USA le mariage pour tous a été une des revendications phares du mouvement LGBTI, on peut se demander : vers où se dirige-t-on maintenant ? Cette inquiétude a été exprimée par Chelsea E. Manning, femme trans américaine, ancienne militaire actuellement en prison pour avoir filtré des documents de l’armée où étaient démontrés les crimes de l’armée américaine en Irak. Dans une tribune dans The Guardian elle écrivait : « Je m’inquiète du fait qu’avec le mariage pour tous, la communauté queer se demandera comment faire face à une société qui veut toujours définir qui nous sommes – et de qui dans notre communauté voudra continuer à lutter pour plus d’égalité pour les personnes transgenre et queer, maintenant que cette revendication a été atteinte. »

La marche des fiertés parisienne serait loin de rassurer Chelsea Manning, car des revendications telles que les droits des trans ou la PMA en étaient les grands absents. D’autant plus que les secteurs les plus radicaux et politisés avaient choisi de participer à la « Pride2nuit », organisée la veille pour contester la politique des organisateurs de la Marche, qui s’étaient illustrés par la production d’une affiche plus qu’ambiguë sur la question du nationalisme.

Ainsi, les droits des trans sont progressivement évacués des revendications du mouvement LGBTI en France, au profit d’une « carnavalisation » de la marche. Alors que le recul sur le droit au changement d’état civil, ou la discrimination sur la base de l’identité de genre, font partie d’une longue liste de promesses non tenues par le gouvernement sur ces sujets, où l’on trouve également la PMA. Malheureusement, les organisations du mouvement LGBTI sont partiellement responsables de cette situation car l’Inter-LGBT, qui regroupe une large partie des organisations (partis, syndicats et associations) LGBTI en France, se caractérise aujourd’hui par une politique trop conciliatrice avec le Parti Socialiste. Il y a quelques jours seulement, l’Inter-LGBT a refusé de voter en son sein pour le maintien de la revendication du changement d’état civil libre et gratuit pour les personnes trans, alors qu’elle avait signé un communiqué en 2014 comprenant cette demande. Si dans plusieurs pays une loi sur l’identité de genre a été adoptée (l’Argentine, le Danemark, Malte), la France reste un pays où la condition des trans est la plus difficile à vivre, avec un mouvement LGBTI qui refuse d’exiger sans concessions leurs droits.

La dépolitisation de la Marche des fiertés avance à grands pas. Que ce soit avec le camion/boîte de nuit du Conseil Régional Île-de-France dont le but est de laver la face du Parti Socialiste à coups de musique techno et de distribution de capotes gratuites, avec la présence d’un cortège d’une agence de tourisme qui organise des voyages gay-friendly vers Tel Aviv, et la présence de Flag !, l’association des policiers et gendarmes gays, ou, a contrario, l’absence d’un pôle radical dans la Marche. On peut également citer les positions tenues par l’Inter-LGBT lors des réunions d’organisation de la Marche où elle s’inquiétait du niveau rouge du Plan vigipirate, pour demander plus de policiers présents à la Marche, pour nous sauver de la menace de Daesh... Il aura fallu 40 ans pour que le mouvement LGBTI passe de lancer des pierres sur la police lors des émeutes de Stonewall à demander plus de policiers pour assurer la sécurité des cortèges.

Le mouvement LGBTI naissant revendiquait certes plus de droits démocratiques (dépénalisation, mariage, adoption, etc.), mais il questionnait aussi profondément le système capitaliste hétéropatriarcal, tout comme les relations amoureuses que celui-ci produit et entretient. Il mettait aussi l’accent sur le clivage de classe dans sa lutte pour notre émancipation. Notre allié pouvait être noir, musulman, etc. mais ne pouvait pas venir des rangs de la bourgeoisie qui défend une stratégie de conciliation, souvent compatible avec une rhétorique radicale d’« empowerment », mais toujours respectueuse de ses privilèges de classe.


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