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A gauche du PS

Mélenchon ou la solitude du héros

A défaut de pouvoir avancer avec ses partenaires du PCF, Mélenchon avance avec les journaux et le monde de l’édition, scénarisant son propre personnage qui, « même très entouré, [ressent] quelque chose comme la solitude des premiers de cordée ». Rien que ça… Ainsi, après la sortie de son pamphlet Le hareng de Bismarck sur lequel nous reviendrons, Le Monde lui offre une pleine page dans son édition du 25 juin. Au moment où le gouvernement Tsipras capitule sur toute la ligne devant ses créanciers, alors que les amis de Mélenchon quémandent un traitement plus humain de la Grèce à Hollande, le chef du Parti de Gauche revient sur quelques vieilles lunes et expose ses solutions miracles pour sortir la gauche radicale de la torpeur. Des solutions ?

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La faute à Bruxelles

Pour que les choses soient claires, et sans s’encombrer de trop de fioritures, il s’agit de désigner un ennemi. A l’origine de la crise, le capital ? Que nenni. Berlin, évidemment. Ce que Mélenchon décrit à longueur de paragraphes dans Le hareng de Bismarck, il le synthétise en quelques lignes dans cette interview : « l’Europe a été annexée par le gouvernement allemand ». Admettons que cette espèce de resucée stalinienne version 2.0 ait une quelconque pertinence, quelle serait la solution de Mélenchon ? Un grand mouvement du monde du travail à échelle européenne ? Mais non ! La France, notre cher pays, suffit. « Je mise sur la puissance de la France, dit-il, si nous la dirigeons [avec un nous de majesté d’une grande immodestie], pour changer le cours des choses ». Marine Le Pen déclarait, il y a peu, au sujet de la dette grecque et du chômage en France, que le responsable de tout cela était « l’hyper-austérité allemande ». Mélenchon, lui, veut un « protectionnisme solidaire, une harmonisation sociale et fiscale progressive (…) pour une Europe des conquêtes sociales ».

La faute aux alliances avec les socialistes

De façon spéculaire à ce que prône l’extrême droite avec la droite classique, à savoir « la rupture » ou l’autonomie, Mélenchon propose la même solution pour la gauche radicale. Sur cet élément, au moins, il y a une certaine cohérence chez lui. Syriza et Podemos, dans la courbe ascendante qui a été la leur, ont misé sur une indépendance totale vis-à-vis des partis traditionnels, notamment à l’égard de la social-démocratie espagnole et grecque. Cela n’a pas empêché, bien entendu, Podemos de passer des accords locaux avec les socialo-corrompus espagnols ou Tsipras de gouverner avec l’extrême droite d’ANEL. Mais qu’importe. Tout ceci n’est que broutille pour Mélenchon. Le problème pour lui, c’est surtout que ses partenaires naturels, à savoir le PCF et les écolos, ne décrochent pas de leur stratégie de strapontin permanent vis-à-vis du PS, malgré leurs oscillations.

La nouvelle équation

Niveau programme, Mélenchon « innove » et plaque ce qui a pu faire le succès d’un Podemos sur le panorama politique hexagonal : « une alliance entre les classes moyennes et le programme écosocialiste ». La combinaison « mouvement plébiscitaire » et « personnalisme du chef » qui caractérise, pour partie, Podemos et Pablo Iglesias, pourrait parfaitement convenir à Mélenchon, on en convient. Mais comme on n’est jamais plus clair que lorsqu’on parle à la première personne, il est intéressant de s’attarder sur le degré de « radicalité » de l’équation proposée par le chef du Parti de Gauche : classes moyennes + écosocialisme + mouvement…

Quand on le pousse dans ses retranchements, d’ailleurs, il cède sur toute la ligne. L’opposition « frontale » qu’il prône, vis-à-vis « du système », a eu un impact réel, selon lui. Elle aurait obligé « les socialistes à bouger [où ? comment ?] et à passer sur notre terrain [!] avec le discours sur la finance ». Mélenchon affectionne, sur son blog, le terme normatif et quasi-eugéniste (en tout cas, peu humaniste) « d’idiot du village ». Peut-être devrait-il l’appliquer avec davantage de discernement.

Des mots, ou des coups ?

En parallèle de son ami Tsipras, « qu[‘il] connaît » et en qui il a « confiance », il reconnaît que ceux que le Premier ministre grec a devant lui sont d’une « dureté » extrême. Face à Christine Lagarde, Jean-Claude Juncker et Mario Draghi, représentants de la Troïka, il faudrait donc, a minima, opposer une « dureté et demie », voire le double. Mélenchon se contente d’avoir confiance et, pour la France, en guise de grande dureté il se contente de son mot d’ordre « révolutionnairecomme celui de la VIème République ».

« L’échange des mots, dit Bernard-Marie Koltès dans la ‘Préface’ de Dans la solitude des champs de coton, ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange des coups ». Mélenchon, sous ses dehors de « dur à cuire », absolument seul contre tous, privilégie les mots, les mots les plus erronés, de surcroît, et c’est tout. Non seulement il ne nous prépare pas « aux coups » mais il désarme face à ceux qui continuent à pleuvoir sur nous. Voilà une autre leçon à tirer, pour l’extrême gauche, notamment le NPA, si elle ne veut pas être « indétectable », ce que Mélenchon reproche au Front de Gauche. Elucubrations sur Bruxelles, autonomie vis-à-vis du PS et suivisme syrizo-podemosiste ne font pas une politique révolutionnaire. Mais de surcroît, ces mots d’ordre nous aplatissent sur les pires positions de Mélenchon.


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Emmanuel Barot

@BarotEmmanuel
Enseignant-chercheur en philosophie

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