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Elections législatives

« Meloni tente de canaliser la colère sociale par la xénophobie ». Entretien avec Giacomo Turci

Alors que la politicienne d’extrême-droite Giorgia Meloni pourrait devenir première ministre après les élections ce dimanche, entretien avec Giacomo Turci, éditeur du journal La Voce delle Lotte et dirigeant de la Fraction Internationaliste Révolutionnaire (FIR) en Italie.

Giacomo Turci

25 septembre 2022

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Crédits photo : AFP

Ce dimanche 25 septembre, les Italiens se rendent aux urnes pour élire un nouveau gouvernement et un nouveau parlement. Les élections anticipées interviennent deux mois après l’effondrement du gouvernement italien et la démission du Premier ministre Mario Draghi. Le bloc de droite, qui intègre le parti en tête des sondages, les Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, devrait l’emporter.

A cette occasion, nous relayons l’interview de Giacomo Turci, militant italien, éditeur de La Voce delle Lotte et dirigeant de la Fraction Internationaliste Révolutionnaire (FIR), sur les origines de cette crise politique, la montée de la droite et la perspective proposée par la FIR.

Izquierda Diario : Les élections ont lieu ce dimanche et il semble très probable qu’un gouvernement sera formé avec l’extrême droite et la droite. Comment se présentent les tendances électorales ?

Giacomo Turci : Oui, les derniers sondages donnent à la coalition de droite une avance d’environ 20 points sur le centre-gauche et le parti populiste M5S. Cette coalition de droite est principalement composée du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, de la Ligue de Salvini et de Forza Italia de Berlusconi. Il est désormais clair que c’est cette coalition qui remportera les élections.

La formation du gouvernement sera une question plus complexe qui dépendra, en premier lieu, du nombre de sièges obtenus au Parlement. Il se pourrait que la majorité gouvernementale formée soit en partie différente de celle qui a remporté le vote.

Ce qui est certain, c’est que la loi électorale italienne avec un système majoritaire fausse considérablement la représentation parlementaire par rapport à l’influence réelle des partis dans le pays.

ID : Ce système électoral est très peu démocratique et favorise dans ce cas l’alliance de droite, pouvez-vous nous expliquer comment il fonctionne ?

La loi électorale combine deux systèmes pour compter les députés élus lors de ces élections. D’une part, la représentation proportionnelle et, d’autre part, un système de majorité uninominale. Ce dernier signifie que le candidat ayant obtenu le plus de voix l’emporte et que les autres partis sont laissés sans représentation. Comment ces deux systèmes sont-ils combinés lors d’une élection ? 62,5 % des sièges sont élus selon la méthode proportionnelle – au pourcentage des voix obtenues par chaque parti - et les 37,5% restants selon le système majoritaire dans le cadre de scrutins uninominaux. Ce système, qui a été approuvé en 2017 et qui cherche clairement à favoriser la consolidation de de grandes coalitions, favorise aujourd’hui grandement la coalition de droite. Pour bien comprendre, avec ce système, une coalition qui obtient 45% du total des voix, peut obtenir 70% de la représentation parlementaire.

Cela pourrait ouvrir la voie à ce que la droite opère des changements constitutionnels, en comptant sur cette large majorité de députés, même si celle-ci est très peu représentative de la réalité. D’autant plus qu’un taux d’abstention élevé est attendu. Le résultat de l’élection pourrait donc être très déformé par rapport à la réalité.

ID : Tout le monde regarde les élections italiennes, car Giorgia Meloni, avec un parti qui revendiquait ouvertement Mussolini, pourrait finir par gouverner. Quel est le profil politique de Meloni ?

Fratelli d’Italia (FdI), le parti de Meloni, est né en 2013 après la crise de son précédent parti, Alleanza Nazionale, héritier du Movimento Sociale Italiano (MSI, Mouvement social italien), qui était un parti ouvertement pro-fasciste.

Giorgia Meloni représente la victoire du secteur qui a ses bastions à Rome, où Meloni a grandi, et dans sa région, le Lazio. Ce parti est très similaire à celui de Marine Le Pen en France, mais a un profil plus pro-OTAN et moins de liens avec la Russie, contrairement à la Lega de Salvini, qui tente cependant aujourd’hui de mettre à distance ses anciennes sympathies politiques pour Poutine.

Une caractéristique du parti de Meloni est qu’il est entrain de remplacer les les anciens démocrates-chrétiens et Forza Italia comme parti préféré des secteurs mafieux dans le centre-sud, tandis que dans le nord, il se développe en gagnant des secteurs qui avaient soutenu la Lega au cours des cinq dernières années. Le pari gagnant du FdI a été de revendiquer ouvertement un profil catholique-nationaliste en opposition claire avec le gouvernement Draghi. Ainsi, une partie du mécontentement social a conduit au soutien de ce parti.

La concurrence entre la Lega et le FdI pour la place de premier parti de centre-droit a conduit Meloni à adopter des positions moins radicales, plus proches du consensus néolibéral-atlantiste, tout en restant dans l’opposition à Draghi et en appelant à des élections générales. Cette position s’est avérée fructueuse, puisque le FdI est arrivé en tête des sondages, avec plus de 24 % des voix.

ID : Et d’un point de vue économique, de sa relation avec l’UE, peut-on s’attendre à beaucoup de changements ?

Tout indique qu’il n’y aura pas de changements majeurs. Pendant la campagne électorale, Meloni a déjà été averti par l’UE et les grandes banques comme Goldman Sachs qu’il y avait un sérieux problème avec la dette italienne. Ce qu’ils lui disent, c’est qu’il n’est pas dans son intérêt de trop faire bouger le statu quo de la politique économique. Si l’Italie n’a plus de financement européen pour sa dette, cela pourrait être une catastrophe du point de vue de la bourgeoisie, et la droite italienne ne le veut pas non plus.

ID : Quel est le programme de Meloni sur des questions comme l’immigration ?

La politique italienne de ces dernières années ne peut être comprise sans étudier cette question. L’ascension antérieure de Salvini était basée sur un discours anti-immigration dur. Aujourd’hui, Meloni exploite également ce discours réactionnaire. C’est une façon de canaliser par la xénophobie le mécontentement social en Italie face aux crises récurrentes. Ces derniers temps, l’une des mesures phares de Meloni était d’imposer un « blocus naval » aux immigrants en Méditerranée, un contrôle visant à empêcher les navires ou bateaux transportant des immigrants de quitter la Libye pour l’Italie. Elle a toutefois finalement modifié sa proposition, déclarant que cela ne serait pas techniquement possible et demandant à l’UE d’appliquer des contrôles maritimes plus stricts pour empêcher l’immigration clandestine dans la région.

La coalition de droite propose également la création de centres d’accueil de réfugiés en dehors du territoire européen, c’est-à-dire en Afrique du Nord, comme en Libye. Pour empêcher les réfugiés de partir, ou pour les y envoyer une fois qu’ils ont traversé l’Europe.

Dans l’ensemble, c’est donc un programme ultra-réactionnaire. Mais il ne faut pas oublier que ce sont également des gouvernements de centre-gauche qui ont signé des accords avec la Libye pour mettre fin à la migration et qui ont imposé des lois sévères contre les sans-papiers.

Meloni a un discours populiste de droite, elle dit que les migrants viennent servent « d’esclave », qu’ils « font baisser les salaires des Italiens » et que c’est pour cela qu’il faut les expulser. Elle dit cela pour susciter les sentiments les plus réactionnaires de ceux qui ont perdu leur emploi ou n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Sa politique est totalement réactionnaire.

ID : Face à cela, des secteurs du centre-gauche italien et européen font campagne pour « arrêter la droite ». En réalité, leurs politiques en matière de migration ne sont pas si différentes non ?

Bien sûr. Ces partis comme le Mouvement 5 étoiles ou le Parti démocrate soutiennent également les politiques racistes et xénophobes d’État, les murs et les clôtures aux frontières, les expulsions de migrants, etc. Ce sont eux qui défendent les lois racistes sur l’immigration, et c’est ce qui fait que les migrants deviennent une force de travail semi-esclavagisée.

C’est pourquoi, contre la voie réactionnaire de Meloni, la solution n’est pas un « moindre mal ». La solution passe par l’unité de la classe ouvrière italienne et étrangère, pour régulariser et donner des papiers à tous les migrants, pour lutter pour de meilleures conditions de travail pour tous, pour lutter contre l’inflation et pour le partage du temps de travail, entre autres mesures.

ID : Il y a quelques mois, Meloni était à Malaga, lors d’un événement du parti d’extrême-droite espagnol VOX. Elle y a clairement montré ses références réactionnaires, déclarant « Oui à la famille naturelle, non aux lobbies LGBT ; oui à l’identité sexuelle ; non à l’identité de genre ; oui à la culture de la vie ; non à l’abîme de la mort ; oui à l’universalité de la croix, non à la violence islamiste ; oui à des frontières sûres, non à l’immigration de masse ». Que peut-on attendre d’elle si elle accède au pouvoir ?

Meloni a une politique ultra-réactionnaire sur toutes ces questions et, avec une large majorité parlementaire, ils chercheront à réduire les droits des femmes et des personnes LGBTI, à rendre plus difficile le droit à l’avortement, à accroître la persécution des migrants, etc. Pour cette raison, la réponse doit être massive et dans les rues. Face à toute tentative de réduction des droits, nous devons réagir, les syndicats doivent réagir, avec le mouvement des femmes et la jeunesse.

Mais, comme je l’ai déjà dit, nous ne pouvons pas oublier que si Meloni arrive au gouvernement, c’est en raison de l’échec retentissant des expériences populistes comme le Mouvement 5 étoiles et tous les gouvernements de centre-gauche, qui ont gouverné pour les grands capitalistes en Italie.

La situation pourrait être très compliquée dans les mois à venir, mais on ne peut pas répondre à la droite en reconstruisant des illusions sur le centre-gauche. C’est ce qui nous a amenés ici. Il faut affronter la droite et l’extrême-droite en retrouvant la voie de la mobilisation ouvrière et populaire.

ID : Plus profondément, qu’exprime cette montée de l’extrême droite en Italie ?

En Italie, il y a depuis des années des éléments forts d’une crise générale, où s’entremêlent différents plans : économique, politique, culturel. Le marxiste italien Antonio Gramsci désignait ce type de situation comme une crise organique. Une inflation supérieure à 9 %, le réarmement militaire de l’OTAN en Ukraine, la crise énergétique, la sécheresse qui a frappé l’économie de plein fouet cet été, dans le contexte d’une reprise encore incomplète après le pic de la pandémie : tous ces éléments ont convergé vers une crise généralisée qui rend difficile pour la classe dirigeante et les partis de l’establishment de consolider leur hégémonie auprès de larges couches de la population. Cela conduit sans cesse à de nouvelles crises par le haut, mais aussi à des tentatives de nouvelles attaques contre les conditions de vie de la grande majorité.

Ces dernières années, les élections nationales se sont avérées inefficaces pour générer des majorités gouvernementales fortes qui pourraient survivre à une législature complète de cinq ans avec un soutien populaire relativement large. La tendance a été de former des gouvernements de coalition « technocratiques » ou multipartites qui se sont avérées très instables. C’est ce qui s’est passé avec le gouvernement Draghi, et c’est ainsi que cela s’est terminé.

La réalité est qu’il n’y a toujours pas de projet politique capable de revitaliser une hégémonie forte de la part des partis au pouvoir. Et depuis au moins une décennie, le pourcentage d’abstentionnistes l’emporte sur le soutien à un quelconque parti. Lors de ces élections, environ 35 % des personnes devraient s’abstenir, ce qui montre déjà qu’il y a une crise majeure.

Merci beaucoup, nous aurons l’occasion de te consulter à nouveau sur les résultats de ce dimanche et sur la formation du gouvernement dans les prochains jours.


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