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Dénoncer chômage et mépris de classe

« Merci Patron ». Un film drôle et intelligent

Maryline Dujardin et Philippe Alcoy Le film de François Ruffin, directeur du journal Fakir sort en salle le 24 Février, et c'est de la bombe. « Réconcilier la France d'en bas et la France d'en haut », voici la mission que s'est fixé, ironiquement on l'aura bien compris, François Ruffin avec son film Merci Patron. Il parcourt le nord de la France dévasté par les fermetures d’entreprises rachetées auparavant par le groupe de luxe de Bernard Arnaud, LVMH. Son but : que ces ex-salariés du groupe, virés, rencontrent et disent ce qu’ils ont à dire à ce « grand patron ». Grosse défaite initiale.

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Mais parmi ces personnes, il rencontre la famille Klur, dont Jocelyne, Serge et leur fils Jeremy vivent dans la misère depuis que le groupe LVMH a racheté l’entreprise dans laquelle travaillait le couple pour la délocaliser dans des pays où la main d’œuvre est moins chère. Des milliers d’employés, comme les Klur, se sont trouvés sur le carreau.

On est saisi par la détresse de cette famille qui parfois ne mange qu’une fois par jour et ne se chauffe plus depuis qu’ils n’ont plus d’emploi. Impossible d’en retrouver d’ailleurs. Un quotidien ordinaire pour beaucoup. Une France misérable qui rarement fait la Une des journaux ; et est encore moins la protagoniste principale d’un film. C’est là peut-être l’un des grands mérites du film de Ruffin.

Merci Patron a le mérite également de montrer avec un grand humour, une réalité très dure. Celle du chômage. Celle des conséquences du chômage, la dépression, les disputes de couple, de famille. Bref, cette réalité qui nous explique pourquoi c’est légitime « d’arracher des chemises ». Combien de « familles Klur » existent en aujourd’hui en France ?

Justement, ce dont parle le film/documentaire c’est d’une farce organisée par Ruffin et son équipe de Fakir pour rendre justice à cette famille désœuvrée. On se dit alors : encore un drame social. Mais non. Merci Patron est un film joyeux parce que Ruffin à l’humour et la malice nécessaire pour que le cauchemar devienne une fable et la réalité une grande pièce de théâtre.

Ce que l’on voit dans ce film c’est le destin d’une famille en proie à l’injustice que provoque le système capitaliste. Les inégalités sont criantes pour cette famille qui a travaillé pour l’industrie du luxe à la française, qui reste d’ailleurs luxe à la française après délocalisation et dégradation des conditions de travail. Les marges réalisées par des patrons tel que Bernard Arnaud sont incommensurables, surtout lorsque l’on voit les prix des produits de luxe et le coût de fabrication. D’ailleurs, le film reprends les images d’un reportage de l’émission de France 2, Envoyé Spéciale, où l’on voit le responsable LVMH Bulgarie dire que si les salaires continuaient de monter dans ce pays ils seraient « forcés » à délocaliser une partie de la production en Grèce… où il y a beaucoup de chômeurs !

Le contraste est saisissant lorsque la caméra passe de la maison des Klur aux journées particulières organisés par le groupe LVMH, l’exposition s’appelle d’ailleurs les coulisses du rêve. On rit jaune devant cette ironie de la situation que Ruffin a su filmer tout en contraste.

Dans l’Acte III la revanche s’organise entre la famille Klur et l’équipe de Fakir. Ils organisent leur piège. Et lorsqu’ils arrivent à obtenir un entretien avec le chef de la sécurité de chez Arnaud, un ex RG, celui-ci cherche à régler la situation mais avec beaucoup de mépris ; en les pensant trop bête pour vraiment se défendre. C’est un réel mépris de classe que saisit la caméra.

A l’époque du tournage, Bernard Arnaud venait de faire la Une des journaux après avoir demandé la nationalité belge pour payer moins d’impôts et ce qu’il craint le plus, c’est que son image soit entachée davantage par l’histoire des Klur, dont il est le principal responsable.

Mais le film va plus loin et ne fait pas seulement le procès d’Arnaud -exemplaire dans son rôle de « capitaliste voyou »- et le comportement méprisable du groupe LVMH, mais démontre habilement et clairement les liens étroits qui existent entre politiciens (de droite comme de « gauche ») et patronat. Ces bons amis qui s’arrangent à maintenir un système de classes et ne trouvent pas de problème à s’échanger leurs rôles. C’est ainsi que l’on voit par exemple un membre du PS défendre activement les intérêts de Bernard Arnaud en menaçant les membres du journal Fakir.

Autre scène mémorable est celle où la police se retrouve à faire la sécurité pour une assemblée générale d’actionnaires du groupe LVMH face à la crainte que des « révolutionnaires » (comme appelle Arnaud les membres de Fakir) ne viennent perturber leur événement. Là encore on perçoit clairement comme la police, l’Etat, est au bon service des patrons du CAC40.

Nous avons déjà dit que le chef de la sécurité de LVMH est un ancien RG (Renseignements Généraux), mais dans le film on apprend également que c’est carrément un étage tout entier de l’immense siège de LVMH qui est réservé à la sécurité, au flicage des salariés. Cela démontre bien la peur que peut avoir Arnaud à ce que tout bascule. Car là est le vrai sujet du film, celui de la lutte des classes.

Un très beau film, drôle, intelligent qui parle de la dure réalité à laquelle des millions de frères et sœurs de classe sont condamnés par le patronat qui ne pense qu’à ses profits et à la manière d’ exploiter d’avantage les salariés. Si l’intervention de Ruffin auprès de la famille Klur est du type « Robin des bois », le film va bien au-delà dans sa dénonciation.

Il est clair que l’exemple de ce piège contre cette grande fortune ne peut être érigé en exemple pour toute notre classe. L’intention de son réalisateur ne semble pas être celle-là de toute façon. Mais par tout ce qu’il montre, tout ce qu’il dénonce, tout ce qu’il dit sans expliciter, Merci Patron contribue à la prise de conscience que l’on est exploités, contribue à éveiller la révolte. Pour tout cela et plus, c’est un film qui mérite d’être vu !


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