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Ne pas leur laisser la solidarité

Migrants. Merkel : humanisme et barbarie

« La réaction politique sur toute la ligne est le propre de l'impérialisme ». On se rappelle surement cette formule, parmi les plus connues de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Au vu des dernières déclarations d’Angela Merkel, de Jean-Claude Juncker, du PS français, voire même d’Alain Juppé, qui se dit prêt à ce que sa bonne ville de Bordeaux « accueille des réfugiés », on serait presque tenté de penser que, si ce bon vieux Lénine ne s’est pas trompé sur « toute la ligne », la dernière poussée d’humanisme d’une partie des dirigeants européens le fait mentir partiellement. Mais à quoi doit-on cette vague de « solidarité » chez les décideurs, et que cache-t-elle ? Est-il légitime, à ce niveau de la « crise des migrants », compte-tenu des images effroyables de ces dernières semaines, avec ce camion en Autriche chargé de cadavres ou la photo du corps du petit Aylan, de faire cause commune avec la chancelière allemande, le président de la Commission européenne et l’Elysée, au nom de « l’urgence du principe d’humanité », pour reprendre le message du pape ou de BHL ?

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Jean-Patrick Clech

Il ne s’agit pas de s’opposer aux actions menées, ces derniers jours, en Autriche et en Allemagne notamment, où des dizaines de milliers de personnes ont manifesté concrètement leur solidarité à l’égard les migrants. On songera à ces Autrichiens ayant organisé des caravanes de voitures au départ de Vienne pour aller chercher des familles coincées à la frontière avec la Hongrie, à ceux qui ont accueilli les nouveaux arrivants en gare, à Munich, à ces particuliers qui ont multiplié les offres d’hébergement, non pas dans des gymnases ou des locaux anonymes, mais chez eux.

La question consiste à comprendre et à contrer la campagne organisée par une fraction des dirigeants européens, relayée à l’envi par la plupart des médias, y compris les plus réactionnaires, que ce soit The Sun de Rupert Murdoch ou Bild d’Axel Springer, appuyée par le Vatican et les Eglises protestantes. On voudrait nous faire croire que, si chacun se remonte les manches, on pourra répondre à la « crise des migrants ». Une réponse apolitique, ou dépolitisée, donc, à une question éminemment politique.

Merkel et Le Pen, même combat ?

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune différence entre une Merkel, qui affirme que les pays d’Europe devraient être contraints d’accueillir des dizaines de milliers de migrants, à commencer par les 170.000 évoqués par Juncker devant le Parlement européen, hier, et ce sans fixer de limites à moyen terme, un Hollande et un Valls qui, après avoir refusé de prendre en charge une partie des 40.000 réfugiés dont parlait la Commission européenne au printemps, parlent maintenant d’en accueillir 24.000 sur les deux prochaines années, et une extrême droite européenne, Marine Le Pen en tête, flanquée de maires de droite de l’Hexagone, qui vomissent un flot de haine et de xénophobie ?

Il existe surtout des divergences d’ordre politique entre des orientations qui se recoupent mais répondent à des impératifs stratégiques distincts. Etre réactionnaire à un coût. Lorsque ce coût s’avère plus élevé que les profits possibles que l’on peut tirer d’une situation, alors il est plus judicieux de changer de position et de jouer une partition plus « progressiste ». C’est ce à quoi on assiste en ce moment en Allemagne et au sein d’une fraction du patronat européen. D’une part, face à une droite dure et xénophobe qui progresse dans l’Est du pays, le gouvernement de coalition CSU-CDU-sociaux démocrates ne peut se permettre que des manifestations anti-migrants, face aux centres de rétention, ne dégénèrent. D’autre part, et c’est l’essentiel, en termes économiques, de marché du travail, de cohésion sociale, y compris sécuritaire, nombre d’institutions internationales pointent les effets absolument positifs des migrations. Ce sont ces éléments, à savoir le caractère positif et nécessaire des migrations dans une Allemagne vieillissante et au solde démographique extrêmement bas, qui expliquent l’enthousiasme du patronat allemand et de ses porte-voix, les premiers à soutenir la campagne « refugees welcome ». Rien à voir, on l’aura compris, avec une soudaine conversion à l’humanisme.

Berlin continue à dicter la jurisprudence européenne

La campagne médiatique qui est orchestrée a également d’autres objectifs. Côté berlinois, les déclarations et le positionnement du gouvernement allemand sont une façon pour faire oublier l’intransigeance à l’égard d’Athènes et la volonté d’humilier le peuple grec. « Le monde, n’a pas hésité à déclarer la chancelière, voit l’Allemagne comme un pays d’espoir, ça n’a pas toujours été le cas ». Elle annonçait par la même occasion la suspension du protocole européen de Dublin, qui implique qu’un demandeur d’asile (en l’occurrence l’écrasante majorité des migrants) soit renvoyé dans le premier pays où sa demande a été déposée (avec, en première ligne, Malte, l’Italie et la Grèce), ainsi que le déblocage d’une aide de 6 milliards d’euros pour les réfugiés destinée à répondre, notamment, aux questions de logement et d’hébergement.

Sur le dossier des migrants, avec ce vernis « progressiste », comme sur les principales questions qui sont discutées dans le cadre de l’UE, avec une orientation bien plus rigide, le positionnement de Berlin, principal impérialisme hégémonique, constitue les coordonnées à partir desquelles les partenaires de l’Allemagne, y compris impérialistes, comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Italie, doivent prendre en compte. Plus coulant sur la Grèce mais refusant depuis le début de considérer la question des quotas de migrants, Hollande, sur le dossier grec comme sur celui des réfugiés, a dû revoir sa copie. Mais ce positionnement « humaniste » sur le dossier des migrants ne gomme pas ce qu’il y a de plus pervers dans les politiques impérialistes sur les questions de politique extérieure, de migration et de citoyenneté.

Aux origines de la crise des migrants… l’Occident

D’une part, ce que Merkel passe sous silence, ce sont les causes profondes qui sont à l’origine de cet afflux de migrants. Cette « crise » a commencé à être prise en considération que lorsque les médias dominants ont bien voulu la traiter autrement que sous un angle sécuritaire, alors que les voyages du désespoir en Méditerranée existent depuis plus de vingt ans. Au début des années 1990, les premiers rafiots chargés de milliers de candidats à l’exil forcé, croisant en Méditerranée, étaient des navires albanais, traversant l’Adriatique, en direction des côtes de la botte. A l’époque, déjà, Rome avait répondu à cette crise avec sa marine militaire, la droite xenophobe criant à l’invasion, alors que le grand patronat italien tirait profit de cet afflux de main d’œuvre bon-marché tout en multipliant les investissements dans les Balkans, faisant main-basse sur des marchés réouverts après la chute du glacis soviétique à l’Est.

La crise actuelle a également ses origines dans les politiques d’immixtion, de pillage et d’agression systématique qui sont menées par les impérialistes dans leur pré-carré semi-colonial, à commencer par le Proche et le Moyen-Orient, mais également en Afrique. C’est en ce sens que parler de la question des migrants sans la lier à la question de l’impérialisme est une façon de naturaliser une situation donnée, voire même d’appuyer les guerres et les occupations actuelles et à venir. Il suffit de penser aux dernières déclarations de Hollande menaçant d’intervenir en Syrie. C’est la raison pour laquelle la question de « l’accueil des réfugiés » ne peut être dissociée du combat pour que cessent les guerres et les occupations impérialistes et, en France, pour contrer les velléités bellicistes de Hollande.

Expulser « ceux qui n’ont pas vocation à rester chez nous » ?

Par ailleurs, en ne mettant en avant que la seule question des « réfugiés », à savoir ceux qui seraient de « légitimes demandeurs d’asile », Merkel comme Hollande divisent ces derniers des « migrants économiques » qui, eux, parce qu’ils ne fuient « que » la misère dont est largement responsable le système de domination impérialiste, auraient vocation à « rentrer chez eux ». Juncker, là encore, l’a souligné lors de son discours face au parlement européen de mercredi. Les 170.000 personnes que le président du Conseil souhaite voir accueillies en Europe « ne constituent que 0,11% de la population totale du continent », le « mécanisme objectif et permanent d’accueil des réfugiés devant permettre de renvoyer plus vite les déboutés du droit d’asile ». En termes de « bienvenue », on aura compris que l’ancien premier ministre luxembourgeois qui est à la tête, aujourd’hui, de la Commission à Bruxelles, a la générosité bien étriquée.

C’est en ce sens, également, que la question de « l’accueil des réfugiés » ne peut être dissociée du combat pour l’ouverture des frontières et l’attribution de papiers et de pleins droits de citoyenneté pour l’ensemble des « migrants », à commencer par ceux qui résident en Europe et, en l’occurrence, en France, avec ou sans papiers.

Pour une solidarité anti-impérialiste

Déjà on entend, chez certains journalistes, que les gauchistes ne seraient contents que lorsqu’ils ont le « monopole de la question des migrants », et qu’à partir du moment où les Etats agissent, ils ne sont pas capables de saisir les avancées et se contentent d’adopter la posture du commentateur critique par nature.

Ce n’est pas une question de maximalisme. Poser, réellement et politiquement, la question de l’accueil des réfugiés et la possibilité d’une véritable unité entre exploités d’ici et d’ailleurs, devrait passer par la prise en charge, par les organisations du monde du travail et de la jeunesse, d’un combat contre l’impérialisme, pour l’ouverture des frontières, pour la prise en charge par les Etats de la totalité des migrants et l’obtention de pleins droits de citoyenneté à ces millions d’hommes et de femmes qui, en Europe, sont des citoyens de seconde-zone lorsqu’ils ont une carte de séjour ou sont condamnés à être surexploités par le patronat ou traqués par la police, car sans-papiers.

Ce n’est pas, par ailleurs, une question de dogme. Par delà ses positionnements ponctuels et changeants, l’impérialisme (conçu comme un système cohérent de domination mondiale) et les puissances impérialistes (qui en constituent l’ossature), continue à être « réaction sur toute la ligne ». Barbarie, donc. Et « humanisme », également, parfois. L’oublier, un seul instant, serait des plus dangereux. Par inaction, attentisme ou complicité, laisser à l’impérialisme et à ses représentants la possibilité d’apparaître comme le meilleur allié des peuples, c’est creuser le sillon des défaites de demain.


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