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Amérique latine

Militaires dans les rues, arrestations arbitraires et torture au Chili : malgré la répression la mobilisation continue

Le Chili – pays dont le gouvernement se vantait il y a quelques jours de son caractère démocratique – est aujourd’hui le théâtre de viols massifs des droits de l’homme. Malgré le climat de terreur, les manifestants restent mobilisés et exigent la démission du gouvernement.

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Couvre-feu et répression militaire depuis le 19 octobre

Suite aux mobilisations massives contre l’augmentation des tarifs du transport public, le président de la République, Sebastián Piñera, a mis en place une violente politique de répression. Dès samedi 19 octobre, il a annoncé l’entrée du pays en état d’urgence et déployé sur la ville de Santiago et d’autres régions du Chili les forces militaires. Le général Iturriaga – fils de l’ancien vice-directeur des services de renseignement de Pinochet – a ainsi pris en main la Sécurité Nationale et en particulier celle de Santiago. Un couvre-feu a ensuite été imposé à Santiago et dans d’autres villes du Chili ; Valparaíso, Concepción, La Serena, entre autres. Mis en place depuis quatre jours déjà, le couvre-feu n’avait jamais été instauré depuis le retour en démocratie après la fin de la dictature d’Augusto Pinochet en 1990.

Depuis quatre jours, les violences policières et militaires font partie du paysage quotidien d’un pays déclaré « en guerre » par son propre président. Les réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter et Instagram, sont devenus les seuls moyens de communication fiables. Ils sont utilisés par les manifestants, qui prennent en photos et filment les exactions, créant des preuves irréfutables de la violence illégales du gouvernement contre son peuple.

En outre, si la presse chilienne, depuis vendredi, ne diffusait que les dégâts faits par les black blocks des différentes villes du Chili, elle a effectué un tournant depuis lundi. L’assassinat d’un jeune de 23 ans dans la ville de Coquimbo, au Nord du Chili, aux mains des militaires, a été dénoncé par la presse télévisée, ce qui laisse transparaitre une vision plus critique qu’auparavant, liée à la pression des événements. Néanmoins, les multiples dénonciations des assassinats perpétrés par les militaires ou les forces de police, ainsi que les abus sexuels continuent de n’être traités que de façon superficielle.

Le pays se trouve ainsi soumis à une ambiance de terreur, mais aussi de lutte contre un gouvernement indifférent la dignité de sa population. Les mobilisations ne s’arrêtent donc pas, encouragées par un sentiment profond d’injustice sociale. L’une des consignes les plus répandues dans les différentes manifestations ces deux derniers jours est « ¡ Renuncia Piñera ! » (« Démissionne Piñera ! »). Sur le réseau Instagram le hashtag #renunciapiñera a été employé 266.000 fois.

Cette réaction de la population peut s’expliquer en partie par les multiples violations des droits de l’homme commises ces derniers jours et déclenchées par la réponse du Président aux mobilisations, consistant à transférer la responsabilité de la sécurité nationale aux militaires.

L’Institut National des Droits Humains (INDH), confirme les accusations faites par les manifestants, qui ont été soumis à « l’obligation de se dénuder, la torture, des tirs contre des civils, des agressions physiques et verbales » entre autres. Le 22 octobre à 22h00 l’INDH comptabilise ainsi :

  •  2138 personnes arrêtées, dont 1240 en régions et 898 dans la capitale
  •  378 personnes blessées, dont 173 atteintes par des armes de feu
  •  5 morts, tués par des agents de l’État
  •  44 actions judiciaires, dont 9 requêtes en vue de protection juridique, 3 plaintes pour abus sexuel, et 32 actions en justice.

    Force est de constater que les chiffres ici affichés ne représentent que les cas qui ont été portés à la connaissance de l’institution et vérifiés par celle-ci. De son côté, le journal espagnol ABC reporte un total de 18 morts.

    Tortures, arrestations arbitraires : de nouvelles révélations sur le niveau de répression

    Mais, les exactions étatiques qui ressemblent à un germe de la répression dictatoriale, vont bien au-delà. La nuit du mardi 22 octobre, une étudiante de 18 ans, Valentina Miranda, dirigeante de la Coordinadora Nacional de Estudiantes Secundarios (CONES), Pablo Ferrada et Anais Pulgar, membres du Parti Communiste, ont été arbitrairement arrêtés par la police, qui est entrée illégalement dans le hall d’un immeuble, où ils se trouvaient pour ne pas violer le couvre-feu. Le harcèlement psychologique et physique des dirigeants de mouvements sociaux est donc une réalité claire dans le prétendu « oasis démocratique de l’Amérique Latine ».

    Encore plus graves sont les témoignages qui assurent que les tunnels de la station de métro Baquedano, situés en plein centre ville, seraient actuellement utilisés comme centre de torture clandestin. Après la nuit du mardi 22 octobre, on trouve sur les réseaux sociaux l’information selon laquelle B.L.S (le nom et prénom ne sont pas divulgués), qui avait participé à la mobilisation, aurait été torturé par la police dans ces installations. Le matin du mercredi 23 octobre L’INDH a confirmé avoir reçu la dénonciation. Le directeur de l’INDH, Sergio Micco, assure que des recherches sont en train d’être menées pour élucider la nature des faits. De son côté, la députée du parti Izquierda Autonoma (IA), Camila Rojas, affirme que dans le commissariat de la station Baquedano il y aurait des preuves, comme du sang et des armes, une information qu’a confirmé le Tribunal [Juzgado de Garantía] tandis que l’INDH attend encore des évaluations et actions légales.

    Le même jour du 23 octobre, le gouvernement a dépensé à peu près 50 millions de pesos pour acheter des cartouches anti-émeutes, soit plus de 60.000 euros, en moins de 24 heures. Cette information a été obtenue sur le site internet Mercado Publico, où sont rapportées les dépenses étatiques.

    Le gouvernement néo-libéral de Sebastián Piñera est incapable d’écouter et de répondre aux revendications de la population. Cette déconnexion a notamment été mise en lumière lorsqu’un audio envoyé sur WhatsApp par la première dame, Cecilia Morel, a filtré dans la presse. Elle y explique être dépassée et paniquée par la situation vécue par le pays, affirmant que toute cette situation ressemble à une « invasión alienígena », c’est à dire, une « invasion extraterrestre » et qu’elle et les siens vont devoir « renoncer à leurs privilèges et partager avec les autres ». Une phrase qui pourrait être parfaitement attribuée à Marie-Antoinette.

    Tout cela a contribué à la délégitimation du gouvernement et met en avant l’énorme distance qui existe entre la classe politique qui dirige le pays et les demandes du peuple.

    De leur côté, les manifestants sont loin d’arrêter leurs manifestations, souvent pacifiques et familiales, et sont sortis aujourd’hui encore une fois dans les rues de toutes les villes du Chili pour clamer leur droit à une vie digne et s’opposer aux attaques contre les droits humains. Comme le dit bien l’un des mots d’ordre de la mobilisation : « No estamos en guerra, estamos unidos » (« nous ne sommes pas en guerre, nous sommes unis ») ; « nos robaron tanto que nos robaron el miedo » (« ils nous ont tellement volé, qu’ils nous ont volé même la peur »).


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