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Victoire ouvrière

Mobilisation à Orano : la détermination des salariés fait reculer le patron

Les salariés d'Orano-Malvesi, site narbonnais du géant français du nucléaire Orano, se sont battus pendant près de deux mois contre une direction qui n'a pas hésité à employer les pires méthodes pour démoraliser et diviser les travailleurs. Malgré cette répression patronale scandaleuse, les ouvriers mobilisés ont tenu bon et ont fait plier le patron de l'usine.

Flo Balletti


et Lucas Darin

17 décembre 2020

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Une mobilisation offensive

Dès le début, la mobilisation présentait un caractère particulier : dans cette période de crise économique où la plupart des luttes sont des luttes défensives, visant à défendre des emplois que les patrons et les actionnaires suppriment pour sauvegarder leurs profits, la grève à Orano-Malvesi débute sur une double revendication, à la fois défensive mais aussi offensive. Deux préavis distincts sont déposés.

Le premier concerne une revendication défensive : dans le cadre de négociations nationales, la direction veut revenir sur une des compensations dont les travailleurs du secteur bénéficient en raison de la pénibilité du travail et du travail de nuit. Jusqu’alors, les salariés d’Orano-Malvesi pouvaient partir à la retraite 37 mois plus tôt que l’âge légal, en raison de leurs conditions de travail particulièrement éprouvantes. De son côté, le patronat souhaite amputer cette compensation de 15 mois, et ne permettre aux salariés de partir que 22 mois plus tôt.

La seconde concerne une revendication offensive : depuis plusieurs années, la direction de l’usine a de plus en plus recours à la sous-traitance et réduit le nombre de travailleurs sous statut.

Aujourd’hui, sur les 500 salariés du site, seuls 218 sont sous statut. Une méthode qui, si elle coûte plus cher à l’usine à court terme, permet de revenir petit à petit sur le statut des travailleurs du secteur, jusqu’à le faire disparaître et ainsi pouvoir s’attaquer bien plus facilement aux conditions de travail et aux salaires des employés. Le choix de la sous-traitance est par ailleurs une tactique patronale qui vise à diviser les travailleurs de l’usine entre eux, entre statutaires et sous-traités (moins bien payés), dans le but de créer du « dumping social », comme le soulignait le délégué CGT Vincent Morgan de Rivery, dans l’interview ci-dessous.

L’exemple de La Poste, qui emploie dans certains bureaux une majorité d’intérimaires ou de CDD non formés, mal payés et que la direction peut virer sans difficulté si l’envie lui prend, nous montre bien ce qui attend les travailleurs d’un secteur lorsqu’ils perdent leur statut. En ce sens, la revendication offensive portée par les grévistes visant à internaliser la sous-traitance est des plus progressistes, dans le but d’obtenir le même statut, les mêmes droits et les mêmes rémunérations pour tous les travailleurs d’Orano-Malvési.

Une répression patronale scandaleuse

Le 16 octobre, la grève débute à l’initiative de la CGT. Le mouvement est très suivi, l’atelier de production est à l’arrêt, avec un taux de grévistes culminant à 95%. Devant l’ampleur de la mobilisation et la détermination des grévistes, le 2 novembre, la direction de l’usine prend une mesure de répression extrême : le lock-out.

Celle-ci décide de suspendre le contrat de travail de 80 salariés, grévistes et non-grévistes, les empêchant ainsi de rentrer sur le site et de pouvoir faire le choix d’être gréviste ou non. Cette mesure très violente et illégale permet de mettre la pression sur les grévistes, diviser les salariés entre eux et faire passer les grévistes comme responsables de la situation auprès des travailleurs sanctionnés alors qu’ils n’étaient pas en grève. Une répression d’autant plus scandaleuse qu’elle a été accompagnée par les pouvoirs publics. En effet, la sous-préfecture a accepté de mettre à disposition de l’usine les pompiers du SDIS, alors même que les pompiers-usines spécialisés dans la sécurité du site avaient subi la suspension de leur contrat de travail.

En interne, même stratégie de la part de la direction, qui a joué la carte de la désinformation et de la division entre les salariés des différents sites d’Orano (comme celui du Tricastin, dans la Drôme) pour isoler et démoraliser les travailleurs mobilisés. En parallèle, la direction mène aussi la bataille sur le terrain juridique, en portant plainte de manière fantaisiste pour « grève illégale », et en réclamant quelque 13 millions d’euros de dommages et intérêts.
De leur côté, forts d’une détermination à toute épreuve et de la solidarité de travailleurs de l’usine et d’autres secteurs qui s’est matérialisée par une caisse de solidarité de plusieurs dizaines de milliers d’euros, les salariés sont restés mobilisés, ont multiplié les rassemblements et les actions pour combattre les attaques du patron et faire reconnaître le droit de grève. C’est ce qu’expliquait Pierre, syndiqué CGT à Orano-Malvési, au micro de Révolution Permanente jeudi dernier, sur le piquet de grève, devant l’usine : « Dès qu’on bloque la production, ils veulent plus. Ils veulent vraiment nous plier, c’est honteux. Aujourd’hui, on se bat autant pour le droit de grève que pour nos revendications à la base. »

La détermination fait plier la direction

Après près de 50 jours de mobilisation, les salariés ont réussi à obtenir un accord avec la direction vendredi dernier.
Du côté du départ en congé de fin de carrière, la direction « s’est engagée à rajouter une clause pour adapter la projection conventionnelle aux futures évolutions réglementaires sur l’âge du départ à la retraite ».
« Concrètement, les travailleurs en service continu partiront plus tôt en congé de fin de carrière », précise Vincent Morgan de Rivery, syndicaliste CGT de l’usine.

Concernant l’internalisation des salariés sous-traitants, « une décision de réinternaliser tout ou partie de la maintenance devra être prise au plus tard en décembre 2021. A nous de maintenir la pression », explique le salarié d’Orano. En effet, l’obtention de cet accord n’est pas une fin en soi. C’est un premier pas important et le début d’un processus qui inverse la tendance avec l’augmentation des emplois sous statut dans notre usine.

Le syndicaliste est bien conscient qu’on ne peut pas considérer les choses comme acquises lorsqu’elles dépendent de la parole d’un patronat prêt à tout pour réduire ses coûts et augmenter ses profits, et qui a prouvé plusieurs fois qu’il n’hésite pas à employer des méthodes de répression dignes d’un autre temps pour discipliner les travailleurs. Vincent Morgan de Rivery souligne d’ailleurs que les actions en justice pour garantir le droit de grève entreprises lors du lock-out sont maintenues.

Quoi qu’il en soit, la victoire partielle des Orano est un formidable exemple de combativité pour notre classe. Celle-ci témoigne une nouvelle fois que c’est par un rapport de force dur et la construction d’une solidarité de classe (par le biais de la caisse de soutien) que les salariés en lutte peuvent faire reculer une direction, quand bien même celle-ci utilise toutes les méthodes de patron voyou pour les réprimer. Une lutte encourageante dans la période de crise sociale actuelle qui montre qu’il est possible de faire reculer le grand patronat, y compris sur des revendications offensives, contre la sous-traitance, pour l’unité des rangs des travailleurs.


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