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Tunisie

Mort du président tunisien Béji Caïd Essebsi : vers une crise politique en Tunisie ?

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi est mort ce 25 juillet, accélérant la course à la succession présidentielle. Tandis que Macron et le chef de la diplomatie française rendent hommage à celui qu'ils qualifient « d'ami de la France » engagé dans « la construction d'un système politique démocratique », la mort de cet agent de l'accaparation de l'indépendance nationale tunisienne au profit de l'impérialisme et véritable symbole de la contre-révolution tunisienne après 2011, intervient alors que la campagne électorale avait déjà débuté en Tunisie sur fond de division tant de la majorité présidentielle et des partis libéraux que de la vieille gauche réformiste, et surtout de crise sociale prolongée – coupes budgétaires, injonctions à l'austérité du FMI, chômage et précarité s'abattant sur les masses populaires tunisiennes.

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Le président tunisien Béji Caïd Essebsi avec son homologue français Emmanuel Macron, le 31 janvier 2018 à Carthage, en Tunisie. Photo d’archives AFP

Signe des services rendus à l’impérialisme français par celui qui était à 92 ans le plus vieux chef d’Etat au monde après la reine d’Angleterre, Emmanuel Macron a annoncé qu’il se rendra aux funérailles de Béji Caïd Essebsi ce 27 juillet. Le ministre des Affaires Etrangères Jean-Yves Le Drian a quant à lui déclaré que « la France perd un ami », rendant hommage à « sa contribution à la stabilité et à l’unité nationale de la Tunisie », preuve de l’importance que l’Etat français accorde au maintien d’un ordre social injuste dans ses anciennes colonies, garantissant ainsi la continuation du pillage impérialiste.

Car même avant d’endosser la fonction présidentielle, Béji Caïd Essebsi avait déjà démontré son engagement, non pas au service du peuple tunisien, mais bien de la domination française en Tunisie. En effet, il a participé au côté de Habib Bourguiba à la confiscation de l’indépendance nationale pour garantir les intérêts de l’ancienne métropole. Il fut ainsi conseiller de celui que les services français avaient privilégié pour prendre la tête du jeune Etat tunisien, et assurer ainsi la continuité de sa domination même après le processus de décolonisation, avant de devenir directeur de la Sûreté nationale puis ministre de l’Intérieur en 1965, fonctions qui lui donnaient la responsabilité de réprimer les opposants au nouveau régime. Il devient ensuite ministre de la Défense, puis ambassadeur en France en 1970, en pleine époque des réseaux Foccart, qui servaient à maintenir la domination française en Afrique. Après avoir fait ses preuves auprès des maîtres de « la françafrique », il revient en Tunisie pour endosser le poste de ministre des Affaires Etrangères de 1981 à 1986, alors qu’en 1983 éclatent les émeutes du pain qui remettent en cause Habib Bourguiba, qu’il va conseiller pour sortir de la crise à moindre frais. Après « le coup d’Etat médical » de 1987 lors duquel Zine El Abidine Ben Ali s’installe au pouvoir, il intègre le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), parti du nouveau dictateur, et se fait élire député avant de devenir président de la Chambre des députés.

Ce parcours digne des politiciens les plus opportunistes vendus à l’impérialisme, l’amène en 2011 à jouer un rôle important pour étouffer le processus révolutionnaire. En janvier 2011, la révolte des masses populaires tunisiennes va déclencher par effet domino les premières révolutions du XXIème siècle, et impulser un regain de lutte des classes au niveau international, mettant à mal les idées dominantes préfabriquées par l’impérialisme qui réduisaient les peuples arabes soit à des hordes de barbus islamistes, soit à des peuples serviles soumis à des dictateurs sanguinaires. L’Etat français qui craint de perdre son pré-carré, propose notamment par la voix de Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires Etrangères, d’apporter un soutien sécuritaire au régime de Ben Ali. Mais rien n’y fait, et après la grève générale débutée le 12 février, Ben Ali s’enfuit. Il est alors question de lui trouver un remplaçant avec une façade démocratique pour donner l’illusion aux masses populaires que leurs revendications contre un régime autoritaire ont été entendues. Elle soutient les politiciens quels qu’ils soient, pour autant qu’ils lui assurent leur fidélité.

Mais privé de parti révolutionnaire, le processus aboutit sur l’émergence des Frères Musulmans à travers le parti Ennahda qui apparaît alors comme force oppositionnelle à l’ancien régime. Cependant ce courant semble difficilement être capable d’assurer la stabilité pour un retour à l’ordre au service de l’impérialisme. En effet, non seulement l’islamisme polarise une partie de la population, dont certains secteurs de la bourgeoisie laïque, alors que les attentats terroristes revendiqués par des groupes salafistes proches de ce courant se multiplient à quelques centaines de kilomètres de l’Europe, et que les puissances régionales alliées de l’impérialisme telles que l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis voient d’un mauvais œil l’émergence de cette tendance politique en partie financée par le rival iranien. Béji Caïd Essebsi est alors mis en avant pour proposer une coalition libérale, dont le ciment idéologique sera la mise en place de réformes économiques libérales anti-sociales, avec en façade la lutte contre l’islam politique. En 2012 il forme donc le parti Nidaa Tounès (« Appel de la Tunisie ») composé avec des politiciens issus du parti de l’ancien régime, le RCD alors dissous, ainsi que des personnalités libérales. En 2013, sous le choc du coup d’Etat militaire en Egypte qui renverse le président Mohamed Morsi issu du courant des Frères Musulmans, et affaibli dans l’opinion publique aussi bien par les attentats meurtriers contre les personnalités de gauche du Front Populaire Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi que par les exactions des djihadistes à Ben Garden et dans les zones rurales, Ennahda accepte de faire profil bas, et laisse Béji Caïd Essebsi remporter la présidentielle en 2014 sans lui opposer officiellement de candidat. En échange, celui-ci forme avec ce courant islamiste une coalition pour obtenir une majorité parlementaire, à l’opposé de la virulence de ses discours pendant la campagne électorale. D’ailleurs, l’islamisme est loin d’être vaincu, les attentats au musée du Bardo à Tunis et sur les plages de Sousse en 2015, ainsi que le départ de centaines de jeunes pour la Syrie démontrent que la véritable source du terrorisme islamiste n’est rien d’autre que la misère sociale et les humiliations que le nouveau gouvernement produit lui-même avec ses politiques libérales dictées par le Fonds Monétaire International.

Cela va d’ailleurs affaiblir le parti présidentiel qui ne trouve pas de successeur. Essebsi veut mettre en place son fils Hafedh, tandis que le premier ministre Youcef Chahed profite du peu de crédit que la population accorde à ce dernier pour faire cavalier seul et créer son propre parti. Finalement Nidaa Tounes ne présente aucun candidat officiel, émietté par les guerres de clans et désavoué par sa gestion des affaires minées par la corruption, dans la droite ligne du régime que les masses populaires avaient pourtant cru « dégagé ». Cette situation a d’ailleurs poussé le pouvoir, en perte de base électorale, à tenter de réformer le code électoral pour permettre au candidat Kaïs Sayed d’être élu contre l’homme d’affaire Nabil Karoui, fondateur de la principale chaîne de télé tunisienne. Si celui-ci n’est affilié à aucun parti, il est le produit d’un consensus entre libéraux et islamistes qui n’osent toujours pas se présenter ouvertement à la magistrature suprême. Mais les relais médiatiques de Karoui et l’instabilité du gouvernement avaient finalement obligé Essebsi à ne pas promulguer cette loi.

La mort du président accélère donc la course à la succession en avançant les élections présidentielles. Celles-ci initialement prévues mi-novembre auront lieu le 15 septembre selon l’Instance Supérieure Indépendante, avant les élections législatives du 6 octobre. Il y a donc fort à parier que malgré les annonces de circonstances telles que le décret du « deuil national », la crise politique s’approfondisse. Tandis que la vieille gauche réformiste apparaît divisée et incapable de répondre aux revendications des masses populaires asphyxiées par la vie chère, le chômage, la précarité et le musèlement des droits démocratiques par un Etat au service des intérêts de l’impérialisme, la mobilisation par la grève en janvier dernier contre l’austérité imposée par le FMI avait réussi à faire reculer le gouvernement, bien que la direction bureaucratique de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens se soit empressée de négocier avec le pouvoir sur le dos des grévistes. Cependant, alors que les Printemps arabes de 2011 semblent avoir donné des idées aux voisins algériens, c’est en s’inspirant des batailles gagnées par les masses populaires et les travailleurs tunisiens, par la grève et l’auto-organisation qu’il sera possible d’évincer ce système… cette fois-ci pour de bon.


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