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Hypocrisie impérialiste

Myanmar. Le PDG de Total fait du « Human Rights Washing » et justifie son soutien aux militaires

Le PDG de la multinationale française, Patrick Pouyanné, dans une lettre publique, tente de justifier leur soutien aux militaires tout en promettant de financer des ONG défendant les droits humains. Pure hypocrisie impérialiste.

Philippe Alcoy

5 avril 2021

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Le PDG de Total a publié une lettre publique dans les pages du Journal du Dimanche afin de donner le point de vue de la multinationale française face aux pressions grandissantes pour qu’elle cesse de « financer » les militaires au Myanmar. La lettre est traversée par une tentative hypocrite de présenter l’action de Total au Myanmar comme relevant presque de la philanthropie. Or cet exercice de communication est bien loin de la réalité.

Patrick Pouyanné commence sa lettre en affirmant qu’ils ont suspendu les activités de forage au large du Myanmar. Cependant, tout le reste de la lettre tente d’expliquer à quel point il est « impossible » d’arrêter l’activité de Total dans le pays, notamment l’exploitation du gaz offshore du champ de Yadana. Ainsi, écrit-il, « notre activité de production de gaz offshore en Birmanie (…) d’une part, fournit la moitié de l’électricité des près de 5 millions d’habitants de la ville de Rangoun et, d’autre part, alimente l’ouest de la Thaïlande vers laquelle est exporté l’essentiel de ce gaz (…) Mais pouvons-nous arrêter cette production, alors que ce gaz alimente en électricité une population nombreuse à Rangoun, et ajouter ainsi au drame quotidien de ces habitants ? Les autorités thaïlandaises nous ont de leur côté alerté sur l’importance de maintenir cette source d’énergie indispensable pour leur population de l’ouest du pays. Une entreprise comme Total peut-elle décider de couper l’électricité de millions de personnes – et ce faisant le fonctionnement d’hôpitaux, de commerces, bref de la vie courante – avec les conséquences que cela implique ? ». Total, une véritable ONG !

Pourtant, « une entreprise comme Total » n’a eu aucun problème avec le déplacement forcé de milliers de personnes par les militaires myanmarais dans l’Etat de Karen, à la frontière avec la Thaïlande, afin de permettre la construction d’un gazoduc pour l’exportation du gaz de Total vers ce pays. A cela il faut ajouter que Pouyanné évoque les « avertissements » du gouvernement thaïlandais quant au maintien des exportations de gaz, toujours sous couvert des intérêts des populations locales (dont on sait qu’ils n’ont en réalité rien à faire). Mais rappelons aussi que le gouvernement thaïlandais est une autre dictature qui indirectement est en train de soutenir la répression militaire au Myanmar en expulsant les réfugiés qui tentent de traverser la frontière.

Mais l’humanisme de Total et son PDG ne s’arrête pas là. « Devons-nous arrêter de payer les impôts et taxes à l’Etat birman ?  se demande Pouyanné  Avant toute chose, il faut savoir que ne pas payer ses impôts et taxes est un crime selon le droit local et que si nous ne le faisions pas, par exemple en mettant les 4 millions de dollars d’impôts et taxes mensuels sur un compte séquestre comme nous l’avons envisagé, nous exposerions les responsables de notre filiale au risque d’être arrêtés et emprisonnés ». Puis sur la possibilité d’arrêter la production il affirme que « quand bien même nous déciderions d’arrêter la production pour protester contre la situation en Birmanie, nous pourrions mettre nos collaborateurs dans une situation dramatique, celle du travail forcé (…) Nous ne pouvons pas envisager de faire courir de tels risques à nos collaborateurs birmans sur place qui nous sont fidèles depuis de longues années ».

Ici le PDG Total voudrait occulter l’histoire de l’entreprise dans le pays qui ne date pas d’hier ni même de la dernière décennie. En effet, la multinationale française opère dans le pays depuis 1992 alors les rues de Yangon sentaient encore le sang de la répression féroce des militaires contre le mouvement de contestation de 1988. Depuis cette date le recours au travail forcé est plus que connu par Total, elle a même été traînée devant des tribunaux internationaux pour complicité et il ne reste pas de doute qu’elle a pu bénéficier de ce travail forcé. Mais plus en général, qu’en est-il de cette « inquiétude » vis-à-vis des « collaborateurs » (affreux euphémisme) de Total quand on sait que la multinationale multiplie la suppression de postes et fermetures de sites de raffinage là où ils ne sont pas rentables, comme cela a été le cas récemment à Grandpuits en Seine et Marne ?

« Il faut que ceux qui s’inquiètent que Total finance indirectement la répression menée par la junte le sachent : nous n’avons payé aucun impôt ni taxe à la junte militaire depuis le début de la crise en février, tout simplement parce que le système bancaire ne fonctionne plus ». Voilà un autre argument de taille ! Effectivement, si Total n’a pas pu payer ses impôts c’est bien parce qu’il y a un énorme mouvement de grève dans différents secteurs de l’économie qui ont mis le pays à l’arrêt. Mais ici encore l’argument de monsieur le PDG est d’une pauvreté inouïe. Comme déjà dit, Total n’opère pas dans le pays depuis quelques mois mais depuis près de 30 ans. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la multinationale finance les militaires myanmarais ! Total est le principal financeur individuel de la dictature myanmaraise. Les armes avec lesquelles ils répriment la jeunesse étudiante et ouvrière, les minorités ethniques, les classes populaires en général, ont été achetées en partie grâce à l’argent sale de Total.

Et c’est avec ce même argent sali de sang que Total entend s’acheter une image d’entreprise défenseure des droits humains, dans une opération digne d’un véritable « Human Rights Washing ». Ainsi, Pouyanné écrit : « puisque je ne peux pas prendre la décision d’arrêter la production, en cohérence avec notre éthique, nos convictions fortes en matière de droits humains et notre ambition d’être une entreprise responsable, je prends aujourd’hui la décision de verser aux associations qui travaillent pour les droits humains en Birmanie l’équivalent des taxes que nous serons amenés à payer effectivement à l’Etat birman ». Voilà une démonstration de cynisme absolu. Et comme l’affirme Vincent Brossel, ex Reporters Sans Frontières Asie-Pacifique, les organisations qui seraient tentées d’accepter l’argent sale de Total se rendraient complices des crimes contre l’humanité.

Il est plus qu’évident que la suspension de la production de gaz, comme le demandent certains manifestants au Myanmar, mettrait une pression énorme sur la junte militaire. Cela signifierait qu’un géant multinational lâcherait la main des militaires. Aussi, l’arrêt des exportations de gaz vers la Thaïlande pousserait le gouvernement de ce pays à faire pression sur le régime militaire.

Cependant, comme nous le voyons les jeunes ouvriers et ouvrières, les étudiants, les classes populaires et les populations des nationalités minoritaires au Myanmar ne peuvent pas faire confiance à cette multinationale complice des pires régimes à travers le monde, ni aux gouvernements réactionnaires des pays voisins qui soutiennent secrètement les militaires. Total est une entreprise dont l’ADN est profondément impérialiste et porte en soi le néocolonialisme. Elle ne sera jamais du côté des exploités et des opprimés, bien au contraire. Mais cette situation montre que le mouvement actuel contre le coup d’Etat ne pourra pas s’arrêter simplement au retour d’un gouvernement civil ; la question du contrôle de l’exploitation des ressources naturelles est déjà posée. Ainsi, de notre point de vue des entreprises comme Total au Myanmar devraient être expropriées et mises à produire sous contrôle de ses salariés et au service de la population. Ce contrôle ouvrier permettrait de définir comment organiser la production gazière sans affecter la population et surtout sans financer les militaires et les capitalistes complices. Pour cela, la classe ouvrière et les secteurs opprimés de la société ne peuvent compter que sur la solidarité internationale de classe, à commencer par les travailleurs et travailleuses des pays voisins. Mais aussi sur celle des travailleurs des pays impérialistes d’où viennent ces multinationales complices de leurs souffrances.


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