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Police patriarcale et raciste

Nice. Des militant.e.s arrêté.e.s lors de l’action Toutes Aux Frontières témoignent de la répression

Au début du mois de juin dernier était organisée une action de solidarité avec les exilé.es à la frontière franco-italienne. Nous avons recueilli le récit de militant.es féministes arrêtées arbitrairement et gardées à vue pendant 25h, subissant le sexisme et le racisme décomplexé de la police, qui n'a en revanche pas inquiété certains militants d'extrême-droite venus s'en prendre aux manifestant.es.

2 juillet 2021

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Crédit Photo : Gaëlle Matata / @gaellematata

Révolution Permanente : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Nous sommes des personnes parmi celles gardées à vue à Nice samedi 5 et dimanche 6 juin. Nous sommes, selon nos convictions mutuelles, des militant.es féministes, anti-racistes, anti- spécistes et internationalistes.

RP : Quel était l’enjeu de l’action "Tous.tes aux frontières" menée à Nice ?

La manifestation qui a eu lieu le 5 juin 2021 à Nice avait pour objectif de dénoncer les politiques migratoires européennes mortifères, en particulier pour les populations sexisées (femmes et minorités de genre). Il s’agissait de montrer un soutien appuyé aux personnes premières victimes de ce système xénophobe. Il s’agissait de dénoncer la répression constante sur les personnes migrantes, due notamment à l’existence même de frontières et de papiers d’identité. Ce système vise tant à restreindre ou interdire la libre circulation des personnes qu’à cautionner l’impérialisme Nord-Sud. De par les politiques économiques capitalistes et impérialistes occidentales, des peuples entiers sont contraints de quitter leur pays pour leur survie et leur sécurité. Ces personnes, une fois arrivées aux « portes » de nos pays se voient refoulées, maltraitées, enfermées voire tuées au lieu d’être accueillies et aidées.

La forme était une manifestation nombreuse, festive et pacifiste, annoncée de longue date. Les participant.es, venant souvent de loin malgré le couvre-feu et la situation sanitaire, se sont élevé.es contre cette double violence.

RP : Comment la préfecture a-t-elle réagit ?

La préfecture a autorisé la manifestation. Ceci dit, des arrestations ont été effectuées à la frontière franco-italienne, empêchant des personnes de rejoindre la manifestation à Nice. Des trains ont été arrêtés. Le cortège a été bloqué à deux reprises sur le parcours déclaré.

Il y a eu à deux reprises des affichages et intrusions de personnes fascistes au sein de la manifestation. La première, au début, a été réprimée par la police, frisant la mise en scène. La seconde n’a pas fait l’objet d’intervention policière alors même que des saluts nazis, insultes et jets de canettes vides ont été adressés aux manifestant.es. Dans les deux cas, les manifestant.es ont rapidement chassé ces fascistes, les faisant reculer à coup de slogans, chants et détermination collective. Au long du parcours, les forces de l’ordre (en uniforme et en civil) avaient pour mission principale de protéger des monuments chers à la ville, qu’ils soient en métal ou en carton-pâte.

RP : Vous avez été gardé.es à vue pendant 25h. Quelle a été votre expérience de la police durant cette GAV ?

Notre expérience de la police a été globalement celle d’une arrestation arbitraire et d’une détention abusive, d’une durée de 25h.

Nous avons été arrêté.es brutalement, tourné.es au mur, menotté.es en torsion, sans motif ni explication, à la petite terrasse d’un restaurant. Nous avons ensuite parfois été soulevé.es du sol vers les voitures (non attaché.es), conduit.es à 90 km/heure dans les rues citadines, puis longuement parqué.es dans une première salle, entouré.es d’une dizaine d’agents. Les genres des personnes n’ont pas été respectés lors des fouilles ou des dénominations.

Nous avons ensuite passé la garde à vue dans un autre lieu de détention, aux nombreuses cellules occupées. Nous avons passé tout le temps dans des cellules individuelles et parfois isolées, les murs et plafond couverts d’urine, de merde et de sang, sans couverture ni pull, en attendant parfois des heures pour pouvoir aller aux toilettes dégorgeant d’urine, boire, changer une protection hygiénique, manger, connaître l’heure...

Autour de nous, des hurlements d’autres détenu.es pour demander à prévenir son enfant, pour réclamer un traitement, pour connaître son sort, jusqu’à se fracasser contre la porte de la cellule... réprimé.es par des hurlements retour ou de l’ignorance. Les attitudes sont organisées pour déshumaniser, rabaisser, casser, dévaluer les luttes, assurer une domination par des logiques sadiques à différentes échelles de décision.

Ceci s’accompagne d’intox sur les droits, de dépréciation, de refus de voir les avocates sollicitées. La présomption d’innocence n’existe pas : tout est fait pour te faire croire à une culpabilité même quand tu n’as rien fait.

Nous avons subi les techniques de manipulation rodées et efficaces. De l’empêchement à dormir (lumière ou obscurité non choisie) à la transmission de fausses informations, tout participe à la guerre des nerfs. Dès qu’une personne a une attitude qui « sortirait » du cadre attendu, le comportement des forces de l’ordre bascule. Les discours racistes et homophobes sont incessants, la banalisation des atrocités (comme les centre de rétention) de même. Deux d’entre nous ressortent sans aucun papier attestant de leur garde à vue. Abusif. Arbitraire. Pas de trace.

RP : Ce n’est pas la première fois qu’une manifestation féministe fait l’objet d’une féroce répression. On se rappelle d’expériences très rudes à Toulouse, notamment. Plus largement, les interdictions de manifester se multiplient, comment récemment pour la manifestation parisienne de soutien à la Palestine ou encore pour le POID. Qu’est ce que cela dit de la situation politique selon vous ?

Ce n’est qu’une parmi les répressions de rassemblements féministes ou anti-racistes (Paris, Toulouse, Nantes...). Nous ne sommes plus juste dans l’acceptation tacite de la répression mais dans l’écrasement assumé de luttes. L’extrême droitisation des discours dits "républicains" se met en pratique. À Nice particulièrement, l’instrumentalisation du « traumatisme national » met sur le même plan une inscription sur un mur et le sort de milliers de personnes qui meurent en mer ou en CRA. Ce discours dominant de « l’intolérable » (justifié par une « idéologie républicaine ») veut faire oublier le véritable intolérable : marchandiser et écraser des êtres humains. Une de nous a entendu à plusieurs reprises que le mot d’ordre de la plus haute hiérarchie, pré-manif, avait été « d’en finir avec ces féministes et les étrangers ».

Sous un prétendu "État de droit", la police réprime, détient et humilie des personnes, car « deux individus auraient écrit au feutre effaçable "État colonial, état raciste, état patriarcal, fermons les CRA" ». Aujourd’hui, « dégradation volontaire en réunion » est la dénomination pour une inscription éphémère. Cette politique insidieuse et son traitement médiatique peuvent même conduire la population à croire qu’il n’y aurait « pas de fumée sans feu » et que, s’il y a arrestation, il y a culpabilité. Ceci casse tant les luttes que les solidarités.

RP : Le gouvernement ne cesse d’instrumentaliser les revendications féministes qui émergent des dernières mobilisations à des fins racistes et islamophobes, à l’image du fémo-nationalisme incarné par Marlène Schiappa. Votre expérience montre bien qu’en réalité, ni le gouvernement ni la police peuvent être nos alliés dans le combat féministe ?

Nous déplorons et dénonçons le discours frontiste « du vol du travail par les étrangers », mais aussi son déplacement vers celui du « vol des femmes par les étrangers ». Cette argumentation raciste ne tient pas une seconde face à la réalité des chiffres. S’entendre dire par des policiers après 24h de garde à vue humiliante, alors qu’ils savaient depuis le début qu’il n’y avait rien à nous reprocher, que notre condition n’est pas à plaindre, et que nous serions chanceux.ses de ne pas être lapidées ici comme personne homosexuelle, transgenre ou femme, est insupportable. Notre chance à nous, non des moindres, est d’être soutenu.es par nos proches, d’avoir des papiers et un toit, de maitriser la langue, de connaitre nos droits français. Nous sommes depuis longtemps épouvanté.es par le sort et les violences réservés aux personnes qui en sont privées.

Nous dénonçons la banalisation et l’invisibilisation des meurtres hebdomadaires de femmes et minorités de genre en France, au regard de l’hyper médiatisation de ceux à l’étranger, justifiés dans les discours de la police par des arguments pseudo-culturels et surtout racistes.

Nous nous élèverons toujours contre un fémo-nationalisme blanc bourgeois. Celui-ci instrumentalise les revendications des droits des femmes, les stéréotypes, la peur projetée sur l’étranger. En France comme ailleurs, la grande majorité des viols sont perpétrés au sein des couples et cercles de proches, et non condamnés. Est évacuée la question de la vraie violence, la violence d’État. Les institutions, dont la police, continuent de garantir un maintien de l’ordre patriarcal et raciste, qui asservit les minorités sous couvert d’une image de « sauveur de l’opprimé.e ». Face à cette ignominie politique, nos réponses sont d’amplifier les réseaux de solidarité, dans une perspective queer et internationaliste.

Propos recueillis par Gabriella Manouchki


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