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Justice et Vérité

« Nous devons dénoncer toutes les violences d’État ». Entretien avec le comité Justice et Vérité pour Yanis 

Ce samedi 5 novembre, une marche est organisée à Saint-Denis par le comité Justice et vérité pour Yanis, en l’hommage de Yanis, mort après avoir croisé le chemin de la police en avril 2021. Dans cet entretien, nous revenons avec les membres du comité sur leur lutte contre les violences policières et les violences d’État.

Belkacem Bellaroussi

3 novembre 2022

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Le 14 avril 2021, Yanis est pris en chasse par la police alors qu’il rentre chez lui en moto après un match de foot. Un accident met un terme à la course-poursuite sur l’autoroute A1, à quelques centaines de mètres de son domicile. Yanis est dans un état critique. Il est plongé dans un coma pour 49 jours avant de mourir des suites de ses blessures.
 
Depuis, la famille se bat pour obtenir des réponses aux questions que pose légitimement l’accident, et notamment la potentielle implication des agents de police dans l’accident de Yanis. Le chemin qu’a pris Yanis ce soir-là est truffé de caméras de vidéosurveillance dont la famille réclame le visionnage. Face au silence criminel de la police et de la justice depuis, la famille se bat pour faire éclater la vérité de ce qui s’est passé ce jour-là.
 
Le 5 novembre prochain, à Saint-Denis, elle organise une marche afin d’exiger vérité et justice pour Yanis et contre tous les crimes d’État. Une cagnotte en ligne a été mise en place pour aider la famille à organiser la marche et pour financer leur combat judiciaire coûteux.
Nous nous sommes entretenus avec les membres du comité « Justice et vérité pour Yanis », composé de la famille et de proches de Yanis qui ont accepté de répondre à nos questions. Ils reviennent sur leur combat pour la justice et la vérité, et sur l’actualité de la lutte contre les violences policières au moment où les morts sous les balles de la police pour « refus d’obtempérer » se multiplient.
 
Révolution Permanente : Comment se déroule votre combat judiciaire pour faire éclater la vérité sur les circonstances de la mort de Yanis ?
 
Comité Justice et Vérité pour Yanis : Nous avons décidé de réclamer justice dès l’accident de Yanis, alors qu’il était encore dans le coma. Nous avions alors porté plainte pour « mise en danger » et « violences volontaires exercées par personnes dépositaires de l’autorité publique ». À ce moment-là, on ne savait pas à quoi s’attendre. A son décès, nous avons porté une seconde plainte pour requalifier les faits en « homicide involontaire » auprès du parquet de Bobigny. Après plusieurs mois de silence de la part de la justice, en décembre 2021, nous avons décidé avec notre avocat de nous constituer en parties civiles comme la loi le permet et ainsi forcer l’ouverture d’une instruction sur l’affaire de Yanis. À ce jour, nous attendons encore du doyen des juges la date d’audition des parties civiles pour que soit entendues nos demandes de vérité et de justice sur ce dossier. Nous savons que ça va être très long, à l’image des combats des autres familles de victimes, mais on ne lâchera rien. 
 
RP : Dans les différents combats judiciaires que mènent les familles de victimes, c’est toujours la police qui gagne, comment l’expliquez-vous ?
 
Justice pour Yanis : L’administration judiciaire française réduit au silence nos pertes et nos combats pour la vérité et la justice. Dans de nombreuses affaires de crimes et de violences d’état, peu de victimes survivantes ou de familles de victimes obtiennent un procès. Et lorsqu’elles en obtiennent un, la culture du non-lieu est de mise. Dans le cas où il y a reconnaissance de crimes, ce sont de petites peines de sursis qui sont prononcées. C’est écœurant. La réalité, c’est que la justice n’est pas indépendante de l’État, elle est complice, elle couvre ses crimes. Elle participe à la criminalisation des victimes. On l’a vu à de nombreuses reprises, dernièrement dans l’affaire de Nordine à Stains. Il n’y a aucune impartialité. Il n’y a pas de justice au sens propre du terme. Après le peu de recours dont on dispose, c’est terminé. Le dossier est classé et les familles restent sans réponses et sans responsables. Les espoirs de justice dans nos dossiers existent, mais il faut porter le combat plus haut et plus fort, au niveau des hautes instances internationales, comme dans l’affaire Lamine Dieng que la famille a fini par porter à la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour obtenir enfin reconnaissance du crime et réparation de la part de l’État français. 
 
RP : Comment s’organise votre combat, au niveau local et avec les comités de familles de victimes ? Quelles sont vos revendications ?
 
Justice pour Yanis : L’association Justice et vérité pour Yanis est membre du réseau Entraide, Vérité et Justice qui accompagne et fédère les victimes survivantes et les familles de victimes de violences policières, pénitentiaires et d’État. Nous participons à des événements publics qui nous permettent de visibiliser nos combats. Cela nous apporte une force incroyable, à chacun. Malheureusement nous ne sommes pas seuls dans nos combats, mais nous avons la volonté d’avancer unis pour faire bouger les choses.
 
Au niveau local, nous soutenons la mise en place d’un collectif « anti violences policières » dont l’objectif est de visibiliser les violences et créer un réel rapport de force face à la politique sécuritaire inquiétante qui s’est mis en place à Saint-Denis et qui s’est accrue en vue de la préparation des Jeux Olympiques 2024. Il est important pour nous d’inscrire notre combat pour Yanis dans une lutte plus globale contre les violences d’État, de savoir être présents pour ceux qui vivent ces violences, de les aider comme on nous a aidé.
 
Nous avions organisé une première marche en novembre 2021, nous marchons une nouvelle fois pour dénoncer les violences policières subies depuis de longues années dans nos quartiers, avec une hausse croissante de l’impunité, le silence des administrations publiques face aux victimes, le racisme systémique de l’institution policière, toutes les formes d’injustices couvertes par l’État.

Nous marcherons pour que cesse le silence des administrations publiques et de la justice devant le drame que la famille de Yanis vit depuis 18 mois ; nous marcherons pour réclamer à nouveau l’accès à la vidéosurveillance dont une partie est directement gérée par les services de la mairie de Saint-Denis afin d’avoir accès aux faits exacts qui se sont déroulés le soir de la poursuite et de pouvoir poursuivre, s’il y a lieu d’être, les responsables de la mort de Yanis en justice ; nous marcherons pour que soit enfin respectée la circulaire qui préconise de ne pas prendre en chasse les véhicules à deux-roues sauf en cas de crime de sang ; nous marcherons pour que cessent toutes les formes de violences policières, pénitentiaires et d’État sur notre territoire ; nous marcherons pour que les polices, en tant qu’administrations publiques, rendent des comptes aux citoyens
 
Cette marche sera l’occasion de rappeler que Yanis n’est pas la seule victime des violences policières sur notre territoire. 
 
 
RP : Dans les quartiers, et à Saint-Denis plus particulièrement, la police est de plus en plus présente. La BRAV-M (police motorisée) à fait son apparition dans certaines cités et le maire a annoncé une augmentation de ses effectifs de police municipale, dont les violences se multiplient. A quoi s’attendre dans nos quartiers ? 
 
Justice pour Yanis : Nos quartiers populaires ont toujours été la cible des politiques sécuritaires des gouvernements qui se sont succédé. Ils sont une sorte de laboratoire pour toutes ces unités de maintien de l’ordre. Rappelons que la BRAV-M intervenait sur les manifestations des Gilets Jaunes avant la crise sanitaire, et qu’elle a participé à la mutilation de dizaines de personnes. Désormais, ces unités ont été affectées à des missions de maintien de l’ordre dans les cités comme c’est le cas au Franc-Moisin, où l’usage de LBD est presque quotidien, comme l’ont dénoncé ses habitants.
 
Depuis peu ce sont donc des politiques sécuritaires locales assumées qui sont soutenues par le gouvernement (via le préfet) qui se mettent dangereusement en place : Saint-Denis en est un exemple. En plus d’une présence déjà forte de la police nationale (deux commissariats), la municipalité a accru son service de vidéosurveillance, ses effectifs d’agents de la police municipale, dont les missions ont dérivées avec la volonté d’être surarmée grâce à un arrêté préfectoral. Nous assistions déjà à la multiplication des violences depuis le début de la crise sanitaire dans les quartiers populaires, pour des raisons racistes, et l’augmentation du sentiment d’impunité qui règne autour de ces actes, et cela ne va pas s’arranger. Nous sommes inquiets de la situation et nous pensons qu’il est plus que nécessaire de s’organiser entre concitoyens au niveau local pour dénoncer ces politiques sécuritaires et ces dérives dangereuses qui les accompagnent. 
 
RP : Cette année, quatorze personnes sont mortes dans le cadre de refus d’obtempérer, et les offensives sécuritaires du gouvernement se multiplient, avec un doublement des effectifs de police d’ici 2027. Vous souhaitez élargir votre combat à toutes les violences d’État, expliquez-nous cette démarche.
 
Justice pour Yanis : On ne peut pas se contenter de dénoncer la violence qu’on a subie et fermer les yeux sur l’actualité. Depuis le meurtre de Yanis et les violences que nous avions subies lors de la veille funéraire le 4 juin 2021, ce sont des dizaines de cas de violences et de crimes policiers à Saint-Denis et partout en France. La police utilise le droit, et en l’occurrence les refus d’obtempérer pour légitimer leurs crimes. Criminaliser des individus leur permet de justifier leur violence. Ce système raciste et impérialiste s’exprime à travers ces politiques sécuritaires, et les deux se renforcent. Il s’est arrogé le droit de mort, le droit de mutiler nos corps. Nous ne pouvons pas accepter cela. Nous nous devons de dénoncer toutes les violences d’État : les crimes policiers mais aussi les violences pénitentiaires, les crimes racistes et tous les crimes couverts par la justice. C’est notre devoir. Nous ne voulons pas de cette police, ni de cette justice. Nous réclamons une justice impartiale et libérée des carcans de l’État, qui établit la Vérité et la Justice pour la paix de nos victimes, et pour faire notre deuil.


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