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Une machine inarrêtable ?

Nucléaire. Quand EDF joue avec la durée de vie des centrales

EDF va investir 100 milliards d’euros pendant 10 ans dans une opération de « grand carénage » visant à prolonger la durée de vie de ses 19 centrales nucléaires, donc 15 ont plus de 30 ans alors qu’elles ont été conçues pour fonctionner au maximum 40 ans. Un projet de longue haleine, puisqu’il a commencé en 2014 et devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2025, et émaillé de nombreux obstacles. Alors qu’il devait initialement coûter 50 milliards, la Cour des comptes estime que le projet devrait finalement en coûter le double, tandis que l’Autorité de Sûreté du Nucléaire relève les difficultés financières et techniques déjà rencontrées par EDF dans les travaux préliminaires, qui sont sans commune mesure avec ceux prévus. Et tandis que l’opinion publique prend peu à peu conscience de l’ampleur des risques impliqués, les politiques doivent jongler entre quelques promesses électorales de transition énergétique, et leur incapacité à arrêter la folle machine lancée par De Gaulle.

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L’état du parc nucléaire français est critique puisque presque toutes les centrales approchent de leur fin de vie. Or, le fort investissement prévu par EDF dans leur rénovation afin de pouvoir les faire fonctionner encore 10 à 20 ans, cache le fait qu’il est en réalité impossible de remplacer des pièces centrales comme les cuves des réacteurs, ou les enceintes en béton chargées de contenir la radioactivité en cas d’incident mais qui sont elles-mêmes soumises au vieillissement (fissures, perte d’étanchéité des multiples vannes et tuyauteries qui les traversent...). Et à ces éléments, sur lesquels il est au moins possible de faire quelques tests, il faut rajouter des kilomètres de câbles et de canalisations, dont une grande part souterraines ou noyées dans le béton : ces dernières, souvent inaccessibles ne peuvent même pas être vérifiées, et on ne peut que supposer quel est leur état de vieillissement – or une pièce ne vieillit pas toujours de manière conforme à la moyenne. Le projet de grand carénage est donc un grand jeu de roulette russe, consistant à parier qu’un ensemble de pièces centrales tiendront le coup, dont certaines sur lesquelles il est impossible d’avoir une vision de leur état. Mais c’est l’ensemble de la population française et même européenne qui se trouve du mauvais côté du canon avec lequel EDF est en train de jouer.

Pourquoi EDF se lance-t-elle dans ce chantier, malgré les risques et alors que la compagnie est déjà criblée de dettes ? Il faut d’abord comprendre que même si les réserves d’uranium commencent à s’épuiser, le nucléaire continue à être une énergie peu chère à produire comparée aux autres. Mais aussi qu’il est – pour cela et suite à des décisions politiques historiques – l’un des piliers centraux de l’économie française qui en détient le monopole mondial, et qui exporte son savoir-faire dans le monde entier via AREVA, ce qui lui garantit une place économique et géopolitique de choix. Il y a donc de grands profits immédiats à continuer, foncer dans le mur, tandis que le coût d’arrêt du nucléaire lui est énorme, et doublement à perte. Il nécessite en effet dans le même temps de stopper les centrales et de les démanteler, véritable gouffre financier (sans retour sur investissement possible) tant pour les travaux en eux-mêmes que pour les recherches et essais technologiques nécessaires à leur réalisation, et de construire les infrastructures nécessaires pour remplacer la production énergétique fournies par ces centrales – qui correspond à près de 80% de la production d’électricité en France.

Un événement récent illustre le poids et l’inertie du nucléaire en France : 18 réacteurs (sur les 58 répartis dans les 19 centrales) étaient à l’arrêt début décembre ; ce qui a fait craindre à une pénurie d’électricité durant l’hiver, du fait d’une forte augmentation de la consommation nationale, alors qu’un tiers des réacteurs ne fonctionnaient pas. L’origine de cet arrêt est un problème de conception des fonds de générateurs qui présentent une concentration trop importante de carbone, fragilisant potentiellement l’acier, et qui ont été mis en service avec ce défaut. Suite à la demande l’Autorité de Sûreté Nucléaire, EDF est actuellement en train d’effectuer une batterie de test sur les réacteurs en question avec le but de les remettre en service le plus tôt possible. Mais les cuves resteront avec ce défaut, et les tests visent uniquement à enquêter sur leur état actuel. Et si pour la première batterie de tests l’ASN s’annonce satisfaite, on voit bien que le principal étalon de mesure de ces tests n’est pas les dangers encourus par la population et les travailleurs des centrales, mais la dépendance énergétique dans laquelle la France s’est enferrée vis-à-vis de ces centrales.

Ainsi, aucun gouvernement sous régime capitaliste ne peut prendre la décision d’arrêter le nucléaire dans un pays où il a autant de poids qu’en France, comme le prouvait encore il y a un an Ségolène Royal en donnant son accord aux travaux de grand carénage, en violation manifeste de sa propre loi de transition énergétique, qui prévoyait de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française d’ici 2025. Ces travaux seront menés dans une précipitation grandissante au fur et à mesure du vieillissement des centrales, mettant sous pression les travailleurs, avec tout ce que ça entraîne comme risques d’accidents du travail, de risques d’irradiations et de catastrophes de grande envergure. Ils seront effectués alors que 50% des anciens effectifs d’EDF seront partis à la retraite en 2017, et avec eux leur savoir et leur expérience des centrales, et en pleine période de flexibilisation générale de l’emploi, ce qui aggravera encore ces risques. Et en cas de fuite importante, ou pire, ça ne sera évidemment pas aux politiciens et aux patrons responsables de ces désastres à qui on demandera d’aller se sacrifier pour sauver ce qui peut encore l’être.

C’est pourquoi en cette période électorale, entre ceux qui nient le problème et ceux qui prétendent vouloir y apporter des solutions, mais en restant au sein d’un système économique et politique en réalité inapte à nous faire sortir du nucléaire, il est nécessaire d’avoir une claire vision des coordonnées d’ensemble du problème. Il est nécessaire de comprendre qu’il n’y a que la lutte des travailleurs, au premier rang desquels ceux d’EDF et d’AREVA, qui puisse constituer une réelle voie de sortie, parce qu’eux seuls ont le poids économique – et donc politique – suffisant pour contrebalancer la place centrale qu’occupe le nucléaire dans la politique énergétique et économique française. Parce que les patrons et les politiciens ne voudront pas plier, et que seule une longue grève des ouvriers pourra les mettre à genoux. Et parce que la lutte sera très dure, et que seule l’organisation et la solidarité ouvrière nous permettra d’avoir les forces pour gagner ce combat, il importe de s’y préparer dès maintenant. Alors que fusent les promesses creuses et les dénis purs et simples à l’approche de 2017, la voix de Philippe Poutou, un ouvrier qui défend la sortie du nucléaire, peut nous servir de point de ralliement. Mais à condition de s’en emparer vraiment, de s’en servir pour se regrouper autour non seulement du mot d’ordre de la sortie du nucléaire, mais surtout de la conscience que ce n’est que par une lutte déterminée des ouvriers, avec le soutien de tous les autres secteurs, que nous y arriveront. S’emparer de la campagne de Poutou ne veut pas dire essayer de porter un candidat à la présidence : c’est militer pour rassembler les forces de combat nécessaires au changement écologique et social que nous défendons.


      
  
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