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Moyen-Orient

“On a soif !” Des milliers de personnes confrontées aux pénuries d’eau manifestent contre le régime en Iran

Des manifestations et des grèves massives ont lieu en Iran suite aux pénuries d'eau et aux pannes d'électricité. Elles montrent le ras-le-bol des classes populaires iraniennes face à un régime autoritaire et une économie mise à mal par les sanctions internationales.

Maryam Alaniz

23 juillet 2021

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Article originalement paru dans Left Voice, traduit de l’anglais par Youri Merad

Depuis le 16 juillet, en raison de graves pénuries d’eau et d’électricité, un soulèvement qui a débuté dans la province pétrolière du Khuzestan s’est étendu à au moins 17 autres villes. Les coupures d’électricité qui touchent cette région seraient les plus importantes depuis la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980.

Au cours de la semaine dernière, des milliers de manifestants sont descendus dans la rue dans le sud-ouest du pays. Ils ont organisé de multiples grèves, des sit-in, des blocages de routes entre les villes et des manifestations, scandant des slogans anti-gouvernementaux et exigeant un meilleur accès à l’eau potable pour leurs terres agricoles et leur bétail.

Pour réprimer les protestations, la police iranienne et la police anti-émeute ont utilisé des gaz lacrymogènes, des obus à fragmentation et des balles réelles. À ce jour, au moins quatre manifestants du Khuzestan ont été tués par les forces de sécurité. On ignore encore le nombre de personnes qui ont été blessées ou arrêtées lors des manifestations. Dans de nombreuses parties de la province du Khuzestan, les manifestants ont également signalé des coupures et de forts ralentissements d’Internet.

Les jeunes, les femmes et les minorités ethniques, notamment les Arabes iraniens et les Lurons bakhtiari, ont ouvertement affronté le régime iranien pendant les manifestations avec des slogans tels que "Mort à la République islamique" et "On a soif ! On veut que le régime tombe !". Ces secteurs ont également appelé à l’unité entre les différents groupes ethniques de la région : "Bakhtiari avec les Arabes, unité de l’alliance" et "N’ayons pas peur, n’ayons pas peur, nous sommes tous ensemble !".

En plus des interruptions continues d’approvisionnement en eau et en électricité dans les zones urbaines et rurales, à Téhéran, une masse de manifestants, essentiellement des femmes, scandaient elles aussi "Mort à la République islamique" pour protester contre une réduction du trafic du métro imposée par le gouvernement. Les métros arrivant moins fréquemment, ils étaient extrêmement surchargés en plein milieu de la cinquième vague de la pandémie en Iran.

Un groupe de militants des droits de l’homme, de travailleurs, d’enseignants et de mères de victimes tuées lors de manifestations s’est rassemblé pour protester devant le ministère de l’Intérieur de Téhéran en solidarité avec les manifestants de la province iranienne du Khuzestan, frappée par la sécheresse. Ils ont été attaqués par les forces de sécurité et un certain nombre de manifestants ont été sévèrement battus et arrêtés, notamment Narges Mohammadi, éminente militante des droits de l’homme.

Ces dernières semaines, ce soulèvement - ainsi que les luttes héroïques de plus de 100 000 travailleurs de l’industrie pétrolière et pétrochimique, dont les principaux centres se trouvent au Khuzestan - et les grèves importantes en cours, comme celle des travailleurs militants de l’usine de canne à sucre de Haft Tappeh, ont attiré l’attention sur la situation sociale intenable en Iran. En plus de son régime bourgeois réactionnaire, les Iraniens subissent également le poids des sanctions de la stratégie de "pression maximale" infligées par l’impérialisme américain. Avec un taux d’inflation de plus de 50 %, un taux de chômage élevé et une augmentation du coût de la vie, une grande partie du pays a été plongée dans la misère.

Au fur et à mesure que la situation évolue, la lutte contre la privation des ressources au Khuzestan et les luttes de divers autres secteurs sociaux, en particulier celle des travailleurs du pétrole en grève, pourraient converger. D’ores et déjà, les militants syndicaux de divers secteurs appellent à des protestations et à des actions unifiées à l’échelle nationale.

Le Khuzestan a soif !

L’Iran - un pays qui se classe au quatrième rang mondial en termes de pénurie d’eau - est confronté à la pire sécheresse qu’il ait connue depuis 50 ans. Cette grave crise de l’eau a entraîné la destruction de l’agriculture et un chômage généralisé pour les Iraniens de la région. Outre le changement climatique, la crise de l’eau que connaissent aujourd’hui les Iraniens est le résultat de décennies de mauvaise gestion des ressources par un régime bourgeois qui donne la priorité aux profits capitalistes de l’élite dirigeante iranienne sans se préoccuper de l’épuisement des ressources du pays.

Bien qu’il ait été autrefois une région luxuriante et fertile dotée de l’un des plus grands lagons de la région, l’écosystème du Khuzestan a été perturbé par des politiques destructrices de construction de barrages et de détournement de l’eau pendant près de trente ans. Ces politiques découlent des activités de la compagnie pétrolière nationale iranienne dans la région et des projets de construction lancés après la guerre destructrice avec l’Irak qui a transformé la zone humide mésopotamienne en terrain vague. Le Khuzestan est ainsi devenu l’une des provinces les plus pauvres et les plus démunies d’Iran.

De nombreuses villes du Khuzestan n’ont pas l’eau courante, et les populations locales dépendent donc de livraisons de citernes pour avoir accès à l’eau potable. Elles doivent attendre des heures et des heures rien que pour recevoir quelques bidons d’eau. Les agriculteurs se retrouvent donc sans moyen de subsistance, les familles manquent d’eau pour vivre et des bancs entiers de poissons s’échouent morts dans les lits de rivières asséchées. Pendant des années, des militants écologistes ont mis en garde les autorités contre la gestion de l’eau et l’état de l’environnement, mais ils ont été réprimés, emprisonnés et finalement expulsés du pays.

Selon le ministère iranien de l’eau et des égouts, au moins 110 villes iraniennes (dont un grand nombre dans la province du Khuzestan) ont dû faire face à des coupures d’eau régulières au cours de l’été 2021 en raison des températures extrêmement chaudes et des sécheresses qui ont entraîné des pannes d’électricité généralisées et des pénuries d’eau. Les responsables gouvernementaux reconnaissent que le Khuzestan a été durement touché, et le président sortant Hassan Rouhani a promis d’allouer des fonds et des camions-citernes aux habitants assoiffés et exaspérés de cette région.

Depuis la révolution iranienne, l’Iran subventionne les produits pétroliers, les denrées alimentaires de base, les produits médicaux et les services publics (eau, électricité et égouts) afin d’apaiser la population fatiguée par la guerre avec l’Irak. Dans les années 90, les tentatives de réforme des subventions en direction du privé et le plan d’austérité dirigé par le président de l’époque, Hashemi Rafsanjani, ont déclenché des manifestations dans tout le pays, obligeant son administration à renoncer à la réduction des subventions et à de nombreuses réformes néo-libérales. Face aux sanctions et à la Grande Récession, l’ancien président populiste iranien Mahmoud Ahmadinejad a mené un programme de réforme des subventions pour l’énergie et le pain, et a fait augmenter leur prix ; en contrepartie, le gouvernement a remis aux ménages pauvres des transferts en espèces. Les sanctions plus sévères imposées sous l’administration Trump et l’aggravation de la crise structurelle ont conduit à de nouvelles tentatives de réforme des subventions publiques, notamment l’augmentation de 50 % des prix de l’essence par le président Rohani en novembre 2019 - une mesure qui a entraîné une puissante rébellion anti gouvernementale dans tout le pays.

Le régime est actuellement confronté à une situation délicate dans laquelle une crise structurelle profonde et non résolue, renforcée par la pandémie, les a conduit à imposer une réduction des heures de travail des industries, des réductions d’exportations d’électricité vers l’Irak et l’interdiction de miner du bitcoin pour faire face aux pannes d’électricité et éviter des réformes plus importantes du type “réforme des subventions” qui pourraient ajouter de la fragilité à une situation sociale déjà précaire. Mais ces mesures prises sous le gouvernement d’Hassan Rouhani n’ont pu contenir que temporairement la colère de la population face aux pénuries d’électricité et ont eu de graves conséquences économiques pour une économie qui souffre déjà des sanctions paralysantes des États-Unis.

Le nouveau président iranien, Ebrahim Raisi, élu avec le plus faible taux de participation jamais enregistré à une élection présidentielle, doit prêter serment début août ; il héritera des problèmes croisés et aigus de l’Iran. Il prévoit probablement un allègement des sanctions si un nouvel accord nucléaire est conclu avec les États-Unis et leurs alliés ; mais ça n’empêchera pas les ayatollahs de tenter d’appliquer des mesures d’austérité brutales aux classes populaires.

Avec l’Iran à la une des journaux, des politiciens républicains américains comme Marco Rubio et Claudia Tony, une représentante de New York, ont condamné le régime répressif et exprimé leur solidarité avec les manifestants iraniens. Mais ces républicains cachent derrière des platitudes vides leurs désirs d’un changement de régime réactionnaire dans l’intérêt du capital américain. Alors que de nombreux démocrates et l’administration Biden préfèrent une approche plus "diplomatique" pour garantir les intérêts nord-américains dans la région, la poursuite des sanctions de "pression maximale" de Trump, qui prive de plus en plus quotidiennement les Iraniens de ressources, souligne le chevauchement des intérêts des deux partis impérialistes aux États-Unis. Comme l’histoire l’a prouvé à maintes reprises, rien de bon ne sort de l’intervention des États-Unis.

Au milieu du mécontentement croissant à l’égard d’un régime répressif et des conditions misérables et dégradées auxquelles sont confrontées les classes populaires en Iran, les secteurs sociaux qui ont été actifs dans les rues gagnent en expérience à chaque nouvelle vague de lutte.

Ces secteurs en plein réveil ont le potentiel d’étendre la portée et l’ampleur du mouvement actuel en Iran, notamment avec la grève massive des travailleurs du pétrole, s’ils sont capables de coordonner et d’unifier les luttes en cours. En outre, l’un des aspects les plus encourageants des grèves et des actions de la classe ouvrière récemment, est le développement d’organes d’auto-organisation naissants, actuellement sous la forme de comités d’organisation de grève qui pourraient être nationalisés et transformés en un lieu de prise de décision collective pour ceux qui sont engagés dans la lutte - en utilisant l’exemple des proto-soviets qui ont émergé pendant la révolution iranienne, les shoras.

Cette nouvelle vague de protestations et d’organisation parmi les opprimés et les exploités en Iran a le potentiel d’inspirer les masses en lutte dans tout le Moyen-Orient au-delà des frontières de l’Iran, qui font face aux forces d’exploitation de régimes bourgeois et réactionnaires similaires et qui ont fait les frais des politiques meurtrières de l’impérialisme américain. Aux États-Unis, des manifestations de soutien aux protestations iraniennes prennent également forme avec des manifestations de solidarité prévues vendredi à Dallas, au Texas, par la North American Bakhtiari Association et des manifestations demain au Washington Square Park à New York, en plus des récentes manifestations à Londres. La gauche, dans un pays comme les États-Unis, a la responsabilité particulière de dénoncer la politique criminelle de l’État en matière de sanctions et de blocus qui infligent le plus grand préjudice aux masses dans des pays comme Cuba et l’Iran.


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