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Néocolonialisme

Ouragan Irma. Qu’est allé faire Emmanuel Macron à Saint-Martin ?

C'est la question que de nombreux habitants des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy se sont posée. Après avoir envoyé sa ministre des Outre-Mer il y a quelques jours, que vient donc faire Jupiter sur les terres dévastées par l'ouragan Irma ?

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Jupiter malmené aux Antilles

Sans nul doute, la date du 12 septembre avait été bien calculée. Rien de mieux pour monopoliser l’attention des médias qu’un voyage présidentiel pour tenter de mettre au second plan la première grande journée de lutte contre sa loi Travail XXL. Selon la version officielle néanmoins, la date aurait été choisie pour éviter de déranger les secours. Une version qui est loin de convaincre les habitants, comme Clarisse, cité par France Info : « Le jour où la ministre de l’Outre-mer est venue, il y a eu trois rotations en moins pour évacuer les gens. Donc si Emmanuel Macron vient et que ça veut dire encore moins de rotation qu’aujourd’hui, qu’il reste chez lui ». Un autre habitant poursuit : « On est là, on attend, et tout le monde s’en fout ! Merci M. Macron ! »

Depuis plusieurs jours en effet, les secours tardent à arriver, alors que de nombreux habitants sont toujours en attente de besoins de premières nécessités, révélant au grand jour la gestion désastreuse de la situation par l’Etat français.

Comme le signale Elie Domota, syndicaliste guadeloupéen, il s’agit d’une gestion purement coloniale de la catastrophe : « Prenez l’exemple de la partie hollandaise de Saint-Martin. Les Hollandais avaient déjà un bateau qui mouillait dans la zone caraïbe avant le passage d’Irma. Ils ont deux hélicoptères qui ont pu décoller pour faire de premières évaluations. Dans la partie française de Saint-Martin et à Saint-Barthélémy, il a fallu attendre l’arrivée d’un Falcon 50 en provenance de Paris pour effectuer les premiers survols. On aurait aussi pu prépositionner des groupes électrogènes et du ravitaillement alimentaire dans des îles proches comme la Guadeloupe. Mais rien n’a été anticipé. » Un retard et une absence d’anticipation que l’on n’a pas vu à Cuba par exemple, comme le note le New York Times.

Emmanuel Macron, sur le tarmac de l’aéroport de Point-à-Pitre (Guadeloupe) n’a pourtant pas hésité à affirmer que « l’anticipation a été complète » et qu’« il n’était pas possible d’avoir une anticipation supérieure »...Vraiment ?

Irma, l’ouragan imprévisible ?

Et pourtant, il n’est pas nécessaire de regarder plus de 25 ans en arrière pour comprendre qu’il était possible d’anticiper, si ce n’est l’ouragan lui-même, les conséquences d’un tel ouragan, et de les prévenir. Il y a 22 ans quasi jour pour jour, en septembre 1995, c’est l’ouragan Luis qui dévastait l’île de Saint-Martin.


Cyclone Luis 1995 Saint-Martin Saint Barth

Il y a 22 ans déjà, les images témoignaient de la précarité des bâtiments et de la pauvreté de certaines populations de l’île. Il y a 22 ans déjà, c’est à la gestion coloniale de la catastrophe que les habitants avaient dû faire face, une gestion du territoire qui s’est poursuivi pendant ces 22 années.

A l’époque, en effet, c’est notamment le non-respect de la loi littoral qui avait été mis en cause : du fait de la défiscalisation de cette île en 1985 (qui permet donc aux plus riches d’aller s’installer aux Antilles pour faire de l’évasion fiscale), un boom en matière de construction, et notamment de tourisme de luxe avait conduit à ne pas respecter les réglementations de sécurité. Mais loin de remettre en cause cette logique générale, qui fait de cette île un territoire purement colonial où quelques privilégiés viennent se dorer la pilule tandis que les quartiers populaires, comme celui de Sandy Ground, sont laissés dans la misère, l’Etat français a décidé de promulguer une nouvelle loi de défiscalisation en 2003... notamment pour la rénovation des hôtels de luxe.

Ainsi, la gestion actuelle de la catastrophe révèle à nouveau au grand jour la réalité de ces « collectivités d’Outre-Mer », leur dénuement en termes de service public, leur mode d’organisation économique tourné vers le tourisme de riches européens, et en ce qui concerne Saint-Martin et Saint-Barthélémy, leurs disparités sociales. Comme le note Elie Domota dans l’interview que nous avons citée plus haut : « Il suffit de comparer avec les images de Saint-Barthélémy. Là-bas, il y a des maisons, des structures qui sont endommagées, mais le président de la communauté a pu déclarer que, cet hiver, tout serait en place pour le démarrage de la saison touristique. A Saint-Barthélémy, le niveau de vie est plus élevé, les infrastructures de meilleure qualité, les maisons plus solides. Il y a donc eu des dégâts moindres. »

Après l’ouragan, faire oublier les responsabilités de l’Etat français

Comme en atteste ses mensonges sur le fait que l’Etat français aurait parfaitement « anticipé », Emmanuel Macron n’est évidemment pas allé à Saint-Martin pour remettre en cause cet état de fait. En réalité, si Jupiter s’est rendu aux Antilles, c’est avant tout pour donner le change face à une situation dont l’Etat français est entièrement responsable. L’éditorialiste Christophe Barbier, pourtant connu pour sa proximité avec les politiques néolibérales défendues par le gouvernement Macron, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et évoque ouvertement la tentative de « diversion » que cherche à opérer le chef de l’Etat.

Moins conjoncturellement, la présence du président sur les lieux du passage de l’ouragan est aussi un geste hautement politique pour éviter que la colère qui existe aujourd’hui à Saint-Martin puisse faire écho à la colère qui s’est fait entendre dans d’autres colonies françaises comme en Guyane en 2017, venant troubler le jeu présidentiel, ou à Mayotte en 2016. Des territoires qui sont marqués, tout comme l’île de Saint-Martin, par le mépris que leur réserve l’Etat français, mais dont les luttes revendicatives, pour les droits sociaux et le droit à l’auto-détermination, font bien peur aux gouvernements successifs.


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