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Une décision politique

Partiels à l’Université Paris 1 : les juges prennent le parti de la sélection sociale

Depuis maintenant plusieurs semaines, à l’Université Paris 1, les étudiants se battent pour obtenir des modalités d’examen prenant en compte le contexte de crise pandémique et économique. Alors que le juge des référés n’avait pas considéré « manifestement illégale » la décision votée par la Commission de formation et de vie universitaire (CFVU) qui organisait des examens asynchrones et la dispense pour les étudiants ayant moins de 10 sur 20, les juges ont rendu une nouvelle décision qui reprend point par point les arguments des professeurs ayant attaqué la décision.

Enora Lorita

8 juin 2020

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Depuis début avril s’est entamée une véritable bataille entre les étudiants exigeant des modalités d’examen adaptées au contexte de la crise sanitaire, et des directeurs d’UFR réactionnaires prônant la sacrosainte « valeur du diplôme ». Ces derniers ont été jusqu’à traîner en justice à deux reprises l’Université, après un vote d’un des deux conseils centraux de l’Université, la CFVU, qui avait voté un cadrage adoptant notamment la dispense pour les étudiants obtenant une note inférieure à 10/20, ainsi que le principe des examens asynchrones.

Alors que le juge des référés avait tranché en faveur du cadrage des étudiants le 20 avril 2020 par une ordonnance qui jugeait ce cadrage non entaché d’illégalité, les professeurs n’en sont pas resté là. Deux jours plus tard, ils ont en effet entamé une nouvelle procédure, nommée le « déféré rectoral », qui n’avait pas été utilisée depuis des années. Par cette procédure, F.G. Trébulle, directeur de l’Ecole de Droit de la Sorbonne, a saisi le recteur qui a attaqué l’Université au Tribunal Administratif. Ce vendredi 5 juin, les juges ont rendu leur décision : ils cassent la quasi-totalité du cadrage, reprenant tous les arguments des professeurs de droit et du Ministère de l’enseignement supérieur.

Au nom du « principe fondamental du contrôle des connaissances »

Le premier argument soulevé par les juges est celui de l’article L613-1 du Code de l’Education qui dispose : « Ils [les diplômes nationaux] ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciés par les établissements habilités à cet effet ». Les juges contestent donc la dispense pour les étudiants ayant moins de 10/20 en insistant dans leur décision sur la nécessité d’évaluer les étudiants, de façon individuelle, sans prendre en compte le contexte de crise sanitaire. Ils expliquent ainsi : « toute validation générale et indifférenciée ou une validation qui ne sanctionnerait pas des connaissances et des aptitudes suffisantes ».

Derrière ces arguments juridiques se cache en réalité la défense d’une vision bien précise de l’Université, cette même vision qui conduisait en 2018 George Haddad à parler de « diplômes en chocolat » pendant l’occupation de Tolbiac contre la sélection à la fac. L’obsession du « contrôle des connaissances » révèle de la défense de l’Université sélective de la loi ORE, celle qui prône la sélection sociale et l’élistisme. Cette décision est dans la droite lignée de la volonté de limiter le nombre de diplômés face à la contraction du marché du travail, notamment dans un contexte où l’augmentation du chômage dans la jeunesse est brutale.

Au nom du « principe d’égalité » entre les étudiants

De même, pour appuyer leur argumentaire, les juges s’appuient sur « l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 », et affirment, au regard de cette ordonnance, que le principe d’égalité entre les étudiants ne serait pas respecté.

Pour eux, l’annulation des défaillances au profit d’une dispense de l’UE constitue en outre une rupture d’égalité entre les étudiants puisqu’il s’agirait de traiter de la même façon ceux qui passent des examens et ceux qui n’en passeraient pas.

Mais ces arguments relèvent en réalité d’une interprétation politique plus que juridique car dans l’autre sens, on peut également soulever que l’article 2 de la même ordonnance permet légalement à la CFVU de prendre les décisions figurant dans les délibérations litigieuses, puisqu’elle indique que « s’agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d’organisation, qui peut notamment s’effectuer de manière dématérialisée », et ce « nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire ».

Tout réside donc dans l’interprétation du « principe d’égalité de traitement des étudiants ». Dans la décision des juges, on trouve en filigrane la traditionnelle rhétorique méritocratique selon laquelle la mise en concurrence des étudiants est indispensable au fonctionnement de l’université. Il serait ainsi scandaleux que ceux qui n’aient pas passé leur examen ne soient pas sanctionnés de défaillance. D’après eux, la validation d’une année récompense les bons élèves relativement aux « mauvais » qu’il faut donc sanctionner. Pour nous, la logique est toute autre : non seulement car le « principe d’égalité » entre des étudiants qui n’ont pas les mêmes moyens est une fiction, mais aussi parce que maintenir des examens alors même que certains étudiants ont été en première ligne contre le virus en devant continuer à travailler, qu’une partie des enseignements n’a pas pu être dispensé, et que la période de confinement aggrave les disparités déjà grandes entre les étudiants.

Les DM : des mesures « ni nécessaires, ni proportionnées » à la situation selon les juges

En utilisant la même ordonnance que citée précédemment, les juges ont estimé que les modalités du cadrage qui décidaient de l’évaluation des connaissances par des devoirs maison « ne tiennent pas compte de la spécificité des différentes formations, n’apparaissent ni nécessaires ni proportionnées ».

Encore une fois, pour nous, l’ensemble des mesures prises par la CFVU et qui avaient par ailleurs été appliquées dans plusieurs Universités telles que Aix-Marseille, Avignon, Artois, ou encore la Réunion, étaient adaptées et proportionnées à la situation. Dans le cadre de la rédaction de nos conclusions devant le Tribunal Administratif, Le Poing Levé avait en ce sens récolté plus de 100 témoignages en moins de 24 heures d’étudiants témoignant de la précarité de leur situation, et de l’impossibilité pour eux de passer des examens. Le Rectorat avait lui-même reconnu que seuls 73% des étudiants ont accès à un ordinateur personnel, et les « aides à la connexion » prônées par l’Université se sont avérées totalement insuffisantes et beaucoup trop tardives. Quant aux « aides d’urgence », pour le moment les étudiants n’en ont pas vu la couleur…

Les mains libres à Haddad pour imposer ses modalités

Enfin, comme si ça ne suffisait pas, les juges ont décidé de donner la possibilité à George Haddad, président de l’Université, pour décider unilatéralement des modalités d’examen. En vertu de l’article 3 de l’ordonnance précitée, ils ont ainsi déclaré : « Il y a lieu de faire injonction au président de l’université Paris I, Panthéon Sorbonne de prendre, dans le délai de huit jours à compter de la notification de présent jugement, les mesures nécessaires pour que soient arrêtées les adaptations aux modalités de délivrance des diplômes, notamment aux modalités de contrôle des connaissances ».

Cette délégation au Président de l’Université est d’autant plus scandaleuse que celui-ci a soutenu tout au long les directeurs d’UFR, et n’a absolument pas défendu le cadrage devant la justice alors que c’était la partie qui était légalement tenue de le défendre. George Haddad n’a même pas dénié se présenter à l’audience.

Il s’agit donc d’un véritable déni de démocratie alors que la CFVU est l’organe compétent en la matière. Un choix qui s’inscrit cependant dans la droite lignée de toutes les atteintes au droit par les enseignants et directeurs de composante défendeurs de la sélection sociale à l’université, entre déni de la compétence de la CFVU et non-respect du cadrage lorsque celui-ci s’appliquait de droit.

Une décision qui épouse l’argumentaire des directeurs d’UFR

En somme, tous les arguments soulevés par les juges correspondent presque point pour point à ceux soulevés par les directeurs d’UFR, menés par Trébulle, ainsi que par le Ministère de l’enseignement supérieur. C’est sans surprise que Frédérique Vidal a tweeté, quelques heures après la décision : « Une décision juste et rassurante pour les étudiants de @SorbonneParis1 qui vont enfin pouvoir passer leurs examens sereinement, apaisés sur la valeur de leur diplôme ».

En outre, toute cette bataille n’est pas une bataille juridique mais politique : l’Université Paris 1 et les professeurs de droit, qui n’ont pas manqué de menacer de redoublement les étudiants, d’insulter les organisations étudiantes et de mépriser leurs services juridiques, jouaient leur réputation autour de cette décision juridique.

La première ordonnance rendue le 20 mai par le juge des référés montrait également que le cadrage de la CFVU n’était en rien manifestement entachée d’illégalité. C’est donc bien une bataille politique, déséquilibrée en termes de rapport de force, qui s’est menée. Une première bataille qui se solde par une défaite devant les tribunaux, mais qui doit nous inspirer pour mener les prochaines luttes à partir de la rentrée, et qui a fait trembler les profs les plus réactionnaires de la Sorbonne.


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