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Solidarité internationaliste

Pérou. Les manifestations se poursuivent contre Boluarte et l’ensemble du régime

Malgré la répression brutale qui a déjà causé la mort de plus d'une soixantaine de personnes, les manifestants continuent de descendre dans les rues péruviennes pour dénoncer le coup d'État parlementaire et revendiquer une Assemblée constituante. Pour désamorcer la crise, le Parlement tente sans succès d'avancer les élections.

Carla Biguliak

2 février 2023

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Depuis le 7 décembre dernier, date à laquelle la droite et l’extrême droite du Parlement péruvien ont organisé un coup d’État institutionnel pour destituer le président Castillo, les manifestations au Pérou ont pris de l’ampleur. Il s’agit aujourd’hui d’un processus sans précédent depuis des décennies, qui dépasse la Marcha de Los Cuatro Suyos en 2000, qui avait marqué le déclin du gouvernement du dictateur Alberto Fujimori.

Les différentes mobilisations ont d’abord éclaté dans les provinces avant de prendre des proportions de masse. En parallèle, les occupations d’aéroports, les blocages de routes se multiplient, alors que le soulèvement populaire et la résistance face à la répression se généralisent. Tout cela a abouti à la « prise de Lima », où des manifestants venus de différentes régions du pays ont marché sur la capitale le 19 janvier, poussées par les régions andines du sud du pays, en particulier les régions telles que Puno, Cusco et Ayacucho, qui étaient la pointe avancée des soulèvements.

Et ce n’est pas un hasard, puisque ce sont des régions qui souffrent depuis des décennies d’un profond racisme systématique et structurel, et qui subissent les pires conséquences du néolibéralisme. Ces régions ont également le plus fort taux de population appauvrie et précaire, dans un pays qui a le plus fort taux de travail informel d’Amérique latine. Enfin, elles ont le plus subi la répression policière, qui a fait plusieurs morts, comme lors du massacre de Juliaca le 9 janvier 2023. Plus de 60 morts sont à dénombrer depuis le début de la contestation.

Le Parlement cherche à institutionnaliser la colère

Face à cette mobilisation historique, les congressistes péruviens de différents bords s’accordent sur la nécessité d’organiser des élections anticipées afin de trouver une solution institutionnelle à la crise sociale et politique qui traverse le pays. Cependant, le congrès putschiste a déjà rejeté deux fois cette année les projets de loi visant à avancer les élections. Alors que le secteur fujimoriste veut avancer les élections générales à décembre prochain et que les nouvelles autorités prennent leurs fonctions en mai 2024, les bancs réformistes de gauche demandent que les élections incluent un référendum sur la convocation ou non d’une Assemblée constituante.

Mais en fin de compte, les deux initiatives législatives visent à détourner la mobilisation sociale en cours et à maintenir le régime de 1993 imposé par le dictateur Fujimori, en cherchant à donner l’illusion aux masses que les choses peuvent changer grâce aux élections générales. Cependant, les mobilisations actuelles remettent fortement en cause la Constitution de 1993, qui jette les bases des politiques néolibérales connues sous le nom des fameuses réformes structurelles, qui privilégient les intérêts des grandes multinationales, favorisant le pillage national, et qui ont liquidé une série de droits et d’avantages sociaux.

Pour une Assemblée constituante, libre et souveraine

Mais cette tentative de canaliser la colère à travers les institutions est bien loin de ce que les masses péruviennes exigent actuellement : non seulement la démission de Boluarte, mais aussi la fermeture du congrès putschiste et « qu’ils s’en aillent ». En ce sens, au milieu des manifestations dans diverses régions du Pérou, la demande d’une Assemblée constituante a commencé à se faire entendre haut et fort.

Comme le dit Julio Blanco, dirigeant du Courant Socialiste des Travailleurs du Pérou, la demande d’une « Assemblée constituante est importante et est une demande démocratique, c’est peut-être la demande démocratique la plus avancée qui puisse être faite dans un régime capitaliste comme celui-ci. Mais pour que l’Assemblée constituante devienne une réalité et ait ou atteigne les objectifs de commencer à tout changer, comme on le dit maintenant dans les rues, il est important d’abord de vaincre ou de liquider par les actes cet ancien régime de 93, et nous n’allons pas le faire par de simples déclarations, il est important justement d’approfondir ce processus de lutte ».

Mais comment aboutir à une assemblée libre et souveraine qui dépasse les limites des institutions, tant remises en cause par la population mobilisée ? La seule garantie de victoire est que de la force de la mobilisation émerge un espace d’auto-organisation ouvrière, paysanne et populaire, pour avancer dans une centralisation et une coordination des secteurs en lutte. L’entrée en scène de toute la classe ouvrière, à travers la grève générale organisée, et surtout des travailleurs des secteurs stratégiques, comme les mineurs ou les dockers, est d’une importance vitale pour que la mobilisation en cours soit victorieuse.

En ce sens, la CGT péruvienne n’a fait que démontrer sa passivité et même son inutilité depuis le déclenchement de cette révolte, n’ayant appelé à la grève que lorsque les événements et la terrible répression policière les ont empêchés de continuer à fermer les yeux. La CGT péruvienne fait face à une grande perte de prestige, également touchée par la crise organique qui a frappé le régime de 1993. Cette délégitimation de la bureaucratie a des racines profondes dans la précarité généralisée des travailleurs, mais aussi dans sa politique initiale de défendre le gouvernement de Boluarte et la participation aux « accords de dialogue » impulsés par la présidente.

L’entrée de la classe ouvrière sur la scène, s’organisant à partir de la base, échappant à la tutelle des bureaucraties syndicales, pourrait être l’élément qui assure la victoire des secteurs populaires, des paysans et de la classe ouvrière, et ainsi empêcher une dérive institutionnelle. Seulement de cette façon, il sera possible de forger dans la pratique l’alliance nécessaire entre les secteurs ouvriers, paysans et populaires, qui permettra de mener une lutte pour imposer un gouvernement provisoire ouvrier, paysan et populaire et, à partir de là, appeler à une Assemblée constituante libre et souveraine. Une Assemblée qui aura des fonctions exécutives et législatives mettra fin aux privilèges honteux des grands hommes d’affaires et de la caste politique corrompue au service de l’ancien régime de 1993.

Comme le disent nos camarades du Courant socialiste des Travailleurs, c’est à partir de cette Assemblée constituante, née de la chute de l’ancien régime et soutenue dans des espaces d’auto-organisation ouvrière et populaire, que les portes peuvent également s’ouvrir à un gouvernement ouvrier avec une perspective socialiste.


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