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Quand le patronat entre dans l’illégalité pour lutter contre les travailleurs

Petite histoire et scandale de l’UIMM. Patrons-voyous, patrons-ripoux

L'affaire de l'UIMM est fort instructive pour les salariés parce qu'elle révèle au grand jour les méthodes du patronat. En dehors de toute légalité, celui-ci est prêt à utiliser la corruption à une échelle de masse pour préserver ses intérêts. Revenons sur cette affaire qui a débuté en 2007, s’est soldée par un premier procès début 2014, mais n’est toujours pas terminée. Léo Serge

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En septembre 2007, une semaine avant une perquisition de la brigade financière, Le Figaro révèle que des retraits importants en liquide ont été effectués par Denis Gautier-Sauvagnac – le président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) – sur les comptes de ce très puissant et très riche syndicat patronal, qui regroupe notamment les industries automobiles françaises. Un syndical patronal ? En effet, le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France) est la principale organisation syndical patronale qui revendique 75 000 entreprises adhérentes et qui dispose d’un budget de 38 Millions d’euros dont 12 millions grâce à de l’argent public, au titre de co-gérant des organismes paritaires, notamment de la sécurité sociale. Le MEDEF siège également à l’Organisation Internationale du Travail et dans des organisations patronales internationales. Ce MEDEF regroupe également des syndicats patronaux de branche comme l’UIMM, spécialisés dans la métallurgie.

De longue date, une organisation réactionnaire politiquement très influente

L’UIMM fait partie des plus gros syndicats et sans doute l’un des plus influents au sein du MEDEF. La bourgeoisie est organisée ainsi depuis longtemps et elle sait l’importance d’afficher une façade unie et de prendre parfois des décisions collégiales rapidement. De fait, le MEDEF est également un instrument de contrôle des PME par la très grande bourgeoisie. C’est une organisation hiérarchisée dans les faits, où une analyse fine de classe permet de montrer que les failles entre les intérêts des différentes bourgeoisies sont souvent surmontés par le haut et par l’unité. Mais ce n’est pas toujours le cas – comme l’a montré l’affaire Bettencourt par exemple.

Pendant le XXe siècle, l’influence de l’UIMM est extrêmement importante sur l’ensemble du patronat français, définissant une doctrine sociale et participant à la construction de la législation du travail, notamment après-guerre. En 1937 le siège de l’UIMM est visé par un attentat à la bombe de l’organisation d’extrême-droite La Cagoule, qui veut faire croire à un attentat communiste. Les dirigeants de la Cagoule comptent des polytechniciens et de grands bourgeois très au fait de l’influence décisive de l’UIMM dans la vie politique française. Pendant le régime de Vichy, tous les syndicats – de salariés et patronaux – sont dissous, à l’exception de l’UIMM ! Pendant la guerre, et l’après-guerre, l’UIMM, fraction dure du patronat, place à sa tête puis soutient d’anciens collaborateurs, condamnés à la libération : Georges Albertini, ex-bras droit de Marcel Déat au Rassemblement National Populaire, et Claude Harmel, ancien cadre de ce parti pro-nazi. Harmel fonde dès 1949 l’Association pour la liberté économique et le progrès social (Aleps), grâce à des fonds patronaux, et l’institut supérieur du travail (IST), afin de former les cadres d’entreprise à l’action antisyndicale. Madelin et Novelli ont rappelé à plusieurs occasions qu’Harmel était leur « père spirituel ». Rappelons pour compléter la belle image que les locaux de l’UIMM sont à Neuilly.

Mais L’UIMM fait également de la politique ; elle sait s’impliquer dans les campagnes politiques en finançant l’affichage et la propagande anti-gauche. En 1974, l’UIMM est prise à faire imprimer un faux numéro du journal populaire France-Matin, qui annonce le rationnement que mettra en place François Mitterrand s’il est élu. Mais bien plus encore, elle sait aussi placer ses hommes. C’est toujours le cas. Ainsi Hervé Novelli, député Les Républicains, secrétaire d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat, et des PME, a été chargé de mission pour l’UIMM de 1976 à 1986. Les milieux politiques et patronaux sont hautement poreux comme on le sait – à droite comme au PS.

Le scandale de 2007 : caisse noire, détournements de fonds et financement occulte des partis politiques

Alors pourquoi s’étonner en 2007 de ces méthodes ? Parce que la police – ou plutôt la brigade financière, spécialisée dans la « délinquance en col blanc » – s’intéresse enfin à l’UIMM ? Plus sûrement parce que ce secret de polichinelle – l’UIMM dispose de masses d’argents liquides pour corrompre partout – a pu être instrumentalisé dans des luttes de pouvoirs internes. Toujours est-il que le grand public apprend grâce à l’enquête que le président de l’UIMM avoue que depuis 1972 au moins, le fait que des fonds de l’UIMM participaient au financement de politiques et de partis politiques est avéré. Il confirme aussi l’existence d’une caisse noire strictement illégale, la « caisse de secours mutuel » ou EPIM, approvisionné par des cotisations, qui devaient permettre au entreprise de faire face plus longtemps – jusqu’à la victoire – lors d’une grève des employés.

Depuis 1972, 1 793 entreprises du secteur de la métallurgie ont décidé de cotiser à l’EPIM pour faire face « à un conflit collectif du travail ». Ces entreprises n’étaient plus que 175 en 2006. Le montant total de ces cotisations volontaires, depuis 1972, s’élève à 310 millions d’euros. L’UIMM en a reversé 144 millions aux entreprises touchées par des grèves, les 166 millions restants ont été confiés à un consultant indépendant. L’argent a fructifié et vaut aujourd’hui sur le marché près de 641,7 millions, selon l’estimation de Denis Gautier-Sauvagnac. Il a servi également à hauteur d’environ 2 millions d’euros pour le « financement de diverses organisations de notre vie sociale ». Le juge chargé de l’affaire, Roger Le Loire, soupçonne des retraits suspects des caisses de l’UIMM, s’élevant à 18 944 691 euros, du 19 janvier 2000 au 5 septembre 2007. Il évoque également des comptes révélant une « dissimulation orchestrée » de la réalité des comptes de l’UIMM. Ces fonds pourraient avoir servi à influencer des décideurs et des organisations ; ils auraient également été utilisés comme compléments occultes de rémunération à des dirigeants de l’organisation.

Un porte parole de PSA a reconnu que son entreprise avait perçu 550 000 euros de l’UIMM pour l’aider à ne pas céder aux revendications salariales des ouvriers de l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois, lors d’une grève de six semaines en 2007. Grillé, Denis Gautier-Sauvagnac négocie son départ et accepte, à condition qu’on lui paye tous ses frais de justice, les éventuelles amendes ; bref, il l’accepte à condition ne pas y perde une plume. Ce que l’organisation accepte. C’est que Denis Gautier-Sauvagnac en sait beaucoup, il sera donc entièrement couvert par ses petites camarades comme dans n’importe quelle mafia. Laurence Parisot, à l’époque à la tête du MEDEF, en profite pour demander en vain la démission d’autres membres de l’UIMM ; on constate bien ici les luttes internes à la grande bourgeoisie, qui dans ce genre de situation deviennent apparentes.

Des perquisitions ont eu lieu le 1er octobre 2009 aux sièges de l’UNEF, de PDE, de la FAGE, de l’UNI et de la Confédération étudiante, montrant l’étendu de l’influence de l’argent patronal. Gautier-Sauvagnac affirme également avoir versé des sommes aux cinq syndicats représentatifs (dont la CGT donc) ; ce que les syndicats nient évidemment en force. Une position renforcée par le fait que Gautier-Sauvagnac refuse de donner des noms. Mais il a cependant donné des chiffres : plus de 495 000 euros avaient été consacrés à ce soutien logistique entre 2002 et 2007, dont 380 000 pour la seule CFTC et zéro pour la CGT. En octobre 2013, le parquet requiert une peine de deux ans de prison avec sursis et 250 000 € d’amende à l’encontre de Denis Gautier-Sauvagnac. Les prévenus sont accusés notamment « d’abus de bien social, travail dissimulé, destruction de documents comptables, recel ». Pour avoir faussé la totalité de milliers grèves, pour avoir corrompu des organisations entières, pour s’être comporté comme une véritable mafia au cœur d’un régime soit disant démocratique, cet homme risque deux ans avec sursis ! Voilà bien une mascarade digne de la justice bourgeoise, qui préfère condamner à de le prison ferme de simples récidivistes de vol à la tire. Mais en février 2014, la gravité des faits ayant été étalée dans les médias, le tribunal va bien plus loin que le procureur en condamnant Gautier-Sauvagnac à trois ans d’incarcération, dont un ferme, pour avoir détourné 16 millions d’euros entre 2000 et 2007. La présidente s’est empressée de préciser qu’il pourrait « bénéficier d’un aménagement de peine » et éviter la case prison.

Pour un condamné, combien d’impunis ? Ouverture cette semaine du procès en appel

Ce qui est intéressant, c’est la façon dont les juges justifient leur décision. Pour eux la distribution d’enveloppes « ne concourait pas à une meilleure régulation de la vie sociale », mais « à alimenter des soupçons de financement occulte de partis politiques, d’achat de parlementaires, d’achat de la paix sociale, d’enrichissement personnel, à jeter le discrédit sur tous les décideurs de la vie politique et économique du pays, de telle sorte qu’elles sont extrêmement négatives pour l’intérêt général ». Autrement dit, il n’est pas condamné pour avoir agi amoralement ou en dehors de la légalité, mais pour avoir révélé la réalité de la démocratie bourgeoise : celui qui possède l’argent possède le pouvoir. Le soi-disant « intérêt général » est dans ces conditions une mascarade ou plutôt une camarilla, qui ne doit jamais être dévoilée. Voilà en un mot ce que nous disent les juges.

L’UIMM, condamnée à150 000euros d’amende en tant que personne morale en février 2014, ne s’est pas portée partie civile et ne s’estime donc pas victime des agissements de DGS. Mais elle a aussi annoncé qu’elle faisait faire appel du jugement. Et le procès en appel s’ouvre cette semaine. En plus de Gautier-Sauvagnac, trois autres cadres de l’époque sont appelés à comparaître : Dominique de Calan, délégué général de l’UIMM condamné à un an avec sursis et 150.000 euros d’amende en première instance, Dominique Renaud, chef comptable condamnée à huit mois avec sursis, et Jacques Gagliardi, cadre condamné à six mois de prison avec sursis. Ces hommes savent défendre leur classe et les intérêts communs de celle-ci.

Où sont les organisations syndicales et de travailleurs pour rappeler l’importance de ces faits ? Quelle publicité est faite à cette affaire pourtant exemplaire pour dénoncer la réalité du capitalisme et de la démocratie bourgeoise ? Notre devoir – a minima - est d’éclairer les salariés sur ces réalités et de rappeler qu’on ne pourra mettre fin à celles-ci que par la disparition du capitalisme lui-même et de l’État bourgeois.


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