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Kostas Charitos, l’autre commisaire

Petros Markaris. Le polar grec à l’heure de la crise

Paul Tanguy En Grèce, quand on parle de commissaire, on songe immédiatement à la Commission Européenne. Il y a pourtant également Kostas Charitos. Commissaire de la Police Criminelle à Athènes, il a appris son boulot de flic alors que la Grèce était encore sous la botte des colonels. Il apparaît sous la plume de Petros Markaris, l’un des auteurs grecs contemporains les plus connus et traduits, au milieu des années 1990. En 2008, lors de la publication, dans son pays, de Liquidation à la grecque, le premier volet de la « trilogie du jugement », un journaliste avait demandé à Markaris s’il pensait sincèrement qu’il y avait matière à la publication de trois romans sur la crise. Depuis, un quatrième et dernier polar a été publié, Epilogue, mais rien ne semble indiquer que la Grèce est sortie du marasme.

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Dans Epilogue (Τίτλοι Τέλους), qui devrait sortir, sous peu, en traduction française, Charitos continue à marauder dans une ville en pleine dérive, socialement, économiquement et politiquement. Sa fille, Caterina, est d’ailleurs violemment agressée par les néo-nazis, dès le début du roman, en raison de son engagement auprès des migrants. Une référence et un hommage, pour Markaris, au personnage de Pavlos Fyssas, le rappeur assassiné par les nervis d’Aube Dorée en septembre 2013.

Dans ce dernier polar qui vient clore le cycle initié en 2008, un mystérieux groupe, qui signe ses actions en tant que « Les Grecs des années 1950 », revendique une série d’homicides sur lesquels Charitos est chargé de mener des investigations de façon cryptique : « Revenez en arrière et recommencez depuis le début. Mais cette fois-ci, faites les choses correctement ». Avertissement pour une société qui subit les coups de boutoir de la Troïka depuis cinq ans, maintenant, et qui n’en finit pas de sombrer.

Mais Markaris ne se contente pas d’épingler les « créanciers » de la Grèce. Parmi les coupables du crime qui est en train de se perpétrer, Charitos enquête tout autant sur les pourris, les corrompus, les armateurs et les entrepreneurs véreux, responsables de la situation dramatique que traverse le pays et dont l’auteur dresse le portrait dans les premiers titres de ce qui était censé rester une trilogie, Liquidations à la grecque (2012), Le Justicier d’Athènes (2013) et Pain, Éducation, Liberté (2014), tous parus chez Seuil en traduction française.
Depuis quelques années, le ton et l’écriture de celui qui a été le scénariste de Théo Angelopoulos, notamment pour L’Eternité et un jour, Palme d’Or à Cannes en 1998, est de plus en plus acerbe. Les enquêtes de Charitos sont autant d’occasion pour mettre en lumière les ombres de la mégapole athénienne où les nouvelles pauvretés urbaines, les tensions sociales et les conflits politiques ont définitivement changé la physionomie de la ville, personnage à part entière des romans de Markaris, plus que simple toile de fond de son écriture.

A la façon d’un Jean-Patrick Manchette, Markaris souligne combien « depuis la fin du XIXème, le roman policier a représenté le genre littéraire qui a le mieux permis de comprendre la société et les mouvements qui la traversent. Par ailleurs, pour un certain nombre d’auteurs qui ont pratiqué ce genre, la littérature a souvent représenté le prolongement idéal de la politique. J’appartiens à la génération qui a grandi après la guerre civile en Grèce [1946-1949], et pour laquelle l’expression culturelle ou artistique a toujours été liée à la politique. C’est avec cette idée que j’ai créé Charitos [qui apparaît pour la première fois dans Journal de la nuit, en 1995] et le petit monde qui l’entoure, et à partir duquel il observe la Grèce et ses transformations ».

Longtemps proche du PASOK, Markaris s’était rapproché à mesure que la crise est allée en s’approfondissant, de la gauche radicale. Tout dernièrement, dans le cadre du référendum, Markaris a été moins lucide que Charitos, non pas tant quant à l’identité de l’assassin (la Troïka) ni l’arme du crime (l’austérité), mais par rapport à la conduite de l’enquête. Il a, en effet, fait campagne, pour le « oui ». Il y a fort à parier que la fille du commissaire de la « crim’ » d’Athènes, Caterina, aurait, elle, voté « non » et participé aux manifestations du jeudi 2 juillet, contre l’austérité, sous toutes ses formes et déclinaisons. Il n’en reste pas moins qu’après le vote de dimanche dernier, les enquêtes de Markaris-Charitos sont plus précieuses que jamais pour comprendre les tensions qui traversent la société grecque et les différents scénarios que pourrait connaître le pays.


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