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Photo-reportage

Photo-reportage dans le camp de Lesbos : "une prison à ciel ouvert entourée de barbelés"

En octobre 2020, Lucas a visité l'île de Lesbos et le nouveau camp qui s'y trouve après l'incendie qui a frappé l'ancien. Il revient dans un photo-reportage sur la situation sur l'île grecque et livre les portraits de ceux qui vivent dans les conditions indignes d'une prison à ciel ouvert.

Lucas Dallant

23 décembre 2020

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Mi-octobre 2020, le ferry accoste à Lesbos. À dix kilomètres de la Turquie, l’île grecque vit une grave crise humanitaire depuis 2015. Le plus grand camp de réfugié·es en Europe a brûlé début septembre. Le nouveau camp construit par l’armée accueillait 7 709 personnes à mon départ. Venant d’Asie centrale, du Moyen-Orient et d’Afrique, elles·ils pensaient fuir la guerre et la misère. Les voici prisonnier·es aux portes de l’Europe.

Le port de Mytilène est militarisé : clôture, navires de guerre, voitures. © Lucas DALLANT
Le port de Mytilène est militarisé : clôture, navires de guerre, voitures. © Lucas DALLANT

Voici quelques observations et témoignages. Depuis mon passage, l’île a subi un tremblement de terre, la Grèce a pris de nouvelles mesures contre l’épidémie de coronavirus et l’hiver est arrivé. Pour prendre connaissance de l’actualité récente, consultez les publications de réfugié·es, associations ou journalistes directement sur place. Le photographe allemand Michael Trammer, auteur avec Raphael Knipping d’un interface multimédia sur la situation dans l’ancien camp tient aussi une liste Twitter d’acteurs importants à Lesbos.

Méta © Lucas DALLANT

Avec l’aide de Méta, couturière de 38 ans, originaire de République Démocratique du Congo et réfugiée à Lesbos depuis un an, je suis entré dans le nouveau camp. J’ai recueilli les témoignages de femmes seules principalement congolaises donc francophones, d’hommes également, et de familles.

Glodie, Claude et Mervedy, tente 84. © Lucas DALLANT

L’appareil photo étant repérable par les patrouilles, c’est avec mon téléphone que j’ai filmé, pris quelques photos à l’intérieur et enregistré des témoignages. Aux abords du camp, j’ai proposé aux réfugié·es de s’exprimer sur des masques.

« Nous voulons être libres. Ici ce n’est pas l’Europe pour nous ». Muhammad-Mahdi, journaliste afghan de 21 ans à Lesbos depuis 9 mois. © Lucas DALLANT
« Le camp de Lesbos est comme une prison » Ahmadi, afghan de 7 ans à Lesbos depuis un an. © Lucas DALLANT
« Liberté » Milad, afghan de 19 ans à Lesbos depuis deux mois. © Lucas DALLANT
« Je m’appelle Glodie, je suis congolaise. On vit comme des esclaves, on a besoin de liberté. » © Lucas DALLANT
Elias, afghan de 5 ans. © Lucas DALLANT
« Je suis noir mais mal aimé » Jogo, étudiant congolais de 30 ans, à Lesbos depuis 4 mois. © Lucas DALLANT
« Nous avons besoin de liberté à Lesbos. Europe, s’il vous plaît, aidez-nous. » Siros, plombier et musicien afghan de 28 ans à Lesbos depuis un an. © Lucas DALLANT
« Ils ont menti sur mon âge, j’ai 17 ans » Jacqueline, congolaise de 17 ans. © Lucas DALLANT
Zinab, afghane de 8 ans. © Lucas DALLANT

On ne prend pas suffisamment la mesure du mot camp. Pourtant sa réalité saute aux yeux. Elle est dure et peu glorieuse pour l’Europe. Le nouveau camp de Lesbos était un champ de tir de l’armée grecque sur lequel ont été alignées des tentes aux couleurs des Nations unies.

Méta près de la tente qu’elle occupe avec d’autres femmes seules. © Lucas DALLANT

C’est une prison à ciel ouvert entourée de barbelés, gardée par l’armée, interdite aux journalistes. Sorties et entrées sont limitées, sauf le dimanche où le camp est fermé. Les réfugié·es appellent ça une prison. Il ne faut pas imaginer l’endroit comme un camp humanitaire surveillé par la police. Il s’agit d’un camp militaire, construit et encadré par eux, où quelques actions des associations sont tolérées. La plupart des ONG ne peuvent pas entrer et organisent leurs distributions dehors. Manquant de moyens, elles ne satisfont que partiellement les besoins alimentaires, sanitaires, éducatifs entre autres. Sans surprise, la présence des Nations unies et de l’Union européenne tend à la communication politique plus qu’à l’action humanitaire.

Midi entre soleil et ombre sur la rive du camp. © Lucas DALLANT

Il ne faut pas non plus s’arrêter aux images aériennes ou prises de loin qui donnent à voir un endroit ordonné, blanc, propre. Dès qu’il pleut les gens pataugent dans la gadoue et leurs tentes prennent l’eau, ils·elles sont exposé·es au froid humide du front de mer, à la puanteur et la saleté. Le camp et ses alentours ont des airs de décharge, des déchets parsèment le sol. Les quelques toilettes de chantier débordent et ne sont pas nettoyées assez régulièrement. Alors on construit entre les tentes des toilettes de fortune qu’on vide à la mer.

Gadoue entre les tentes après une pluie. © Lucas DALLANT

Il n’y a pas d’eau courante, pas d’électricité stable, pas de douches du tout. Les habitant·es du camp doivent s’arranger avec des bassines et des bouteilles d’eau ou vont directement dans la Méditerranée pour se laver et nettoyer leurs affaires. La situation oblige les femmes seules à se lever à 4 heures du matin, quand les hommes dorment encore, pour se laver dans l’eau froide. Le sort des femmes est alarmant. Des viols sont commis plusieurs fois par semaine. On m’a rapporté l’humiliation des plaignantes par la police. J’ai aussi rencontré des adolescentes enceintes et seules. Enfin, l’hygiène désastreuse du camp et l’abandon médical affecte avant tout les femmes, par exemple pendant les règles ou les grossesses. Les enfants ne sont pas scolarisés et font face au même traitement cynique et inhumain que leurs aîné·es.

© Lucas DALLANT
© Lucas DALLANT

Cette prison est une véritable bombe sanitaire. Seul du paracétamol est distribué. Il ne traite sûrement pas les nombreuses maladies dues aux conditions d’hygiène du camp. « Ici le paracétamol soigne tout » dit Dianna, dans une tente avec quatre autres femmes seules. L’une d’entre elles est alitée depuis quinze jours. Quand elle cherche à se faire soigner on lui dit de revenir le lendemain. Comme d’autres, elle cache sa fièvre par peur d’être placée en quarantaine. Fin octobre, 42 personnes avaient été testées positives au coronavirus. Le virus circule mais peu de tests sont faits. Les personnes placées à l’isolement ne sont pas forcément positives. Ce qui donne aux autres le sentiment que le coronavirus est un prétexte pour les enfermer encore plus. Là aussi, il y a un grand manque d’accompagnement et l’incompréhension augmente les risques de circulation du coronavirus.

© Lucas DALLANT

Les réfugié·es mangent mal et pas assez. La nourriture est infecte et parfois avariée. On leur distribue un vague mélange d’aliments assez indistincts, gluant et très malodorant. Les barquettes fièrement estampillées du drapeau européen gisent un peu partout aux abords du camp. Les réfugié·es bricolent quand elles·ils ont le choix. Des hommes pêchent sur les rives du camp, un Lidl est à quelques minutes à pied et la ville à un quart d’heure en bus. Les femmes cotisent avec les 75 euros mensuels leur ayant été douloureusement cédés par les institutions. Elles cuisinent par terre, dans la rouille de marmites souillées qui passent de mains en mains et chauffent sur des feux incertains.

© Lucas DALLANT
© Lucas DALLANT

Des personnes sont enfermé·es là, abandonné·es à leur sort. Ils·elles sont bloqué·es pour une durée indéterminée. Obtenir une carte d’identité prend souvent des années et coûte une fortune. En attendant, c’est un jour sans fin. Annie : « on se lève, on mange, on dort, on se lève on mange on dort. C’est quelle vie ça ? »


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