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Une triple rupture

Pourquoi parle-t-on autant du divorce « Brangelina » ?

Écouter les infos c’est chaque fois plus surprenant, ou affligeant. Mais quand au milieu des plans de licenciements, des avancées autoritaires face à la « menace terroriste grandissante », des joutes mensongères entre politicards pour 2017, des révoltes face au meurtre policier du jour, on trouve les pleurs médiatiques sur la rupture du couple « Brangelina », quand ce n’est pas seulement « Gala », « Voici » ou « Closer » qui se lamentent sur le sort dramatique de nos stars, mais également France Info ou Le Point, là, on hésite : être encore plus affligé, ou y voir le signe qu’à travers la rupture « scandale-people » ce sont des racines plus profondes qui sont touchées ? Mar Martin

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La remise en cause d’un amour-modèle


Depuis plus de 10 ans, Brad Pitt et Angelina Jolie c’est le « power couple ». Des célébrités, acteurs, producteurs et réalisateurs, mondialement connus. La belle sulfureuse et le blondinet sexy. Le couple parfait, parents de 6 enfants, dont deux adoptés, et l’acceptation de la transidentité de l’un d’entre eux. C’est la générosité de Angelina, investie dans de nombreux projets humanitaires. Son courage également, dans le partage public de ses problèmes de santé, soutenue par le bon Brad. Riches - leurs fortunes additionnées s’élèveraient à 500 millions de dollars - mais progressistes. Bref, le modèle d’un amour-type publicisé et vendu pour que l’on tende vers le même. Un amour exclusif, entre une femme et homme, qui chérissent leurs nombreux enfants, bien dans les schémas habituels, mais suffisamment libéral pour qu’on y souscrive d’autant plus. Trop beaux, trop riches pour être accessibles, mais suffisamment humains pour ne pas paraître impossibles.

Depuis le coup de tonnerre de l’annonce du divorce, les interprétations vont bon train. De l’analyse de leur filmographie comme projection de leur réalité, de leur premier flirt dans Mr and Mrs Smith jusqu’à leur déchirement dans le tout récent Vue sur mer. De la tristesse du pauvre Brad à une Angelina qu’on juge un peu trop pressée. De l’évocation, au milieu du reste, des accusations de Angelina sur les « accès de colère » de son mari, à la présentation d’une Jolie vampire qui n’aurait fait qu’utiliser son homme à son propre profit. Si c’est Angelina qui a réduit le couple-modèle en miettes, alors la presse se sent le devoir de la rendre diaboliquement responsable.

Brad Pitt : victime de la femme fatale ?

« Elle est stratégiquement tombée dans les bras de Brad Pitt. […] En 2004, le tournage de Mr. & Mrs. Smith (Doug Liman) marque pour elle le début des Brangelina. Brangelina comme une entreprise qui lui permettra d’accéder à la gloire. Pas Brangelina comme le couple qui finira tendrement ses jours à partager des bonbons au miel sur des fauteuils à carreaux avec des chaussons assortis (les salades auxquelles a peut-être cru Brad Pitt). » Voilà l’analyse on-ne-peut-plus neutre du Figaro-Madame. Un peu plus loin, il complète le tableau : « Angelina Jolie, elle, a d’abord épousé l’acteur Jonny Lee Miller en 1996. Le jour de son mariage, elle porte un pantalon en cuir et une chemise blanche, sur laquelle elle a précautionneusement écrit le nom de son mari, avec son propre sang. Angoissant ? Oui. En 2000, elle épouse un autre homme en trois noms, Billy Bob Thornton, et porte une fiole remplie du sang de son nouvel époux, et ce, en toutes circonstances. Et cette fois c’est flippant. » « C’est tout le concept de la femme-dragon. » disent-ils. Au moins, Le Figaro-Madame a le mérite de dire tout haut ce que les autres n’écrivent qu’entre les lignes : Angelina est présentée comme la femme-manipulatrice, qui n’a pu être à l’initiative du divorce que parce qu’elle ne l’a jamais aimé, mais toujours utilisé à son propre profit carriériste.

En face, Purepeople nous dépeint un sexy-Brad « très attristé », mais « ce qui compte le plus maintenant, c’est le bien-être de nos enfants ». Tant de compassion et de sollicitude à son égard ! Et Le Figaro-Madame de continuer : « À l’époque, lui, la belle gueule de Hollywood, est un tantinet trop blond et trop fadasse. Au contact de l’autorité Angelina, il trouve une consistance, une manière d’exister socialement à Hollywood extra-muros. […] Mais « Brangelina » a peut-être fait de lui un homme qu’il n’était pas. Brad Pitt, c’est peut-être un homme comme les autres, qui aime vider des bières devant Canal+ à la demande. » L’homme parfait ce Pitt, victime de la tendance si connue et si naturelle des femmes à se jouer des hommes, dans leurs intérêts personnels de femmes égoïstes qu’elles sont inévitablement. 

Mais n’en déplaise au Figaro-Madame, ils sont obligés, quelques heures plus tard et avec le reste de la presse, de se contredire - sans le reconnaître bien évidemment. Car les accusations simplement évoquées par moments d’Angelina quant aux « accès de colère » du père de ses enfants semblent se confirmer par les rumeurs de plus en plus sérieuses d’ouverture d’enquêter à l’égard de ce dernier.

Brad Pitt : le retour brutal d’une réalité

Selon les dires de Angelina, elle aura finalement pris la décision de remplir les papiers du divorce après un nouvel emportement de Brad. Mercredi 14/09 dernier, à bord d’un jet privé, Pitt est accusé d’avoir été « incontrôlable, criant et s’en prenant physiquement aux enfants ». Bien sûr, tout est fait pour atténuer les témoignages. D’une part, l’acteur aurait été sous emprise de « substances » - Angelina parle d’une dépendance à l’alcool et aux drogues. Ensuite, Closer fait parler une « source proche » de Brad : « Il prend le problème de façon très sérieuse et dit qu’il n’a commis aucun abus sur ses enfants. C’est malheureux que les personnes impliquées continuent de le présenter sous la pire lumière qui soit ». Et enfin, la possible ouverture d’une enquête est prise avec des pincettes. D’abord parce que « les faits ayant eu lieu dans un avion, ils dépendent d’une unité spéciale de la police fédérale, et non de la police de Los Angeles (LAPD), où se trouve le domicile de Brad Pitt et Angelina Jolie » comme le rappelle Le Figaro-Madame, ensuite parce que le LAPD est interdit de parler publiquement et dément ainsi : « Contrairement à ce qui a été publié dans plusieurs médias, personne n’a pu confirmer que nous participons à une enquête avec un client spécifique. »

Pourtant, la presse people fait état des « tensions » qui traverseraient le couple depuis plusieurs mois déjà, mentionnant au passage des tendances d’Angelina à l’anorexie. Brad Pitt lui-même semble ne pas avoir été surpris par l’annonce du divorce : « Il a tenté de la raisonner pour faire cela tranquillement – pas pour sauver leur mariage mais pour prendre en considération le bien-être de leurs enfants ». Quant à Angelina, ce n’est pas seulement le divorce qu’elle demande, mais également la garde exclusive de ses enfants, au nombre de six rappelons-le. Osons supposer qu’il y a des raisons solides pour cette demande - et suffisamment de moyens pour obtenir de l’aide pour s’en occuper - il est vrai. 

Un scénario aussi souvent répété que caché

Mais la raison principale de notre doute quant à la peinture médiatique qui est faite de l’affaire, c’est la mémoire acquise au fil des années de la multitude de cas similaires, dont les méthodes pour retourner contre elle-même les accusations d’une femme à propos de son compagnon violent sont récurrentes. Car si les explications de la violence supposée de Brad Pitt sont rapidement assimilées par les médias à sa potentielle addiction à l’alcool et au cannabis, en faisant ainsi une attitude exceptionnelle, d’un homme malade, cette dépendance ne peut être qu’un élément de plus, certainement pas la raison essentielle.

Sinon comment expliquer le nombre infini de cas médiatiques - et ceux qui ne seront jamais révélés, bien sûr ? C’est la dessinatrice belge Marion Malle qui les a récemment recensés, à l’occasion du divorce entre Amber Heard et Johnny Depp, aussi célèbre que semblable à celui des Brangela, dans les accusations et les mécanismes employés dans la presse.

Dans sa planche s’attachant à l’impunité des hommes (célèbres), on trouve par exemple : Sean Connery (acteur), accusé d’abus par sa première femme en 1973 et qui déclare en 1987 que ce n’est pas grave de frapper une femme. Il ne fera jamais de prison. Jean-Luc Lahaye (chanteur), accusé de viol en 2007 puis de nouveau en 2015 par deux adolescentes de 15 ans et 14 ans, écopera de simples amendes ; Jian Ghomeshi (animateur), 4 accusations d’agressions sexuelles et de tentative d’étouffer une femme qui le repoussait : acquitté.

Le système est bien rôdé pour décrédibiliser celle qui osera prendre la parole, et décourager les autres qui ne pourront le faire. Au pire, si les faits sont trop évidents, celui qui est mis en cause aura fait une erreur, est déresponsabilisé par les « substances » qu’il avait prises, ou qualifié de malade ou fou. Tout est fait pour masquer le tissu plus général des violences faites aux femmes ou aux enfants, dont chaque témoignage individuel rend plus prégnant le système qui les engendre. Le divorce de Angelina Jolie et Brad Pitt est ainsi un drame pour la presse à deux niveaux : d’une part, il brise un des modèles vantés pour la reproduction de l’amour classique, un homme, une femme, beaucoup d’enfants, beauté, richesse et charité. D’autre part, il menace une fois de plus de percer le dôme opaque qui masque les violences patriarcales, faites aux femmes, et aux enfants.


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