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En finir avec la prostitution

Prostitution : au-delà du débat régulation VS abolition, la lutte contre l’exploitation des femmes.

Marta pour Pan y Rosas, Etat Espagnol Parmi les débats qui divisent profondément le mouvement féministe français, celui sur la prostitution est à n’en pas douter un de ceux qui cristallise le plus de tensions. Entre les abolitionnistes qui considèrent l’exploitation du corps des femmes comme le stade suprême du patriarcat et appellent à son abolition via son interdiction, et les régulationnistes qui revendiquent un aménagement de cette même législation en faveur des « travailleuses du sexe », entre les « utopiques » et les « pratiques », il est parfois malaisé voire impossible de se frayer un chemin à l’interstice de ces deux positions. Si tous semblent les opposés, ces deux positions partagent pourtant un point commun : leur rapport à l’Etat et la croyance que, par ses pouvoirs législatifs, il serait en mesure d’apporter une solution à la houleuse question de la prostitution. Au-delà de ses deux positions, et pour démasquer les illusions que portent ces deux positions vis-à-vis de l’Etat, nous proposons d’analyser ici la prostitution à la fois comme produit de l’exploitation patriarcale mais également d’un capitalisme mondialisé, porté par l’Etat, qui l’organise et la structure.

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L’industrialisation de la prostitution à l’heure du capitalisme mondialisé

La prostitution, tout autant que le mariage, sont les deux facettes de la domination patriarcale : celle-ci s’est imposée avec l’émergence de la propriété privée et la nécessité d’assurer le contrôle sur le corps des femmes et la reproduction afin de maitriser le lignage. S’en est suivie une division entre femmes mariés et prostitués.

La prostitution en tant qu’institution patriarcale a toujours maintenu un lien fort avec le capitalisme : à l’émergence de ce « marché », les premières formes d’exploitation sexuelle des femmes et des filles se sont faites autour des zones de commerces et de transit des marchandises. Le développement urbain qu’a connu l’Europe pendant le Moyen-Âge a été propice au développement de la prostitution, qui a affecté surtout les femmes et les filles des couches sociales les plus basses. La prostitution est alors institutionnalisée : elle commence à s’organiser dans certaines villes à travers des bordels ou des maisons publiques, financées par les taxes et les impôts, et qui a bénéficié à la bourgeoisie émergente. L’introduction du système économique capitaliste et l’apparition du travail salarié n’ont fait que renforcer la « marchandisation du corps ».
Chaque année, dans le monde, 4 millions des femmes et 2 millions des filles sont vendues pour être prostituées en tant qu’esclaves ou pour des mariages arrangés. Parmi les personnes prostituées, 80 % sont des femmes, et dans la majorité des cas, elles vivent dans des situations de précarité économiques et/ou légale. Par conséquent, l’équation « pauvreté chez les femmes = prostitution » est toujours d’actualité et affecte des millions de femmes et de mineures dans le monde. La prostitution est la troisième activité la plus rentable du monde. Ses réseaux s’étendent de par le monde et rapporte des bénéfices qui se comptent en millions. Les gouvernements, les juges et la police, s’alliant avec les principaux réseaux de crime organisé, laissent faire en toute complicité, quand ils n’en sont pas les principaux clients comme a pu le montré les liens douteux entre la mafia et le politique dans l’affaire du Carlton de Lille.

Abolitionnisme ou régulationnisme, deux positions plus proches qu’on ne le croit


La prolifération des réseaux de traites a réouvert un vieux débat sur la prostitution qui a parcouru l’histoire du féminisme. La situation actuelle a reconfiguré des vieux débats du XIXe siècle entre « régulationnistes » et « abolitionnistes ». Le régulationnisme propose que l’État légalise la prostitution et, par conséquent, que se réglementent l’installation de maisons closes, les formes d’exploitation des femmes et les contrôles sanitaires. L’« abolitionnisme » considère la prostitution comme une forme de violence contre les femmes, combat le proxénétisme et considère que celui-ci pourrait être banni avec des campagnes éducatives contre le recours à la prostitution, la pénalisation des clients ou la prohibition légale de son exercice », décrit Andrea D’Atri dans son article « Pecados & capitales » (péchés et capitaux).

Ces deux postures ont un point commun : autant les abolitionnistes que les régulationnistes postulent que la solution relative à la situation actuelle des personnes en situation de prostitution, provient de l’État ; le même État capitaliste qui s’appuie sur l’exploitation exercée par une poignée de propriétaires des moyens de production sur des millions de salariés, qui est garant de l’oppression des femmes et complice du génocide de la traite pour l’exploitation sexuelle.

Celles et ceux qui soutiennent des positions régulationnistes nient le fait que même dans les pays dans lesquels a été régulée la prostitution, prolifère un circuit illégal où « est permis » tout ce que la régulation étatique interdit (l’exploitation sexuelle infantile, la violence physique non consentie contre les femmes, etc.). Et que dépasser ces « limites » à la législation en vigueur est possible en particulier dans d’autres régions ou d’autres pays qui offrent ces « services ». De l’autre côté, celles et ceux qui soutiennent des postures abolitionnistes ne tiennent pas compte du fait que la sanction du client, pensée comme moyen central pour éliminer la prostitution, n’est qu’une utopie dans une société où l’exploitation et la commercialisation de toutes les exigences humaines, incluant les corps des femmes pour la prostitution, sont structurelles. Ce contre quoi les mesures punitives sont impuissantes.

Un débat avec les courants féministes et la gauche


Nous ne sommes pas abolitionnistes. La position abolitionniste, davantage liée aux partis traditionnels institutionnels, mène une campagne pour instaurer une politique de persécution des femmes en situation de prostitution et pour empêcher toutes les tentatives d’auto-organisation de celles-ci.

Pour autant, nous ne sommes pas non plus régulationnistes. Toutefois, sans caresser d’illusion sur la nature de l’État capitaliste et sa capacité à résoudre la situation des femmes, nous pensons qu’il est nécessaire de revendiquer et d’exiger l’égalité des opportunités pour les femmes, qui comprend non seulement l’accès à une formation et au travail pour toutes les femmes qui ont recours à la prostitution comme ultime moyen de subsistance, mais aussi à la santé, au logement, et à un salaire digne qui recouvre les frais familiaux. Et, surtout, dans les pays impérialistes, que toutes les femmes migrantes ne soient plus en situation d’illégalité pour avoir accès à tous ces droits et ne soient plus soumises au chantage « des papiers ». Nous le faisons tout en dénonçant la persécution, la stigmatisation et la répression des forces de police contre les personnes en situation de prostitution, tout comme la connivence de ces forces répressives de l’État avec le pouvoir politique, judiciaire et les proxénètes.

Par exemple, dans l’État espagnol, le régulationisme est dirigé par des groupes fortement influencés par les courants autonomes ou postmodernes. Ces collectifs ont pour représentants des femmes en situation de prostitution, ou font partie d’une « élite » dont la situation objective diverge des femmes en situation de prostitution avec moins de ressources (et souvent sans-papiers). Dans beaucoup de cas, avec des campagnes opportunistes elles essayent d’organiser les femmes plus marginalisées. C’est le cas du collectif Hetaira dans l’État espagnol. Elles nient l’importance de la traite, la réduisant à presque à zéro dans leurs communiqués basés strictement sur les déclarations des femmes, pour beaucoup sous la menace de ces mêmes réseaux, et de la police.

L’idée, ou plutôt le mythe du « libre choix » est un des arguments les plus repris par le discours de celles et ceux qui plaident en faveur d’une régulation par l’État. La plus extrême de ces versions consiste à décrire la prostitution comme une forme « d’empowerment » individuel, d’auto-émancipation. Cette idée, hégémonique dans le mouvement féministe actuel, est principalement influencée par la pensée postmoderne pour laquelle les formes d’émancipation passent avant tout par une posture individuelle de résistance.

On peut d’abord se demander s’il existe la possibilité de choix réellement libres dans le cadre des démocraties libérales, où l’inégalité est un fait structurel, et dans des sociétés où le machisme est tellement intériorisé qu’il en devient presque « naturel ». La philosophe Ana de Miguel, dans son livre Néolibéralisme sexuel, le mythe du libre choix en dit ceci : « La structure patriarcale repose sur l’idée répétée mille fois selon laquelle il y a déjà une égalité [formelle], [et que] chaque action que réalisent les femmes est le fruit du libre choix ».

Lutter contre l’exploitation sous toutes ses formes, sans hiérarchisation


Nous nous opposons à l’omission consciente du lien entre exploitation économique et oppression de genre, c’est-à-dire entre capitalisme et patriarcat. En omettant ce plan économique, la question du consentement est présentée en dehors du contexte dans lequel elle est générée. Le concept de « patriarcat du consentement » que propose Ana de Miguel bat en brèche les idées postmodernes selon lesquelles l’égalité a déjà été atteinte, que le centre du débat se limite à la prostitution et à la question du « libre choix », idée qui ne font autre chose que de légitimer la pure et simple marchandisation du corps des femmes, tout en soumettant les relations sexuelles et interpersonnelles aux règles du marché.

Souvent, sous l’accusation moraliste, les régulationnistes tentent de faire passer les positions anti-régulation pour une sorte de puritanisme radical qui se scandalise devant le sexe. Elles les accusent également de « vouloir définir quelles formes d’exploitation sont valides, et lesquelles ne peuvent pas être tolérées ». Nous nous opposons totalement à cette conception. Il ne s’agit pas de définir « quelles formes d’exploitation sont légitimes et lesquelles ne le sont pas », mais, au contraire, de démontrer comment la prostitution fait partie intégrante de l’engrenage fonctionnel à l’exploitation capitaliste, et comment elle est, en même temps, traversée par l’oppression patriarcale qui soumet le corps des femmes dans sa forme la plus violente et à travers une position de total esclavage pour la grande majorité.

À travers Pan y Rosas, nous proposons une organisation indépendante de femmes qui défend une troisième position : un programme transitoire qui, en dernière instance, conduit à l’abolition de la prostitution. De cette manière, nous accompagnons les femmes en situation de prostitution dans leurs luttes pour de meilleures conditions de vie, nous défendons leur droit à l’auto-organisation et appuyons la lutte pour exiger à l’État capitaliste et de ses gouvernements la garantie d’un travail pour toutes les personnes en situation de prostitution qui souhaiteraient l’abandonner. En opposition aux conceptions post-modernes, nous maintenons une vision internationaliste que nous considérons indispensable pour pouvoir dénoncer la traite et la situation des femmes prostituées, beaucoup d’entre elles étant pauvres et immigrées. L’abolition de la prostitution ne sera atteinte qu’avec l’élimination de l’exploitation de l’immense majorité de l’humanité par une poignée de parasites et avec l’abolition de l’État de cette même classe parasitaire.


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