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Grève dans la santé

Que dit la grève des CHU sur le mouvement ouvrier et de la lutte des femmes ?

La crise de 2008 a accéléré et approfondi la casse de toute une série d’acquis des luttes du mouvement ouvrier, parmi eux les services publics tels que les transports, la santé ou l’enseignement. Cela s’est traduit par la baisse des moyens, la dégradation des conditions de travail et par conséquence des services eux-mêmes. Cette casse des services publics orchestrée par les gouvernements successifs pour laisser la place aux investisseurs privés pèse davantage sur les femmes, largement majoritaires dans ces métiers et leurs secteurs les plus précaires.

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Crédit photo : Solidaires 94

Néolibéralisme : contradictions de la casse du service publique

La fin de la poussée du mouvement ouvrier des années 1970 et le ralentissement de la croissance qui s’aggrave avec le choc pétrolier de 1973 marquent la fin des mal nommées « Trente Glorieuses », une période marquée par un relatif partage des gains de la productivité et un compromis social entre capital et travail qui s’opérait par le biais des organisations syndicales du mouvement ouvrier, à la fois puissantes et intégrés à l’appareil de l’État-providence. La réponse des classes dominantes face au ralentissement de la croissance de ses profits et face à la crainte d’un nouveau soulèvement du mouvement ouvrier a été double : d’un côté morceler les grandes concentrations ouvrières pour réduire sa force de contestation et de l’autre côté ouvrir tout un pan d’entreprises industrielles et financières, jusqu’à là majoritairement publiques, aux marchés. Cette offensive des classes dominantes visant à museler le mouvement ouvrier, à revenir sur ses acquis et à augmenter les profits du capital par le biais de la privatisation, de l’externalisation, de la délocalisation et de la flexibilisation du travail, c’est ce qu’on connaît sous le nom de « néolibéralisme ». Donald Reagan et Margaret Thatcher en ont été les dirigeants les plus représentatifs, Macron n’est que son produit tardif « à la française », le tout dans un contexte international de contestation de la doctrine néo-libérale.

Cette offensive, cependant, ne s’est pas faite d’un coup et de manière homogène sur tous les secteurs de l’économie. Donc, même si l’offensive s’est accélérée à partir des années 80, en France, celle-ci ne s’est étendue aux services publics que 10 ans après, à partir des années 90, et son extension s’est largement fait sentir et intensifiée après la crise capitaliste de 2008.

Sous le prétexte de la rentabilité et dans le but d’ouvrir ces secteurs au marché, les gouvernements successifs ont orchestré la casse des différents services publics en stagnant ou en baissant leurs moyens alors que ceux-ci devaient faire face à une démographie toujours croissante. Dans le secteur de la santé, seulement à Toulouse, 450 postes ont été supprimés en quelques années alors que les usagers sont de plus en plus nombreux. Cependant, outre la baisse d’effectifs, l’offensive néolibérale s’est traduit d’un côté par la dégradation sans précèdent des conditions de travail, avec la proportion toujours croissante de travailleurs contractuels, et de l’autre côté par la pénétration systématique de pratiques managériales propres aux secteurs privés : rentabilité, flexibilité, mobilité etc.

Pourtant cette offensive néolibérale – qui dans un premier temps voulait diluer le poids de la classe ouvrière en la morcelant – de par la généralisation des méthodes managériales du privé et la précarisation des statuts et des conditions de travail, pose elle même les bases pour la réorganisation du mouvement ouvrier. La généralisation de la précarisation et les méthodes managériales font tomber l’idée selon laquelle ces secteurs étaient une enclave non intégrée à l’économie et par conséquent non soumise à la logique du capital où le personnel, employé par l’État, ne ferait pas partie de la classe ouvrière. Par ailleurs, cette généralisation montre chaque fois plus l’unité des conditions des travailleurs du public et du privé et pousse à dépasser le clivage privé/public qui pèse dans la recomposition subjective du monde du travail depuis le cycle de luttes rouvert en 1995 contre le Plan Juppé.

La lutte du personnel soignant est la lutte de tous et toutes

Cependant, la destruction du service public impacte non seulement les travailleurs et travailleuses du secteur concerné, mais aussi leurs usagers qui voient les services se dégrader de plus en plus. Le combat dans les services publics inclut donc la défense des conditions de travail du personnel et la défense de ces services répondant à des besoins sociaux, faisant partie des acquis du mouvement ouvrier. C’est pourquoi le personnel soignant du CHU Toulouse est en grève et se mobilise à la fois pour exiger une hausse d’effectifs afin de pallier à des conditions de travail intenables mais aussi pour être en mesure d’offrir un service public de qualité à la population. Ces deux aspects qui s’inscrivent dans les luttes des agents des services publics ont une série de traductions dans la pratique.

Bien que les travailleurs et travailleuses du tertiaire public, comme la santé, n’ont pas le même poids dans le processus de production que les secteurs les plus concentrés de l’industrie, ceux-là peuvent renforcer leur position de par leur capacité à susciter autour d’eux l’adhésion de la population et à réveiller potentiellement des vastes mobilisations. En étant des acquis fondamentaux des luttes passées et en ayant un impact sur l’ensemble de la population, des larges couches de la société sont prêtes à batailler aux cotés des travailleurs et travailleuses des services publics comme en 1995 ou 2010 avec la sécurité sociale et les retraites. Il n’est pas anodin que la lutte du personnel soignant du CHU de Toulouse ait été rapidement rejointe par d’autres secteurs de la population tels que des étudiants, des gilets jaunes, des usagers ou des membres de l’association Act-Up. Ce lien direct qui existe entre les conditions de travail et la qualité des services c’est ce qui fait que la mise en place de « comités d’usagers » pendant ce type de luttes soit une tache centrale pour les renforcer : c’est là où se joue une partie importante de son élargissement et de sa médiatisation mais aussi de son appui moral et financier.

Le croisement dans la lutte entre divers secteurs sociaux et travailleurs où ceux-ci prennent la tête de par la position qu’ils ont au sein de l’appareil économique n’est pas un fait fortuit ou concernant seulement les services publics. Même si ce fait se présente de manière beaucoup plus immédiate dans ces secteurs, cette dynamique où la lutte des travailleurs et des travailleuses fonctionne comme un principe d’unification populaire est généralisable à l’ensemble du mouvement ouvrier, et en fait un des éléments principaux de sa force, comme on a pu le voir avec la grève victorieuse des agents du nettoyage des gares franciliennes d’Onet. Dans ce sens, développer cette alliance entre le personnel soignant, les usagers et les mouvements sociaux ne participe pas seulement à renforcer leur grève, mais aussi à recomposer, dans son ensemble et par la démonstration, une classe ouvrière reprenant confiance en ses forces et conscience de sa centralité dans les combats contre les politiques du gouvernement, les conditions de travail et les oppressions.

Gilets jaunes et CHU Toulouse : les femmes en première ligne

La transformation du marché du travail de ces dernières décennies passe par l’intégration massive des femmes au monde du travail, notamment dans le secteur des services. Dans l’article apparu récemment dans le monde diplomatique, « La puissance insoupçonnée des travailleuses », Pierre Rimbert expliquait que « la quasi-totalité de la force de travail enrôlée depuis cinquante ans est féminine – dans des conditions plus précaires et pour un salaire inférieur d’un quart. À elles seules, les salariées des activités médico-sociales et éducatives on quadruplé leur effectif : de 500.00 à 2 millions entre 1968 et 2017, sans compter les enseignantes du secondaire et du supérieur ». Et soulignait aussi : « en France, les travailleuses représentent 51% du salariat populaire formé par les ouvriers et employés ; en 1968 la proportion était de 35% ».

A cela s’ajoute que les femmes occupent 70% des CDD et des emplois intérimaires et 78% des emplois à temps partiel, et que celles-ci très souvent doivent combiner leur travail salarié avec des taches ménagères et la garde de leurs enfants. La casse du service public, accélérée et intensifiée avec la crise de 2008, pèse donc doublement sur les femmes : d’un côté sur la précarisation au travail, de l’autre côté sur l’augmentation des taches ménagères et familiales car celles-ci sont de moins en moins assurés par les services publics dégradés.

Le fait que les politiques du gouvernement pèsent d’avantage et doublement sur les femmes explique que celles-ci soient aux avant-postes de la révolte des gilets jaunes, mais aussi que les secteurs plus féminisés aient été depuis plusieurs années des foyers de lutte, depuis les EHPAD, les crèches, ou les secteurs du nettoyage dont les grevés victorieuses d’ONET ou des Hyatt Vendôme en sont l’exemple le plus représentatif. Dans ce sens le combat du CHU Toulouse n’est pas une exception.
Majoritairement féminisé, la lutte pour un service de santé de qualité et pour l’amélioration des conditions de travail et de vie est traversé aussi par la lutte féministe. De cela en témoigne largement le fait que l’Hymne des Femmes ait été chanté par les grévistes lors de sa dernière action mardi dernier devant l’ARS, et que ce 8 mars les travailleuses du CHU soient intervenues à place du Capitole avant la manifestation pour raconter les souffrances de leurs journées de travail.

De par la résurgence d’un mouvement féministe non institutionnalisé à l’échelle internationale, l’intégration massive des femmes dans la classe ouvrière et la réémergence des luttes des classes notamment dans ces secteurs les plus précaires, féminisés mais aussi moins soumis à l’emprise des politiques syndicales de cogestion, les bases se posent pour la réorganisation d’un mouvement ouvrier combatif qui lie la lutte pour l’émancipation des femmes à la lutte contre l’exploitation salariale. Et de même, le lien entre ces secteurs et les mouvements sociaux tel qu’on le disait plus haut, pose les bases pour la construction d’un mouvement féministe intégrant la lutte contre le système capitaliste.


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