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L’Anabac de Révolution Permanente !

Que faire avec l’épreuve de philo en classe de Terminales ?

C’est jeudi qu’a eu lieu l’épreuve que tout le monde redoute, celle qui ouvre le bal du baccalauréat général et technologique : la philosophie. Et les élèves la craignent à raison puisque les conditions dans lesquelles on l’enseigne sont manifestement faites pour neutraliser au mieux toute radicalité de pensée et souligner à la place le caractère profondément élitiste de la matière. Pourtant, élitiste, la philo ? Pas si sûr. Certains sujets méritaient vraiment d’être traités.

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Image : Les dessins de Fabb

« Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ? »

Les deux sujets de dissertation des Terminales S de jeudi peuvent se prêter à un véritable exercice de critique politique et sociologique. C’est aussi le cas du texte des ES, un extrait de Hobbes sur la liberté.

Premier sujet de dissert des S : « Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ? ». L’enjeu d’un tel sujet est de confronter la notion de droits à la notion d’intérêts. Plusieurs questions sont possibles à la lecture du sujet : pourquoi défendrais-je mon droit si je n’y suis pas intéressé/e ? puis-je avoir des droits qui ne m’intéressent pas ? La notion d’intérêt est très problématique, car il y a plusieurs manières de manifester de l’intérêt : on a les intérêts d’un emprunt bancaire, l’intérêt que l’on porte à quelqu’un, on a le calcul froid comme dans l’expression « une gentillesse intéressée ». Bref, l’intérêt, a priori, est plutôt ambigu et surtout il semble relever de la personne, être la manifestation d’affects subjectifs voire de l’égoïsme. C’est là que la question du Droit se pose : le Droit se présente comme la forme universelle, objective, qui permet de donner des règles à un groupe humain ou pour, citer Kant, qui rend possible « l’accord des libertés ».

Contradiction donc, ou tension au moins, entre « l’intérêt » qui est l’expression subjective d’un enjeu et potentiellement d’un égoïsme et le « Droit », forme objective des règles qui s’appliquent à tous/tes. En un mot, l’intérêt à première vue divise, puisqu’il me concerne, alors que le droit rassemble, puisqu’il concerne l’ensemble du groupe. Et c’est justement le problème que le sujet invitait à travailler : si mes droits sont l’expression de mes intérêts et que, défendant l’un, je défends l’autre, alors peut-on considérer que le Droit échappe à la logique de la division entre des intérêts divergents ? Autrement dit, le droit ne serait-il pas lui aussi le lieu où s’enregistrent des rapports de force entre des intérêts concurrents ?

Universel concret

Avec un tel sujet, on a matière à critiquer la prétendue neutralité du droit. Lorsque les salarié/e/s l’année dernière se sont battu/e/s contre la Loi Travail, qui ne les « intéressait » pas du tout pour le coup, ils l’ont fait non seulement contre les intérêts adverses des patrons mais aussi contre le Droit qui se fait l’écho de ces intérêts.
On pourrait même aller plus loin et considérer que la classe ouvrière chez Marx porte l’universel concret : ses intérêts sont ceux du Droit. De ce point de vue-là, c’est justement en défendant ses intérêts que la classe ouvrière peut nommer ce qu’est le Droit.

Vous avez dit Culture ?

Quant à l’autre sujet : « Peut-on se libérer de sa culture ? » il possède un attendu sociologique assez surprenant pour un sujet de S. On peut entrer dans le sujet par exemple avec la question des transclasses, qui quittent leur classe d’origine pour s’approprier les codes et les usages d’une nouvelle classe sociale. Codes et usages qui sont les éléments d’une culture – de classe. Et à partir de là, on peut essayer de recomposer le rôle de la culture dans l’émancipation : si la culture est d’abord le moyen de sortir du cycle des besoins de la nature, et de s’approprier sa propre humanité, pourquoi le sujet en fait-il une contrainte, puisqu’il suppose qu’il faudrait s’en libérer ? Il y aurait donc un déterminisme culturel ? Les transclasses, ou même le rapport entre ma culture / la culture d’autrui, peuvent servir à souligner la logique émancipatrice à l’œuvre dans le travail de la culture, dans la mesure où me libérant de ma culture, c’est toujours pour retomber dans une autre – jamais dans le retour à la nature – et, par conséquent, renouveler le geste de libération. L’émancipation ici se donne bien comme horizon, comme une tâche à accomplir sans pouvoir lui poser de terme. Avec un tel sujet, on peut poser le problème de la liberté comme libération, c’est à dire comme processus et jamais comme un état. Un problème donc radicalement politique, à l’heure où l’on commence à oublier qu’il n’y a de liberté que conquise.

Deux sujets donc qui ont sans doute donné du fil à retordre aux Terminales, mais dont on voit quand même que l’ère du temps les a connotés. Un inspecteur de philosophie avait insisté lors d’une réunion de prérentrée : le programme de philosophie de Terminales a bien un objet, et cet objet c’est le monde. A quoi on pourrait ajouter, à l’adresse de Monsieur l’Inspecteur : cet objet, il importe désormais de le transformer.


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