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Surveillance d’État

Que signifie être fiché « S » ?

Parler des fiches « S », c’est tendance. Depuis quelques semaines, la majeure partie des responsables politiques français ne cessent d’en assurer la promotion dans tous les organes médiatiques. Parce qu’une fiche, c’est à la fois clair, précis et pratique. Une fiche, ça marque bien l’imaginaire, tout en donnant l’illusion d’un certain contrôle. Une fiche, ça cristallise surtout le vieux fantasme de la surveillance globale, fantasme qui fonctionne d’autant plus dans un climat anxiogène tel que le nôtre… Mais que signifie véritablement le fait d’être estampillé « S » selon la terminologie de l’État bourgeois ? Pas sûr que le verso soit aussi reluisant que le recto… Paul Carson-Saher

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La fiche S, instrument de surveillance pratique pour un État répressif

Selon un décret publié le 28 mai 2010, peut être fichée « S » « toute personne faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ». Apprécions déjà la grande souplesse du cadre légal qui, sous couvert d’une protection de la population, peut générer n’importe quelle fiche S sur la base de simples suspicions non recoupées. Un système qui, à terme, peut entraîner un certain nombre de mesures afin de préserver en réalité non pas la population, mais avant tout l’État bourgeois… Première délicieuse hypocrisie.

Sur cette fameuse fiche, nous pouvons y trouver l’ensemble de l’état civil de la « cible » (nom, prénom, sexe, nationalité, date de naissance), sa photographie, ainsi que toutes informations complémentaires susceptibles de justifier son signalement. Le document confidentiel propose en outre la procédure à suivre en cas de contact direct avec la personne concernée, une conduite généralement discrète pour ne pas « éveiller » l’attention du « fiché » (qui, rappelons-le, n’est pas forcément coupable, mais seulement suspecté de l’être).

Au-delà du simple contrôle ponctuel, quelques personnes fichées S peuvent aussi être mises sur écoute ou même faire l’objet de surveillances plus largement étendues, selon le degré de la menace subjectivement perçue par l’État. Ainsi, en tant qu’outil de surveillance large, ce n’est plus forcément l’individu arbitrairement fiché qui est visé, ce sont aussi potentiellement tous les membres de son entourage, ses relations ou ses rencontres. En somme, autant de victimes collatérales que la classe dominante se réserve bien de tenir informées…

Mais rassurons-nous, car selon Louis Caprioli, sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme au sein de la DCRI, les fichiers sont « régulièrement nettoyés » et « actualisés tous les deux ans ». Alléluia…

Quels chiffres ?

Concernant le nombre actuel de ces fiches, nous avons tout entendu : 4000. 5000. 10000. 11000… Chacun y va de sa petite estimation, transformant rapidement l’espace médiatique en une véritable salle de ventes aux enchères. Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, soucieux de ménager le suspens, commence par évoquer un vague « plusieurs milliers ». Marine Le Pen propose quant à elle 11000. Nicolas Sarkozy, lui, avance gravement 11500. Le Pen encore, visiblement vexée de se faire doubler par la droite, récidive deux jours plus tard en gonflant son estimation à 12700… Qui dit mieux ?

Le 24 novembre, Manuel Valls, grand commissaire-priseur de la République, frappe de son marteau et tranche sur la question avec « 20000 fiches ’’S’’, dont 10 500 pour la seule mouvance islamiste ». Adjugé vendu !

Cet étrange spectacle nous révèle déjà deux choses : d’une part, que l’escalade sécuritaire semble déjà faire l’unanimité pour bon nombre de responsables politiques ; de l’autre, que l’utilisation de ces fiches S déborde clairement du cadre en ne touchant pas uniquement la mouvance islamiste, mais également tous ceux qui seraient susceptibles de gêner de près ou de loin la classe dirigeante.

De potentiels terroristes visés, mais pas que…

Parmi les 9 500 fiches restantes, qui ne concernent donc pas les mouvances islamistes, nous retrouvons bien évidemment d’autres profils, parfois assez inattendus. Selon Manuel Valls, ces fiches concernent aussi «  des membres d’autres mouvements considérés comme terroristes : le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la ligue liée à des mouvements tamouls, la branche militaire du Hezbollah, des militants violents liés à l’ultra droite ou à l’ultra gauche, des hooligans, etc . ». Ajoutons également à cette liste quelques zadistes, des militants altermondialistes, des militants anti-OGM, ou encore certains supporters de football un peu trop agités. Bref, autant de dangereuses personnes qui, à n’en pas douter, fomentent déjà de faire sauter la tour Eiffel à la moindre occasion…

Finalement, au regard du caractère particulièrement arbitraire de ces fiches, qui se fixent pour objectif de « recenser toutes les menaces perçues contre la sûreté de l’État », nous sommes en droit de nous poser des questions sur l’utilisation de celles-ci, et plus particulièrement vis-à-vis de la moindre opposition politique qui pourrait faire entendre sa voix contre le gouvernement. À ce titre, il serait particulièrement intéressant de déterminer si les militants d’extrême-gauche, récemment embarqués par les CRS place de la République, auraient notamment pu faire l’objet d’une collecte d’informations pour l’ouverture d’une fiche. Braver l’État d’urgence pour s’exprimer librement, voilà bien un motif suffisant pour l’État bourgeois.

Dérives du dispositif : un champ libre pour des possibles mesures liberticides ?

Ainsi, dans ce climat de verrouillage contestataire, la chape de plomb instaurée par l’état d’urgence démultiplie non seulement les mesures de répression, mais aussi la possibilité d’accroître la portée des différents dispositifs de surveillance, y compris sous forme de fiches S. Avec elles, les déplacements des militants pourront potentiellement être retracés, les données personnelles accumulées et la liberté d’opinion rigoureusement contrôlée, sans que nous ne puissions le voir.

D’autres failles, touchant tout aussi directement les droits fondamentaux de l’Homme ont déjà été honteusement explorées par plusieurs représentants de la droite. Prenons pour exemple Laurent Wauquiez, qui s’est clairement exprimé sur France 2 : « Ce que je demande, c’est que ces 4 000 personnes, qui sont aujourd’hui fichés pour terrorisme, soient basculés dans des centres d’internements anti-terrorisme dédiés. » ou Nicolas Sarkozy, sur TF1 : « Je propose que nous réfléchissons ensemble à la décision qui consisterait, pour les personnes sur ce fichier, à pouvoir être assignées en résidence chez eux, surveillées, avec un bracelet électronique. »

Inutile de dire qu’avec quelques amalgames et un soupçon de bavures, la fiche S ne tardera pas à se transformer en une véritable machine à réprimer, avec laquelle une simple suspicion vaudra une assignation à résidence et une surveillance accrue.

Le problème, c’est que n’importe quel individu aujourd’hui, au hasard d’un engagement militant, d’une rencontre malheureuse ou d’une rafle policière malchanceuse dans une manifestation interdite, pourrait très bien faire l’objet d’une fiche S. Et nos libertés d’opinion s’amenuiseront à mesure que leurs dérives sécuritaires s’intensifieront…


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