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Menace sérieuse ou mascarade ?

Que signifie la tentative de coup d’Etat au Venezuela ?

Le soulèvement militaire de dimanche a fait long feu, au Venezuela. Il n’en reste pas moins symptomatique des tensions qui continuent à secouer le pays, au lendemain de la prise de fonction de l’Assemblée Constituante.

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La tentative de prise de contrôle de la 41ème unité de blindés de Fort Paramacay, dans l’Etat de Carabobo, dans le Nord du pays, qui a tenu le Venezuela en haleine pendant plusieurs heures, dimanche matin, relevait, dans le meilleur de cas, de la mauvaise mise en scène. En dépit des dénégations surréalistes des apprentis putschistes n’ayant pas hésité à déclarer « ceci n’est pas un coup d’Etat » tout en gonflant le nombre de leurs soutiens, l’opération factieuse n’était, en réalité, que l’œuvre d’une poignée d’hommes, dont une majorité de civils qui ont rapidement été réduits par l’intervention des Forces Armées Nationales Bolivariennes (FANB). Ballon d’essai ? Putsch en bonne et due forme, préparé à la hâte et raté ? Opération pilotée en sous-main par le pouvoir chaviste ou une fraction du pouvoir chaviste, soit les FANB ou les partisans de la ligne dure, en instrumentalisant quelques idiots utiles ? Toutes les hypothèses sont à prendre en considération. Il n’en reste pas moins que l’opération de dimanche est révélatrice de la situation que traverse le pays, des pressions externes qui se multiplient ces derniers jours ainsi que de l’ingérence impérialiste.

L’officier qui conduisait les factieux, Juan Caguaripano, est un déserteur de la Garde Nationale Bolivarienne qui avait rejoint l’appel à la rébellion lancé par Leopoldo López et Antonio Ledesma en 2014 et se trouvait, depuis, en cavale. Le chef de file de Voluntad Popular et l’ancien maire de Caracas, tous deux fers-de-lance de l’opposition de droite, qui ont regagné ce week-end leur domicile où ils sont en résidence surveillée, charrient avec eux des secteurs ouvertement séditieux. C’est une belle image de ce qu’est la droite vénézuélienne, y compris lorsqu’elle prétend défendre « la démocratie » contre la « dictature de Maduro ».

Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si dans ses déclarations diffusées sur internet, dimanche, Caguaripano, qui était épaulé par deux autres déserteurs, demandait aux représentants de la MUD que cessent les négociations qui continuent à avoir lieu, en coulisses, entre les maduristes les plus modérés et leurs adversaires les moins ultra au sein de l’opposition parlementaire au sujet d’une possible sortie de crise qui pourrait se cristalliser autour des élections régionales de décembre : repoussées depuis près d’un an par le pouvoir chaviste, une fraction de la MUD pourrait y voir une façon d’avancer ses pions, compte-tenu de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de retrouver les niveaux de « mobilisation populaire » qui ont pu être les siens au mois d’avril, au début du mouvement anti-Maduro. Côté gouvernement, ce serait une façon de monnayer la reconnaissance de l’Assemblée Constituante par l’opposition qui a pourtant boycotté le scrutin du dimanche 30 juillet.

C’est, néanmoins, sans compter avec les durs des deux camps. La droite vénézuélienne s’est bien gardée de revendiquer le coup d’Etat de dimanche sans pour autant le condamner, à l’instar du député Freddy Guevara. Elle a confié la tâche au sénateur républicain étatsunien et ancien candidat à la primaire contre Trump, Marco Rubio, qui s’est, lui, empressé de soutenir le putsch. Il n’a fait que singer, de façon grotesque, George W. Bush ou de José María Aznar qui avaient été parmi les premiers à soutenir le coup d’Etat anti-chaviste de 2002 avant même de savoir s’il serait ou non victorieux. La multiplication des sorties agressives de Washington en direction de Caracas, malgré les appels à la retenue de certains responsables de l’administration Trump, sont autant de signaux contradictoires qui jettent de l’huile sur le feu. Ils sont interprétés comme des blancs-seings par les plus réactionnaires, au Venezuela comme à l’extérieur, alors que jusqu’à présent Washington s’est bien gardé de couper réellement les ponts avec Maduro, se contentant de jouer la carte de l’étau. En effet, au niveau des gouvernements latino-américains à la botte des Etats-Unis, les condamnations des hommes de paille des Etats-Unis pleuvent contre le Venezuela qui s’est même vu suspendu du Mercosur.

Le putsch raté impacte également et renforce indirectement la ligne dure du chavisme. Alors même que Diosdado Cabello, ancien numéro 2 du régime et compagnon d’armes de Chavez, s’est vu souffler, vendredi, lors de la séance inaugurale, la présidence de l’Assemblée Constituante au profit de Delcy Rodríguez, ancienne ministre des Affaires étrangères et responsable du dialogue officieux avec la MUD, la tentative de putsch de dimanche lui a permis de réclamer de hausser le ton vis-à-vis de l’opposition. Il n’a pas seulement été le premier à rendre publique l’information selon laquelle une caserne de l’armée aurait été prise d’assaut et les factieux réduits dans un second temps par les FANB. Au nom de la lutte contre la droite et le « terrorisme », le soulèvement factieux de dimanche ayant été qualifié comme tel, Cabello a pu continuer à brandir la menace d’une dissolution de l’Assemblée Nationale, dominée par la MUD et qui siège dans le même bâtiment que la Constituante, de même qu’à demander de poursuivre la purge des secteurs chavistes dissidents dont la figure de proue, Luisa Ortega Díaz, procureure générale, a été destituée par vote de l’Assemblée Constituante. Cette dernière a beau être solidement cadenassée par les apparatchiks du PSUV, le parti de Maduro, elle siège dans un brouillard juridique que même les spécialistes de droit constitutionnel proches de la présidence ont du mal à dissiper. En ce sens, le putsch de dimanche lui a donné indirectement une légitimité.

Les principaux alliés sur lesquels s’appuie le gouvernement bonapartiste de Caracas tiennent bon, pour l’instant, mais pour combien de temps ? Plus la situation devient chaotique, avec comme dernier élément cette tentative de putsch, une première au Venezuela depuis 2002, et plus l’inquiétude peut monter, y compris chez ceux qui soutiennent Maduro, à commencer pour les Forces Armées, qui sont intervenues immédiatement à Fort Paramacay, pour les multinationales pétrolières et minières qui ont signé, dernièrement, des contrats avantageux avec le gouvernement, mais également pour la Chine, principal créditeur du Venezuela et pour qui le pays est, avec Cuba, l’une des pointes avancées de sa stratégie d’expansion en Amérique latine. Aucun parmi ces acteurs décisifs n’a d’intérêt à voir la droite réactionnaire, qui ne dispose, par ailleurs, que d’un soutien dans l’opinion très relatif, revenir au pouvoir. Personne, cependant, ne peut se résoudre à voir le pays dériver indéfiniment, plus encore si venaient à se multiplier les mouvements dans certaines fractions des forces de répression.

Dans la journée de lundi, c’est le ministre de la Défense, Padrino Lopez, en uniforme militaire, qui est intervenu en personne, devant les caméras, depuis la caserne de la Tiuna, à Caracas. Entouré d’officiers d’état-major, en battle-dress et lourdement armés pour certains, il a réaffirmé que la situation était sous contrôle. Il s’agit d’un autre indicateur de la façon dont la situation répercute dans les hautes sphères de l’Etat vénézuélien, alors que, jusqu’à présent, Maduro n’est pas sorti de son silence.

« Aucune solution progressiste ne viendra de putsch ni de soulèvements, qui que soient ceux qui se trouvent derrière ce genre d’événements, souligne Ángel Arias, de la direction de la Ligue des Travailleurs Socialistes du Venezuela. Nous nous opposons à toute tentative de résolution de la situation actuelle à travers des coups d’Etat militaires ou des coups d’Etat organisés par le pouvoir lui-même ["auto-golpes"]. Seule l’entrée en scène du monde du travail, avec ses propres revendications et ses propres méthodes de combat, pourra créer les conditions d’une sortie de crise progressiste ».

Crédit photo : Globovision. Padrino Lopez, ministre de la Défense, entoyré d’officiers des FANB, affirmant lundi que la situation est sous contrôle.


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