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Offensive anti-précaires

« RSA conditionné » : une offensive historique qui vise l’ensemble du monde du travail

Pour se sortir de la crise politique, la macronie tente de repartir à l’offensive en s’attaquant aux plus précaires. En ligne de mire les allocataires du RSA. Une offensive qui concerne l’ensemble du monde du travail.

Erell Bleuen

28 avril 2023

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« RSA conditionné » : une offensive historique qui vise l'ensemble du monde du travail

Crédits photo : Capture d’écran France TV

« Pour que jamais une heure de travail ne puisse être moins intéressante que le RSA  ». Dimanche dernier, dans son interview au Parisien, c’est Macron lui-même qui a donné le ton, et depuis, ces ministres défilent sur les plateaux pour préciser l’offensive du « RSA conditionné » : ce jeudi, Borne présentait sur Télématin la réforme comme un « contrat d’engagement réciproque avec des droits et des devoirs », Dussopt arguait sur BFM TV que la réforme cherchait à « permettre à tous ceux qui le peuvent de retrouver un emploi ».

Derrière les formules creuses des membres de l’exécutif se dessine une attaque d’ampleur contre les plus précaires, déjà expérimentée depuis le mois d’avril dans 18 départements. Si le RSA est déjà conditionné à un « accompagnement » vers l’emploi, la réforme va consister au conditionnement du versement de l’allocation de 607 euros à 15 à 20 heures d’activités « d’insertion » par semaine, proposé par Pôle Emploi (et bientôt « France Travail ») auquel l’inscription va être rendue obligatoire. Des activités, dont les contours restent encore volontairement flous, et qui consisteraient dans « l’immersion et la formation en entreprise, la démarche sociale accompagnée, des ateliers collectifs, une activité citoyenne, un accompagnement à la création d’entreprise, une intégration dans un chantier d’insertion, etc » selon un courrier de Dussopt daté de l’automne dernier et adressé au présidences de département.

Et si des sanctions à l’encontre des allocataires du RSA existent déjà, le gouvernement entend bien durcir les règles. Selon le rapport sur le dispositif France Travail, cité par Rapports de Force, l’exécutif prévoit la mise en place d’une nouvelle sanction intitulée « suspension remobilisation », dont l’objectif serait « d’assurer que toute mise en place d’une allocation se conjugue avec le démarrage d’un accompagnement permettant le retour à l’emploi ». En d’autres termes, s’ils ne se soumettent pas aux « activités » hebdomadaires, les allocataires du RSA pourraient perdre leurs droits.

« RSA conditionné » : entre durcissement des sanctions et emploi forcé

Derrière le « RSA conditionné », se profile une volonté de domestiquer les plus précaires, dans la droite lignée de la réforme de l’assurance chômage. Le renforcement des sanctions et le durcissement des obligations pour les allocataires va en effet accroître de façon historique les contraintes sur ces derniers, en même temps que permettre de leur couper les vivres pour réaliser des économies de bouts de chandelle. Alors que le RSA ne suffit même pas pour survivre aujourd’hui, ses allocataires seront désormais menacés de perdre cette aide.

Une mesure brutale contre les plus précaires qui est en même temps un affichage politique. Depuis toujours, pointer du doigt les chômeurs et allocataires du RSA qui « profiteraient du système » est une méthode classique pour tenter de détourner la colère du monde du travail en direction des plus précaires. Ces dernières semaines, la lutte contre « la fraude sociale » est ainsi agitée par tous les ministres-phares sur les plateaux TV, qui maîtrisent désormais parfaitement le discours contre « l’assistanat » chère à la droite et à l’extrême-droite.

Comme le souligne Nicolas Duvoux, sociologue et professeur à l’université Paris 8, dans un article de Mediapart, ces rhétoriques opposant les « classes moyennes » qui travailleraient aux allocataires du RSA « sont des manières de s’adresser à certains segments des catégories populaires, elles-mêmes fragilisées, en espérant les attirer par la mobilisation d’une éthique du travail qui fait, de manière concomitante, de l’assistanat un repoussoir. »

Enfin, le « RSA conditionné » pourrait s’intituler « retour à l’emploi forcé ». Loin de répondre aux problématiques auxquelles sont confrontés les allocataires du RSA, cette mesure va contraindre une partie d’entre eux à travailler dans des conditions exceptionnelles, rémunérés bien en dessous du SMIC, dans le cadre de leurs heures de travail obligatoires. Une femme de 34 ans, au RSA suite à un burn-out, témoigne ainsi pour Frustration Magazine sur ce types de travaux qui existent déjà : « avec le RSA et Pôle emploi, j’ai assisté à des réunions pour une reprise d’activité, j’ai assisté à des visios en groupe avec un cabinet de conseil pour les chômeurs ou en réorientation. J’ai même fait un « stage » type élève de 3ème dans une grande enseigne. Je n’étais pas censée travailler mais observer pendant une semaine, mais la manager m’a donné un planning en 35h et m’a fait faire des ventes, encaisser des clients alors que c’est illégal. A la fin du « stage » elle m’a proposé un CDD ».

Les activités obligatoires pourraient participer à élargir ce types d’expériences, et généraliser à des centaines de milliers de personnes l’obligation de participer à des travaux précaires dans des conditions dérogatoires au Code du Travail. Celles-ci existent déjà pour les travailleurs au chômage de longue durée dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, dont les entreprises et associations ont vocation à « insérer » les chômeurs, justifiant des conditions de travail scandaleuses et des salaires en-dessous du SMIC. Mais, alors que ce secteur ne concerne pas plus de 200.000 personnes par an, la réforme du RSA pourrait en potentiel étendre encore plus largement ce type de pratiques.

Face aux attaques contre les plus pauvres, le mouvement ouvrier ne doit pas rester l’arme au pied

Alors que de larges franges de la population ne décolèrent pas face au passage en force du gouvernement contre la réforme des retraites, cette attaque historique à l’encontre des plus précaires nécessite une réponse de l’ensemble du mouvement ouvrier et de tous les secteurs mobilisés. Alors que le gouvernement a réussi à passer, à l’automne dernier, la réforme de l’assurance-chômage avec l’appui des directions syndicales, il est possible, dans la période actuelle, de lui faire ravaler toutes ses contres-réformes anti-sociales.

Dans ce sens, alors que Elisabeth Borne souhaite rencontrer les dirigeants de l’intersyndicale dès la semaine prochaine pour « engager un agenda social pour préparer le nouveau pacte de la vie au travail », il n’y a rien à discuter avec le gouvernement. A l’opposé des mois de négociations menées dans le vent à l’automne dernier qui ont conduit à l’attaque historique de l’assurance chômage, l’ensemble des directions syndicales y compris la CGT, qui envisage de retourner à Matignon doivent refuser de renouer avec « le dialogue social » avec un gouvernement qui prévoit des attaques d’ampleur contre les plus pauvres.

Contre la tentative grossière de division du gouvernement qui cherche à faire payer aux plus pauvres ses réformes austéritaires, il est urgent de défendre la répartition du temps de travail entre toutes et tous, seule mesure viable pour sortir du chômage et de la pauvreté les plus précaires de notre camp social. Une revendication dont le mouvement actuel doit se saisir, pour non-seulement mettre un coup d’arrêt à la politique anti-sociale de la macronie, mais réussir également à obtenir de véritables améliorations de nos conditions de vie.


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Erell Bleuen

Twitter : @Erellux