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A Grandpuits, la flamme de la lutte se rallume

Raffinerie de Grandpuits. Première journée de grève réussie : « le combat va être long » contre le PSE

Mardi les raffineurs de Grandpuits ont bloqué les expéditions de camion de carburant. Avec 90% de grévistes à la production pendant 24 heures pour s'opposer au PSE qui menace 700 emplois, ils ont organisé un comité d'accueil pour interpeller les dirigeants de Total en visite sur le site. Le premier acte du combat contre le géant pétrolier du CAC40.

Mahdi Adi

15 octobre 2020

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Mardi 13 octobre, à 4h du matin, une cinquantaine de raffineurs travaillant sur le site Total de Grandpuits bloquaient les expéditions de camion, en barricadant la sortie de la raffinerie prévue à cet effet. 90% des salariés Total de la production étaient en grève ce matin, et alors qu’environ 300 camions sortent chaque jour avec des produits raffinés pour les transporter jusqu’aux points de distribution, seuls une trentaine ont pu prendre leur chargement tandis que la direction de la raffinerie a été obligée d’en détourner 270 vers d’autres sites de stockage en Île-de-France.

90% de grévistes à l’exploitation, 270 camions détournés sur 300 : les raffineurs posent la première pierre pour construire la bataille de Grandpuits contre le PSE

La veille, le 12 octobre, les raffineurs réunis en Assemblées Générales avaient voté une première journée de grève et l’arrêt des expéditions, camions et pipeline compris, pour une durée de 24 heures le lendemain. Une décision prise pour lutter contre le projet de Total de supprimer 700 emplois sous couvert de greenwashing. Après un premier rassemblement une semaine plus tôt devant le siège de la multinationale à La Défense pour dénoncer le PSE, les raffineurs décidaient ainsi de poser la première pierre pour construire la bataille de Grandpuits contre les suppressions de poste et les licenciements. « On veut zéro suppression d’emploi sur le site et un projet d’ampleur, pas une vitrine repeinte en vert comme le veut Total » explique ainsi Adrien Cornet, délégué syndical à la CGT Grandpuits, le syndicat majoritaire sur le site.

Mais fait inédit dans l’histoire de cette raffinerie connue pour son rôle important dans les épisodes de lutte de classe comme en 2010 pendant la grève contre la réforme des retraites, à l’issue de l’Assemblée Générale, le directeur de la plateforme Total de Grandpuits-Gargenville, Jean-Marc Durand, a refusé la mise en œuvre des modalités de grève. En effet, après le vote, les salariés exigent la consigne pour suspendre les expéditions de carburant. Une pratique habituelle à Grandpuits, où l’application du droit de grève impose à la direction des mesures particulières pour ne pas endommager l’outil de travail et garantir la sécurité au vu de la dangerosité des produits manipulés sur le site. Au lieu de cela, « la direction a méprisé la décision de l’AG » s’exclame Paul Feltman, élu CGT Grandpuits présent aux aurores sur le piquet de grève, qui explique que c’est cette décision qui a poussé les salariés à se mettre immédiatement en grève sans attendre le lendemain, à refuser de prendre leur relève dès 14 heures, et à bloquer les expéditions de camions le lendemain matin.

Déni du droit de grève, dégradation des conditions de travail : « la direction nous méprise (…) concrètement elle nous laisse crever

Pour le syndicaliste, tout cela montre que « la direction nous méprise (…) on est au début du PSE et elle ne veut pas respecter le vote de l’assemblée générale des travailleurs. Concrètement elle nous laisse crever ». Il dénonce ainsi le déni de droit de grève de la part de la direction et la décision d’imposer à ceux qui n’ont pas pu être relevé d’être obligé de travailler plus de 12 heures consécutives, ce qui est légalement interdit sauf dérogation. Car sur ce site classé Seveso niveau 2 (« seuil haut »), les salariés ne peuvent pas quitter leur poste sans qu’un autre vienne assurer la relève, au risque de se faire licencier pour « abandon de poste ». C’est ce qui a motivé la décision de la CGT, syndicat majoritaire à Grandpuits, à avertir l’inspection du travail.

Ainsi, Alexis, représentant syndical Force Ouvrière et intervenant-opérateur expliquait mardi après-midi avoir dû travailler 17 heures de suite. Pour lui, l’absence de prise en compte de la sécurité des salariés ce jour-là s’inscrit dans un contexte plus général de dégradation des conditions de travail et de mauvais entretien du site : « les conditions de travail se dégradent de jour en jour, on n’a pas la maintenance nécessaire, on fait du bricolage ». D’autres salariés auraient même travailler plus de 24 heures et jusqu’à 32 heures faute de relève.

Le placard ou la porte : un PSE à grand renfort de « greenwashing » chez Total

Pour la plupart des raffineurs présents ce jour-là, le mauvais entretien du site va de pair avec la volonté de Total d’arrêter les activités de raffinage sur le site. A l’instar du « Plif », le pipeline qui approvisionne la raffinerie depuis Le Havre, endommagé depuis février 2019 et que le groupe rechigne à réparer, pour ensuite utiliser l’argument de la baisse de productivité contre les salariés. Gaël, ouvrier depuis 2003 à Grandpuits est amer quand il pense aux sacrifices consentis tant en termes sanitaires puisque « les raffineurs respirent l’essence, le benzène et autres substances toxiques huit heures par jour », que psycho-sociaux avec « les 3x8 », tout ça pour terminer « au placard pour ceux qui resteront » après le PSE. Car pour ces ouvriers qui ont acquis des compétences spécifiques au cours de leur carrière, la reconversion du site fait craindre de se retrouver à simplement « transporter des ballots de plastique et appuyer sur un bouton », et perdre toute perspective d’évolution dans la future usine de biocarburant et de plastique que veut construire Total à la place. Pour les autres, en particulier les sous-traitants chez qui le moindre signe de sympathie à l’égard des grévistes peut coûter très cher comme le raconte encore Gaël, « ce sont eux qui vont subir le plus et servir de variable », impactant également toute la vie économique du département.

Une crainte confirmée par le refus de la direction de fournir les futures fiches de poste aux salariés. Ainsi, Grégory, lui aussi salarié « à la prod », raconte qu’après avoir demandé au directeur du site pendant l’échange qui a suivi l’AG du 12 octobre s’il était mandaté par le groupe pour négocier le PSE et s’il pouvait fournir des garanties en terme de maintien de l’emploi, ce dernier lui a rétorqué avec dédain « vous faites de la polémique ». Idem pour les fiches des produits qui seront manipulés sur le site pour produire du biocarburant. Outre l’origine animale des graisses utilisées dans ce processus qui remet en question le prétendu caractère écologique suggéré par le terme « bio », les salariés craignent l’impact de ces produits sur leur santé en l’absence d’information de la part de Total. Enfin l’incertitude autour des débouchés pour les produits finis fait planer le doute quant à l’avenir même du site. Surtout que la parole de la direction est largement remise en doute depuis qu’il y a quelques jours, des fuites dans la presse ont affirmé que Total souhaite vendre ses activités de résine sur un autre site pétrochimique à Carling, mettant ainsi 370 emplois en péril alors que la direction du groupe avait présenté cette activité comme la garantie de la pérennité du site après un PSE survenu en 2014.

Par conséquent, Gaël n’est pas dupe. Alors que la stratégie de Total se résume à du « greenwashing » pour préparer la fermeture du site et délocaliser la production de carburant quelque part où les normes sociales et environnementales sont moins élevées, ce quarantenaire est conscient des enjeux écologiques posés par la crise climatique. Interrogé sur une potentielle alternative au projet de la direction du groupe, il explique que « l’hydrogène c’est l’énergie du futur, mais il faut de vrais moyens pour en produire et pour sauvegarder les emplois aussi ».

Face au piège du dialogue social, refuser l’accord de méthode et construire le rapport de force

L’autre raison qui avait poussé les raffineurs à faire grève ce mardi, c’était la venue de Michel Charton, directeur raffinage Total Europe, et Bernard Pinatel, directeur raffinage Total Monde, sur le site ce jour là. Les salariés comptaient ainsi leur préparer « un comité d’accueil » pour montrer leur détermination face à la direction, mais aussi obtenir des réponses sur l’avenir du site et le maintien des emplois.

C’est donc par des hués que les deux directeurs raffinage ont été accueilli à Grandpuits, avant que les raffineurs s’introduisent dans le bâtiment administratif pour les interpeller. Aux demandes de garanties écrites en ce qui concerne la sauvegarde de l’emploi et le maintien des salariés dans le socle social commun et la convention collective de l’entreprise, les directeurs ont répondu qu’il faudrait leur faire « confiance ». Mais comment leur faire confiance alors qu’en plein PSE à Grandpuits, Patrick Pouyanné, le PDG du groupe, affirme sans rougir dans les médias qu’il n’y aurait « pas de plan social » chez Total, et que le groupe a fait part en mai dernier de son intention d’augmenter le dividende de 6% par rapport à l’an dernier où 7 milliards d’euros avaient déjà été versés aux actionnaires ?

C’est pourtant en comptant sur « la confiance » des salariés que la direction propose un accord de méthode aux organisations syndicales afin d’obtenir un chèque en blanc pour mener le projet de reconversion de la raffinerie. Cet accord conférerait en effet à la direction la possibilité de dicter le rythme du PSE et des négociations tout en court-circuitant tout pouvoir de consultation et d’information du CSE et des salariés. Flanqué d’une « obligation générale dans les négociations », sorte de « clause de loyauté » camouflée, l’accord de méthode restreint les possibilités pour les syndicats de rompre les négociations, et par conséquent affaiblit la possibilité pour les salariés de construire le rapport de force par la grève.

Or, le principal enseignement des précédents PSE au sein du groupe démontre la nécessité de se battre pour construire le rapport de force et ne pas s’enfermer dans le piège du dialogue social. C’est ce qu’expliquait Frédéric, délégué CGT à Feyzin, venu apporter sa solidarité et son expérience aux salariés de Grandpuits lors d’une précédente Assemblée Générale : « A Feyzin, on n’a eu que deux jours de lutte, et les salariés n’ont rien obtenu, ils n’ont pas sauvé d’emplois. A contrario à La Mède, les salariés ont fait une grève de 47 jours ce qui a permis de sauver des emplois sur le site, des sous-traitants, des mesures d’accompagnement, même si la charge de travail reste exécrable et le nombre de salariés pas à la hauteur de ce qui a été demandé. »

C’est la raison pour laquelle la CGT Grandpuits refuse de signer l’accord de méthode, explique Adrien Cornet, qui résume : « c’est un outil juridique au service des patrons ». Cependant, alors que la CFDT a déjà fait part de son intention de signer un accord de méthode et a refusé de participer au mouvement de grève ce mardi, la validation de l’accord pourrait être suspendue à la signature ou non du syndicat Force Ouvrière.

Pour exiger zéro suppression d’emploi, la nécessité d’un plan pour se battre tous ensemble contre Total et les grands patrons

Dans l’après-midi les salariés Onet affecté à la sous-traitance du nettoyage chez Airbus à Toulouse, en grève pour une augmentation de salaire et contre le licenciement d’un des leurs, ont adressé un message de soutien aux raffineurs de Grandpuits, après qu’Adrien et Paul de la CGT Grandpuits aient eux-même appelé à participer à leur caisse de grève. Un exemple de solidarité ouvrière contre les attaques du patronat. Face aux attaques contre le monde du travail qui pleuvent sur le monde du travail, avec la bénédiction du gouvernement et de l’arsenal répressif déployé avec l’État d’urgence sanitaire, il est non seulement nécessaire de faire preuve de combativité et de coordonner les secteurs en première ligne face à une crise sanitaire et économique historique.

Il n’en faudra pas moins pour faire plier un géant du pétrole et du CAC40 comme Total, fleuron de l’impérialisme français, afin d’imposer zéro suppression d’emploi et empêcher le drame social qui se profile. Après cette première journée de grève réussie avec 90% de grévistes à la production et alors que les raffineurs ont décidé de suspendre la grève à l’issue des 24 heures afin de conserver des forces pour la suite, la bataille de Grandpuits peut être un point d’appui pour construire un plan d’ensemble qui fait aujourd’hui défaut contre les suppressions d’emploi, les licenciements et la précarité, à condition d’éviter le piège du dialogue social et les divisions sectorielles. C’est pourquoi le soutien et la solidarité avec les raffineurs et tous ceux et toutes celles qui se battent pour l’emploi, ainsi que la coordination de toutes les boîtes concernées par les licenciements, sont des armes fondamentales, qu’il faudra construire toutes et tous ensemble dans la prochaine période.


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