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Extrême gauche

Réflexions autour de l’expérience du PTS en Argentine

Une « extrême gauche dure ». C’est ainsi qu’une partie de la presse argentine qualifie le Front de Gauche et des Travailleurs, qui vient de confirmer son dynamisme, lors du dernier scrutin préparant les élections générales d’octobre 2015 ; une extrême gauche « dure », par opposition à l’ensemble de ces partis ou coalitions électorales de « gauche radicale » type Podemos ou Syriza. Une spécificité argentine ou une orientation qui pourrait être reprise et déclinée, différemment, ailleurs ?

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Laura Varlet

L’expérience de ces dernières années en Argentine montre qu’il est possible de faire de bons scores électoraux tout en défendant clairement des idées anticapitalistes ainsi que son attachement à la centralité de la classe ouvrière et à une perspective révolutionnaire.

Mais les bons scores électoraux ne seront pas éternels

On pourrait se contenter de constater ces avancées et dire qu’en Argentine l’extrême-gauche trotskiste « existe » sur le plan électoral, contrairement à ce qu’on peut voir aujourd’hui dans l’ensemble des pays d’Europe, par exemple. Mais si on regarde bien le panorama électoral dans son ensemble, on est bien obligé de constater que les trois principaux candidats de l’austérité ont fait, ensemble, plus de 80% des voix Il n’est cependant pas exagéré de dire qu’après s’être maintenu pendant 4 ans (en 2011, en 2013 et en 2015), le FIT a gagné un seuil électoral important. Néanmoins, il est très probable que ces résultats varient dans l’avenir en fonction des changements dans la situation politique. En France, l’extrême-gauche a également connu des moments où elle faisait de bons scores, comme en 2007 par exemple, sans qu’après cela ne se maintienne ou se traduise dans la consolidation de nouvelles générations militantes au sein des organisations d’extrême-gauche dans la durée.

La question qui se pose aux révolutionnaires en Argentine aujourd’hui est de savoir si l’extrême-gauche révolutionnaire, « dure », comme disent les journalistes à la télé, réussit à combiner d’une part, un ancrage sur le plan électoral et la scène politique, et d’autre part la construction d’une force militante dans les usines et les grandes concentrations ouvrières, afin de disputer l’influence de la bureaucratie syndicale, mais de constituer également une force puissante dans les universités, les lycées, ainsi que les quartiers populaires et ouvriers. Il s’agit de la tâche stratégique la plus importante incombant aux camarades du PTS actuellement, et c’est à cela qu’ils dédient principalement leurs efforts ; mais, loin de concerner uniquement l’extrême-gauche argentine, il est nécessaire d’en tirer des leçons pour penser la construction des partis révolutionnaires partout ailleurs.

La campagne électorale menée par le PTS portait son discours principalement contre les candidats des patrons qui vont appliquer l’austérité et disait clairement, à chaque fois que l’occasion s’en présentait dans les grands médias, qu’aucune solution de fond aux revendications des travailleurs, des femmes et de la jeunesse ne pouvait être trouvée en dehors de l’affrontement avec le système capitaliste dans son ensemble. Cette campagne a également permis de visibiliser des débats importants qui sont en cours au sein du FIT, notamment avec les camarades du PO, concernant l’intégration au FIT de certaines forces populistes de gauche qui soutiennent des variantes type Syriza et Podemos et qui ont par le passé soutenu les formations dirigées par Hugo Chavez au Vénézuela ou Evo Morales en Bolivie. La campagne du PTS s’est ainsi caractérisée par un net contenu d’indépendance de classe, dans l’idée de construire une force politique des travailleurs, indépendante des patrons et leurs gouvernements.

Par ailleurs, la candidature de Nicolas DelCaño concentre des éléments de profil que le PTS a voulu mettre en avant et dont beaucoup d’autres travailleurs qui sont candidats dans les listes témoignent également. Il s’agit d’un jeune député du FIT, qui est présent dans chaque lutte aux côtés des travailleurs, qui ne conserve de son salaire de député que l’équivalent de celui d’une instit et reverse le reste aux caisses de grève des luttes en cours, et qui a présenté un projet de loi visant à aligner le salaire des élus sur celui d’un instit. « Nico » est devenu relativement célèbre après avoir été réprimé par la gendarmerie nationale lorsqu’il se solidarisait avec les ouvriers de Lear (multinationale de l’industrie automobile) qui ont été en lutte pendant 9 mois. Dans ce conflit, le PTS dans son ensemble a joué un rôle important.

Avec de nombreux spots diffusés à la télévision et dans les réseaux sociaux, une campagne militante sur le terrain et même un jeu vidéo « trotskiste » qui a fait fureur sur les réseaux sociaux, le PTS s’est montré à la hauteur d’une campagne dynamique qui cherchait à établir un dialogue compréhensible à une large échelle, tout en conservant le programme.

Il est évidemment très encourageant que l’extrême-gauche trotskiste puisse diffuser ses idées auprès de millions de travailleurs et de jeunes dans tout le pays comme en témoigne cette influence électorale. Cela montre qu’il y a d’autres horizons possibles que celui de Syriza ou Podemos qui, au mieux, diluent la question de la classe ouvrière en parlant de « ceux d’en bas » et, au pire, ont un discours ouvertement de conciliation de classes.

Avancer vers la construction d’une alternative révolutionnaire ancrée dans des secteurs stratégiques

Les camarades du PTS ont fait une campagne militante sur le terrain. Plusieurs milliers de candidats dans tout le pays, dont 60% de femmes et 1800 travailleurs et travailleuses, ont mené la campagne auprès de leurs collègues dans les boîtes, mais aussi auprès de leur famille, de leurs amis et de leur entourage dans les quartiers. La présence de ces candidats, que les travailleurs voyaient naturellement comme faisant partie de leur milieu, comme ayant les mêmes préoccupations et les mêmes conditions de vie, a été décisive pour obtenir de bons scores dans les entreprises et dans les concentrations ouvrières.

L’Argentine est un pays où le mouvement ouvrier est historiquement dirigé par le « péronisme », un courant politique né au XXème siècle et qu’on peut caractériser comme un courant nationaliste-bourgeois et de conciliation de classes. Ce courant tient cependant un discours populiste et se dit favorable aux intérêts des travailleurs. Depuis des décennies, la bureaucratie syndicale péroniste assure son contrôle des syndicats à travers une politique de pression sur le patronat pour mieux négocier mais en n’hésitant pas non plus, selon les périodes, à recourir à un véritable flicage interne pour tenir à l’écart tout élément de contestation qui échapperait à sa mainmise, et particulièrement l’extrême gauche organisée.

Ces dernières années, en plus d’avancer dans la construction d’une jeunesse révolutionnaire dans plusieurs universités et lycées du pays, ainsi que d’un mouvement des femmes et LGBT, Pan y Rosas, le PTS a réussi à s’implanter dans quelques secteurs stratégiques comme l’industrie agro-alimentaire, graphique, automobile, métallurgique, entre autres, ainsi que les secteurs des services comme le secteur ferroviaire, aéroportuaire, les télécoms, etc. Peu à peu, via un travail patient et souvent clandestin, mais aussi des interventions dans les principales luttes, mêmes partielles, menées par la classe ouvrière ces dernières années, le PTS a commencé à gagner en influence. Au début, cette influence s’est traduite par le fait que les travailleurs votaient pour les militants du PTS et d’extrême-gauche lors des élections syndicales car ils les voyaient comme des militants honnêtes qui défendaient leurs intérêts au sein de la boîte. Néanmoins, lorsqu’il s’agissait de voter dans les élections politiques générales, ces mêmes travailleurs choisissaient de donner leur voix aux candidats des partis des classes dominantes, souvent liés au gouvernement kirchneriste.

Aujourd’hui, cette réalité peut commencer à changer petit à petit. Au PTS, les camarades réfléchissent à l’articulation entre intervention dans la lutte des classes d’une part, et travail des révolutionnaires au sein du Parlement d’autre part. La lutte qui s’organise dans les lieux de travail signifie en même temps une lutte politique permanente. La combinaison entre lutte pour l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail, d’un côté, et lutte politique de l’autre côté, a permis au PTS, non seulement de forger des courants anti-bureaucratiques dans les syndicats, mais aussi d’avancer vers l’émergence d’une gauche révolutionnaire ancrée dans la classe ouvrière.

En ce sens, le principal slogan de la campagne du PTS aux primaires du FIT a été celui de « renouveler et renforcer le FIT, avec la force des travailleurs, des femmes et de la jeunesse ». Et c’est également en raison de ce travail patient et de longue haleine que l’on peut voir aujourd’hui de nouvelles générations de militants et militantes, des centaines de travailleurs et travailleuses qui décident de faire un pas supplémentaire, commencent à s’impliquer en politique et sont aujourd’hui les candidats du PTS pour les prochaines élections.

Une réflexion à poursuivre et des leçons à tirer

La question n’est donc pas seulement celle de savoir combien de voix l’extrême-gauche a réussi à faire lors des dernières élections en Argentine : cela est évidemment important, et le fait d’avoir des députés au service des travailleurs et pour intervenir dans la lutte de classes est particulièrement utile. Mais la question fondamentale est de savoir s’il existe aujourd’hui en Argentine une force militante, même à une échelle encore relativement modeste, qui soit déterminée à lutter pour gagner de l’influence, non seulement syndicale mais aussi politique, dans les entreprises et les syndicats qui sont aujourd’hui encore sous le contrôle de la bureaucratie syndicale. C’est cette bataille stratégique qui permettra de contribuer à la recomposition du mouvement ouvrier dans un sens révolutionnaire, et qui posera les bases pour que la classe ouvrière organisée puisse être une alternative politique pour les millions qui subissent les conséquences de la crise capitaliste et de l’austérité.

De quoi réfléchir pour les militants révolutionnaires en Europe, à la lumière de l’expérience de formations comme Syriza et Podemos.


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