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Édito

Réforme des retraites : Macron aux pieds d’argile !

Cela tourne presque à la tragédie grecque, celui qui se qualifiait de Jupiter après son élection, un « bulldozer » qui écrase tout sur son passage comme le disait dans un papier l’éditorialiste Cécile Cornudet, n’a plus rien de Jupiter, mais ressemble de plus à plus au Colosse aux pieds d’argile. Avec l’approche de la date de grève illimitée du 5 Décembre, Emmanuel Macron et son gouvernement montrent de plus en plus de fébrilité. Pour cause, après 1 an de mouvement des gilets jaunes et la multiplication des appels au blocage de l’économie à partir du 5 décembre prochain et la récente émergence de mouvements très radicaux à la base dans certains technicentres de la SNCF ou encore d’un droit de retrait massif chez les roulants, Macron montre toute sa fragilité face à la colère sociale.

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Jean-Paul Delevoye rappelé à l’ordre sur la « clause du Grand-Père »

Dans une conférence à Amiens sur la future réforme des retraites, le ministre délégué, Jean-Paul Delevoye, s’est dit opposé à une réforme des retraites avec une clause du « Grand-Père ». Pour rappel, cette expression a été utilisée pour la première fois lors de la période de ségrégation en 1866, par les états esclavagistes du sud, pour empêcher les esclaves libres et les descendants afro-americains à pouvoir accéder au droite de vote. En effet, ils avaient alors parlé de « clause du grand-père » consistant à donner le droit de voter uniquement aux américains ayant eu un grand-père avec le droit de vote avant la guerre de sécession, bloquant de fait l’accès à ce droit pour ceux n’entrant pas dans cette clause. Référence de l’histoire nauséabonde donc pour le gouvernement, qui aujourd’hui parle de « clause du Grand-père » afin de ne mettre en place cette reforme des retraites par point, uniquement aux futurs salariés à partir de 2025.

« Est ce que j’ai l’air d’un enfant puni ? »

Jean-Paul Delevoye qui a laissé courir le bruit de ne pas conduire une réforme ne s’appliquant pas à l’ensemble des actifs, a été sonné de « rentrer à la niche » pour reprendre une expression bien connue. Interrogé sur ses déclarations après le recadrage, c’est un Jean-Paul Delevoye mal à l’aise, qui fait mine de n’avoir jamais dit qu’il ne conduirait pas une réforme avec une clause du grand-père. Lorsqu’un journaliste lui demande s’il a été recadré par Matignon et l’Élysée, il répond alors avec un rire jaune : « Est ce que j’ai l’air d’un enfant puni ?  ».

Nouvelle reculade après l’âge pivot

Bien que le rapporteur de la réforme des retraites, fait mine d’être en parfaite cohésion avec le gouvernement qui l’a mandaté pour conduire le projet de loi, c’est un fait majeur qui est en train de se dérouler. Alors que nous sommes à 27 jours du démarrage d’une grève d’ampleur dans le pays, le gouvernement montre de nouveau, un signe de fébrilité. Pour rappel lors du discours de politique générale, Edouard Philippe avait esquissé les grandes lignes de la réforme, notamment en parlant d’allongement de la durée de cotisation à travers un « âge pivot » de 64 ans, avant de faire marche arrière.

La moindre grève contre la réforme des retraites n’a pas encore eu lieu, que le gouvernement montre toute sa fébrilité, malgré les déclarations d’Emmanuel Macron la semaine dernière, comme quoi il ne fera preuve « d’aucune forme de faiblesse ou de complaisance  » concernant la reforme, cette nouvelle reculade du gouvernement laissant la porte ouverte à une suppression de la réforme pour les actifs, après celle de l’âge pivot, montre bel est bien des signes de faiblesses de celui qui pourtant était jadis considéré comme un bulldozer.

Macron est-il en train de payer son boycott des corps intermédiaires ?

C’était une des premières images qui avait fait le buzz au lendemain de son élection en 2017, à l’époque révélée par l’émission Quotidien de Yann Barthes. Emmanuel Macron, qui avait reçu les organisations syndicales, concernant le projet de Loi Travail par ordonnance, avait été interrogé par le ministre des affaires étrangères Jean Yves le Drian, lui demandant «  Ça s’est passé comment [avec les organisations syndicales] ? ». À cela le président répondait ainsi « Très bien, c’est normal je ne leur ai rien dit  ». Cette phrase à elle-seule montre le cap qu’a voulu prendre au départ Emmanuel Macron, voulant gouverner avec une méthodologie, faisant fi des corps intermédiaires et notamment des directions syndicales.

À l’époque déjà de nombreux spécialistes des mouvements sociaux, comme Raymond Soubie ancien bras droit de Nicolas Sarkozy, avaient mis en garde le président de la République en disant « Attention à ne pas vous couper des corps intermédiaire ». Les vieux briscards de la politique savent de quoi ils parlent, mais le président élu sur la politique du nouveau monde contre l’ancien, a vite déchanté dès la première année de son quinquennat face à l’émergence inattendue des gilets jaunes. Déjà à l’époque de la suppression de la taxe d’habitation, mais surtout de la mise en place des 80Km/h, de nombreux maires s’étaient sentis exclus des décisions prises par Macron. Certains dirons même lors du « Grand Débat » début 2019, «  Monsieur Macron, vous ne nous avez pas écouté ».

Depuis la rentrée et l’Acte 2 du quinquennat, repris volontairement du vocabulaire utilisé par les mobilisations des gilets jaunes, Emmanuel Macron se veut être un homme nouveau, près à dialoguer selon lui. L’une des fidèles de la première heure devenue aujourd’hui porte parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait déclaré « le président a changé […] il y aura un avant et un après mouvement des gilets jaunes ». En effet si le président a été contraint de changer sa manière arrogante de gouverner, il essaie cependant de maintenir le cap des reformes néo-liberales, à l’image de la privatisation d’ADP et la FDJ ou encore avec l’attaque contre l’assurance-chômage. Mais la mère des réformes que chaque gouvernement a toujours essayé de mettre en place, reste celle des retraites. Macron veut à tout prix faire oublier les gilets jaunes de son quinquennat, en faisant passer une réforme des retraites qui le ferait entrer dans l’Histoire, non pas comme le président des gilets jaunes, mais comme le président qui a réussi à mettre en place la réforme des retraites par point.

Pourtant la stratégie ne prend pas, même si la CFDT à travers son secrétaire Laurent Berger, a montré un soutien à la reforme des retraites par point, le vase de la grogne sociale est en train de se remplir jour après jour. Le président considérait qu’il ne fallait pas dialoguer lors du mouvement des gilets jaunes avec les syndicats comme cela a été révélé par Cecile Amar dans son livre « Le peuple et le président », car le mouvement n’était pas parti des syndicats. Emmanuel Macron, a laissé la bureaucratie syndicale perdre de plus en plus son rôle de sas de décompression à la grogne sociale, la preuve étant avec les appels de la CGT au 5 Décembre obligée de suivre, pourtant habituée à donner le tempo des grèves. Le rôle que joue la CFDT aujourd’hui malgré sa position de premier syndicat dans les urnes, est insignifiant comparé au rôle de division qu’elle a pu jouer comme en 1995 avec Nicole Notat ou encore récemment avec le passage de la loi El Khomri ou des ordonnances loi travail.

L’effet gilet jaune pousse les directions syndicales à suivre la base

Aujourd’hui gouvernement comme politologues ont compris que le mouvement qui va démarrer le 5 Décembre n’a pas de semblable dans sa genèse. D’une part la spontanéité et la radicalité du mouvement des gilets jaunes, malgré la répression et les manœuvres politiques essayant de l’étouffer, aura transmis des enseignements dans les différentes couches du prolétariat et notamment du mouvement ouvrier traditionnel, pourtant absent structurellement du mouvement des gilets jaunes. Les premiers effets se verront autour du mouvement parti de la base des urgentistes, suivi derrière chez les professeurs avec la grève du BAC. Mais l’exemple le plus spectaculaire depuis la rentrée a été cette journée du 13 Septembre à la RATP et pour cause, cette pression à la base de la RATP aura poussé à l’appel pour la grève illimitée du 5 Décembre par l’intersyndicale pourtant composé de syndicats dits « réformistes » comme l’UNSA. Suivi derrière à la SNCF par SUD Rail, ainsi que l’UNSA. Aujourd’hui ce sont de nombreux syndicats et non des moindres comme la CGT Cheminots qui vient de se prononcer en rejoignant l’appel à la grève par période de 24h à la SNCF. Même si certains espèrent tirer les marrons du feu avant la grève ou le plus tôt possible. Ces appels restent historiques, car en comparaison avec 1995 il aura fallu plusieurs journées éparses et une attaque spécifique à la SNCF pour que le mouvement démarre et soit suivi au fil de la grève reconductible chez les cheminots, par d’autres corporations comme les PTT, EDF et bien sûr la RATP.

C’est donc une grève poussée par la base et appelée largement avant la date par de nombreux syndicats qui va démarrer le 5 Décembre. À la SNCF ces appels arrivent dans un contexte ou des mouvements de grève totalement inédits sont en train d’émerger, emportant sur leur passage des cheminots, prônant l’auto-organisation à la base en dehors des traditionnels appels syndicaux. C’est sous la pression à l’auto-organisation, que la CGT Cheminots, pour la première fois dans un communiqué d’appel à la grève insiste autant sur « la construction d’assemblées générales  ». Il faudra voir dans les jours prochains comment se matérialise cet appel dans les faits, mais nous ne pouvons ignorer l’importance du changement stratégique opéré, notamment après la défaite catastrophique de 2018 avec une stratégie de grève perlée initiée par la direction de la CGT, qui a été antagoniste au principe même de la démocratie ouvrière. C’est donc des cheminots avec l’expérience et le bilan des stratégies perdantes du passé, mais également avec l’émergence d’une gilet-jaunisation dans certains secteurs, que cette grève à partir du 5 Décembre se profile.

Si pour l’heure certains voyants sont au vert, cela n’est pas encore suffisant, il va falloir que la grève du 5 Décembre ne soit pas un mouvement sectoriel d’une avant garde, mais cet appel doit être rejoint par l’ensemble des travailleurs du public comme du privé. C’est seulement face à un rapport de force d’ampleur que le gouvernement pourra céder. C’est pourquoi toute tentative à la négociation de la part des directions syndicales doit être dénoncée et combattue avec la plus grande fermeté. Une victoire se profilera seulement avec un mouvement organisé et tenu à la base, en assemblées générales, résolument offensives, cherchant à coordonner l’ensemble des secteurs de lutte, capable de poser réellement dans la balance la démission de Macron, avortée par les gilets jaunes, mais qui peut devenir une réalité avec au coeur de la lutte les secteurs important du mouvement ouvrier.

L’opinion publique lâche de plus en plus le gouvernement

C’est sûrement le baromètre le plus important à prendre en compte, pour comprendre à quel point les marges de manœuvre du gouvernement sont de plus en plus minces. Jamais des sondages avant une grève n’avaient mis en défaut autant un gouvernement. Dans un dernier sondage Elabe, «  47% des Français, sont opposés à la réforme des retraites  » c’est 4 points de plus sur le dernier sondage. Une claque importante pour le gouvernement qui tente depuis la rentrée de « rassurer » la population sur la réforme. L’opposition de l’opinion publique à cette reforme est également de plus en plus importante chez les 25-49 ans et cela risque de s’accentuer chez les jeunes avec les perspectives de « Plan B » autour de la clause du grand-père. Pour l’heure si aucune effervescence ne peut se ressentir dans la jeunesse, le gouvernement joue avec le feu en provoquant une fois de plus la jeunesse autour d’un avenir de plus en plus sombre, entre urgence climatique, précarisation du monde du travail, sélection dans les universités et réforme du bac dont la plaie est toujours ouverte.

Un sondage qui vient après une défaite importante dans l’opinion publique autour des droits de retrait à la SNCF et 3 jours de cheminots bashing pour faire passer une nouvelle fois les cheminots pour des preneurs d’otages.

La parole gouvernementale est de plus en plus fragilisée et malgré la nouvelle tactique pour réhabiliter le dialogue social et la négociation, rien n’y fait, le gouvernement n’arrive plus à renouer avec la popularité dans les sondages du début de quinquennat, qui lui donnait la force de pouvoir réformer vite et sans compromis.

Les « bookmakers » de la politique, pariaient au début du quinquennat, sur la popularité de cette réforme du fait qu’elle ait été annoncée par Macron dans son programme. Expliquant que la grève de 1995 avait vu le jour du fait que la réforme Juppé, n’était pas dans le programme et que Chirac s’était fait élire sur la fameuse « Fracture sociale ». Pourtant aujourd’hui, l’effet annoncé n’est pas celui là et les cartes sont clairement rebattues après 2 ans de macronisme, dont une année terrible face à des gilets jaunes qui ont laissé des traces au-delà même de l’hexagone.

Sondages en berne, radicalisation à la base, appels à la grève reconductible qui se multiplient, rétropédalage et fébrilité affichée à l’aune d’une grève importante. La réforme des retraites contestée de plus en plus largement, s’avère être un véritable casse tête pour le gouvernement. Mais pire encore elle peut devenir la réforme qui va sceller définitivement le quinquennat de Macron, si l’appel à la grève à partir du 5 Décembre, renforcé par les gilets jaunes et d’autres secteurs comme la jeunesse, se transforme en une grève générale et pourquoi pas en un mouvement de masse qui dépasse l’idée même d’une simple lutte partielle contre une réforme, comme nous avons pu le connaître depuis les trois dernières décennies. La bourgeoisie le sait très bien, cette réforme peut s’avérer terrible, dans un contexte international brûlant, alors même que les stigmates des gilets jaunes sont encore présents dans les esprits à quelques jours de la date anniversaire. Les luttes au sein même de la bourgeoisie sont en train d’apparaître entre un secteur néolibéral très radical qui trouve Macron trop fragile pour réformer et une aile qui se passerait bien d’une reforme qui mettrait plus en danger l’ordre établi, qu’elle n’apporterait économiquement.

Crédit photo : © Philippe Wojazer/AP/SIPA


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