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La nouvelle mesure de Macron

Réformer et « démocratiser » la haute fonction publique pour répondre à la crise des Gilets Jaunes ?

Pour répondre à la « crise sociale », le gouvernement propose entre autres un projet de loi visant à réformer la fonction publique, avec l’ambition de nouer « un nouveau contrat social » avec les fonctionnaires. Si ce projet de loi touche à de nombreux aspects du statut de fonctionnaire, l’une des mesures annoncées prétend viser la « démocratisation » de la haute fonction publique en « ouvrant » les portes bien gardées de la formation des hauts fonctionnaires aux classes populaires. Ceci dans le but de répondre à ma crise profonde de la représentation dont les Gilets jaunes sont l’expression. Si à première vue cette mesure peut sembler progressiste, que vaut-elle réellement ?

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Crédits photos : La promotion Léopold Sédar Senghor de l’ENA en 2004, avec dans ses rangs Emmanuel Macron

La formation des élites dirigeantes françaises : un facteur central de la reproduction matérielle et idéologique de la bourgeoisie

Comme annoncé par Le Monde (https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/05/les-pistes-explosives-de-macron-pour-reformer-la-haute-fonction-publique_5446042_823448.html), le premier ministre Edouard Philippe a promis des solutions « puissantes » pour sortir de la crise des Gilets jaunes, notamment la réforme de la formation des cadres qui dirigent l’État. Il s’agit en effet de l’un des piliers de l’État, rendant possible la reproduction d’une classe dirigeante à même de maintenir l’ordre bourgeois, quelles que soient les aspirations de la population et surtout des travailleuses et des travailleurs — qui sont pourtant celles et ceux qui font tourner l’économie.

Au cœur de cette formation bien gardée, les « grandes écoles » — telles que l’ENA (École Nationale d’administration) Sciences Po Paris, Polytechnique — reposent sur une sélection sociale et économique très restreinte via tout un parcours préalablement requis et un concours d’entrée. Elles ont pour fonction de former de potentiels dirigeants, à la fois spécialistes des techniques de gouvernement et très polyvalents, et surtout déconnectés des réalités que vit la majorité de la population.

Comme le rappelle le Monde, les enfants de cadres sont six sur dix à Polytechnique et sept sur dix à l’ENA. Rien d’étonnant donc à ce que l’on se retrouve systématiquement et quelles que soient les élections avec « une caste au pouvoir » et en dernière instance avec « le président des ultra-riches » pour citer l’article et le dernier livre des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot.

Cette déconnexion des élites dirigeantes est d’ailleurs largement dénoncée par les Gilets jaunes, dont les revendications économiques et démocratiques exprimées depuis le 17 novembre sont soient ignorées soit détournées par le gouvernement - comme ce fut le cas à travers le grand débat, cet écran de fumée faussement démocratique.

Une réforme de la formation des hauts-fonctionnaires : la solution miracle ?

Dans la réforme portée par le gouvernement, d’après les sources du Monde, figurerait potentiellement des mesures de discrimination positive dans le prolongement de ce qui avait été mis en place par le directeur de Sciences Po Paris en 2011, à savoir des places réservées par un concours spécifique aux élèves issus des zones d’éducation prioritaires (ZEP), visant à diversifier le paysage social de l’école jusque là très homogène. Cette mesure, avait permis l’admission de 1929 étudiant-es issus des ZEP et le taux de boursiers était passé de 12% en 2005 à 26% en 2018.

L’ENA avait aussi créé une classe préparatoire « égalité des chances » en 2009. Cependant comme le souligne le Monde, « les enfants de milieux favorisés y restent cependant nombreux » et à l’ENA la mesure « n’a permis, en dix ans, qu’à une poignée de jeunes de rejoindre l’école ». La méthode de discrimination positive en place à Sciences Po Paris pourrait être appliquée dans « une forme expérimentale » en premier lieu à l’ENA dans les IRA (Instituts régionaux d’administration) puis éventuellement à Polytechnique, aux ENS (écoles nationales supérieures) et à l’ENM (École nationale la magistrature).

Mais la discrimination positive est-elle un gage réel d’un système plus démocratique ? En effet, ces mesures de discriminations positives annoncées par l’exécutif proposent d’ouvrir les portes de ses grandes écoles, qui font partie de ces institutions qui permettent la reproduction de l’ordre dominant actuel injuste et antagonique aux intérêts des classes populaires, à une petite partie de celles-ci – les éléments qui, individuellement, réussissent à s’en sortir le mieux. Mais la nature de ces institutions ainsi que les intérêts de classe qu’elles portent et le rôle qu’elles ont dans la société seront-elles, inchangées. Alors en quoi est ce bénéfique pour les travailleurs et les classes populaires qu’une petite proportion supplémentaire des personnes issues de leurs milieux sociaux aient accès à ces grandes écoles ? Il est évident que la crise de représentativité qui s’exprime au sein des Gilets jaunes ainsi que les aspirations démocratiques de ces derniers ne seront pas résolus par l’Etat et ses institutions.

En réalité, la volonté affichée par LREM de « donner une chance à chacun » en réformant la formation des haut fonctionnaires, et pour peu que cette mesure de discrimination positive soit réellement étendue, renvoie à une vision individualisante et méritocratique de la réussite et vise davantage à coopter une petite partie des classes populaires, en gage d’ouverture et afin de maintenir l’illusion que leur présence au sein des grandes écoles et sphères de pouvoir changera dans le futur la donne pour ces millions de personnes exploitées, opprimées et qui subissent la violence de ce système, et dont une grande partie a décidé ces derniers mois de relever la tête. Ici il s’agit en réalité pour le gouvernement de trouver une nouvelle porte de sortie à la crise qu’il traverse en faisant une concession de l’ordre du symbolique.

Par ailleurs dans le même temps, la réforme de la formation des hauts fonctionnaires vise à renforcer une « culture commune de l’État » en imposant une année commune aux différentes « grandes écoles » avant que les élèves puissent effectivement rejoindre ces dernières. Les énarques et autres diplômés des grandes écoles devront ensuite être assignés à des « corps de bases » dans lesquels ils devront faire leur preuves avant de tenter de rejoindre « les grands corps », sur le modèle de l’école militaire comme l’explique le Monde.

Ainsi les solutions « puissantes » annoncées par Edouard Philippe cachent, derrière les tentatives de manœuvres, le maintien d’un statut quo, voire de nouvelles attaques du statut de fonctionnaire si l’on regarde l’ensemble du projet de loi. Il est en réalité impossible d’imaginer un système démocratique dans cette société de classe où le pouvoir est entre les mains d’une minorité bourgeoise, toujours plus homogène dans sa formation, perpétuant l’exploitation et l’oppression d’une majorité toujours plus nombreuse et précarisée.


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