Un débat politique et historique

Kronstadt, Makhno… quelques réponses aux anarchistes à propos de Trotsky

Philippe Alcoy

Kronstadt, Makhno… quelques réponses aux anarchistes à propos de Trotsky

Philippe Alcoy

Quand le préfet de police de Paris fait de la provoc en tronquant une citation de Trotsky, pour certains militants anarchistes c’est une opportunité pour… attaquer Trotsky et le trotskysme.

Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a de nouveau défrayé la chronique. Cette fois-ci non pas pour ses méthodes dures de répression, mais pour des vœux de fin d’année très particuliers. Dans ceux-ci, il a choisi de citer le révolutionnaire russe Léon Trotsky pour justifier sa politique répressive et brutale. « Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. Sachez seulement et souvenez-vous bien que, sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables », cite donc Lallement, laissant penser que le révolutionnaire bolchévique était un fervent défenseur de « l’ordre », dans une sorte de « réalisme d’homme d’Etat » prônant « l’ordre nécessaire » face à des « gauchistes irresponsables ».

Or, la citation de Lallement fait dire à Trotsky exactement le contraire de ce qu’il écrivait à l’époque. Il s’agit tout simplement d’une falsification, c’est-à-dire de couper un texte de façon à lui faire dire ce que l’on veut, en effaçant le contexte (donné par le texte lui-même) et en évitant de donner des définitions précises des notions mises en avant. L’extrait tronqué par Lallement provient de la retranscription d’un discours de Trotsky prononcé en 1918 et publié dans un recueil de ses écrits militaires sous le titre « Les tâches intérieures et extérieures du pouvoir soviétique ». Dans ce discours datant donc du début de la guerre civile, Trotsky parle notamment de la discipline et de l’ordre révolutionnaire nécessaire pour reconstruire l’économie soviétique dévastée par des années de guerre mondiale et maintenant menacée par la guerre civile contre l’armée blanche, c’est-à-dire les soutiens de l’ordre ancien.

Surtout, le préfet Lallement oublie de citer la phrase qui précède : « Étant donné cette différence essentielle entre le régime de la République Soviétique et la monarchie nobiliaire… ». Autrement dit, ces quelques mots omis par le préfet sont fondamentaux car ils posent la question de l’ordre social dont on parle. Ici c’est clairement un ordre révolutionnaire opposé à l’ordre de la monarchie et par extension à l’ordre des capitalistes et de la bourgeoisie impérialiste que défend le actuellement Didier Lallement. Dans le paragraphe qui précède la citation tronquée par Lallement, Trotsky est encore plus explicite : « La situation grave du pays nous impose la nécessité de modifier l’état d’esprit et la conscience de l’ouvrier et du paysan. Ils doivent bien comprendre qu’à l’heure actuelle la question n’est pas de défendre les intérêts des travailleurs contre la bourgeoisie. Puisque nous détenons le pouvoir, le problème consiste à organiser nous-mêmes l’économie dans l’intérêt du peuple tout entier. Par conséquent, il faut instaurer la discipline du travail dans les usines, dans les fabriques, partout. Mais qu’est-ce que la discipline du travail ? La discipline du travail, c’est la discipline révolutionnaire, c’est l’ordre sous lequel chacun comprend que, pour que la classe ouvrière reste au pouvoir et reconstruise toute l’économie, pour que nous ne nous coulions pas mais que nous montions très haut, pour que le pays vainque la ruine, il faut que chacun fasse un travail honnête à son poste (…) Notre conscience doit nous suggérer que notre Russie Soviétique, notre république ouvrière et paysanne est une immense famille fraternelle et travailleuse. Si un seul de ses membres paresse, gaspille inutilement les matières premières, néglige son travail et ses outils, détériore les machines par inattention ou mauvaise volonté, il cause un préjudice à toute la classe ouvrière, à l’ensemble de la Russie Soviétique et, en fin de compte, à la classe ouvrière du monde entier. Encore une fois, j’affirme qu’instaurer immédiatement la discipline du travail, un ordre sévère, est une affaire de première nécessité ».

Si nous citons Trotsky ici in extenso c’est pour démontrer à quel point la manœuvre de Lallement relève non seulement des pires méthodes de falsification, ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui une très grosse fake news, mais aussi de la provocation. Car en utilisant des paroles de Trotsky, vidées de leur contenu réel pour justifier sa politique répressive, ce haut fonctionnaire de l’appareil policier de l’Etat impérialiste français se moque de l’ensemble des militants et militantes du mouvement ouvrier, des militants politiques et syndicaux, associatifs, de tous ceux et celles qui se battent contre ce gouvernement au service des patrons.

Une telle provocation du préfet n’a pas échappé à grand monde et elle a déjà été dénoncée (nous l’avons déjà fait ici). Dans cet article, nous voulons plutôt discuter certaines réactions surprenantes venues de milieux se revendiquant libertaires. En effet, notre surprise et étonnement a été grande en lisant certains posts sur les réseaux sociaux suite aux vœux du préfet. Ainsi, le site Nantes Révoltée a publié un « retour historique » intitulé « POURQUOI LE PRÉFET LALLEMENT CITE LÉON TROTSKY POUR LA NOUVELLE ANNÉE ? ». De son côté le collectif Désarmons-les a publié un autre petit post sur sa page Facebook intitulé « QUAND LE PRÉFET DE POLICE CITE UN TUEUR D’ANARCHISTES » (ni plus ni moins). Les deux prises de positions, très proches dans leurs arguments, ont un point en commun : il s’agit de textes complètement à charge contre Trotsky (et le trotskisme), renvoyant dos à dos le préfet de police et le révolutionnaire russe. Une position plus que surprenante et qui nous semble erronée.

Ainsi, dans le court texte de Nantes Révoltée, qui prétend faire « un peu d’histoire », on cite un nombre de méfaits et supposés crimes de Trotsky contre les anarchistes pendant la guerre civile russe (1918-1921) ; des faits donnés comme des vérités absolues et validés par des archives qui ne sont à aucun moment cités, faisant des définitions caricaturales (et donc peu sérieuses) sur le caractère de la politique bolchevique de l’époque et surtout en omettant des faits fondamentaux pour comprendre la complexité des évènements cités. Le tout pour arriver à la conclusion que « finalement, en période de chasse aux "black blocs" et à "l’ultra-gauche", le Préfet Lallement n’est pas tellement hors sujet lorsqu’il recycle sa citation sur « l’ordre nécessaire » ». De leur côté, les membres de Désarmons-les, sont plus directs et crus, et leurs affirmations plus vides encore : « citer Trotsky, c’est avant tout citer un type qui, pour maintenir l’ordre autoritaire des bolcheviks, a fait assassiner nombre d’anarchistes. En citant Trotsky (…) Lallement se place définitivement dans le camp de l’ordre totalitaire et de la violence hégémonique de l’Etat, quitte à évoquer avec humour un assassin patenté de la liberté  » (souligné par nous).

Autrement dit, ces militants se revendiquant anarchistes/libertaires non seulement à aucun moment dénoncent la falsification opérée par Lallement mais tombent dans le piège d’une provocation réactionnaire. Ainsi, à travers de caricatures et d’évènements historiques exposés de façon partielle et superficielle, ils prennent une position équidistante entre un haut représentant de l’Etat impérialiste français et l’un des principaux dirigeants de la révolution russe d’Octobre 1917. Cette position nous semble complètement erronée et échappe à une logique de classe.

Cependant, ce qui nous semble le plus erroné de la part de ces camarades c’est leur réaction en soi face à la provocation de Lallement. Ce dernier a falsifié une citation de Trotsky pour donner de la légitimité à sa politique de répression. Une provocation donc. C’est en ce sens que notre réponse doit être intransigeante et tout d’abord de dénoncer cette falsification et cette provocation. S’appuyer sur cette provocation pour s’attaquer à Trotsky et espérer renforcer ses propres positions politiques, c’est la pire des réponses de la part de camarades qui se revendiquent du camp de la révolution et de la lutte contre le système capitaliste.

Face à la provocation et à la répression de l’Etat capitaliste, nous devons serrer nos rangs, répondre par l’unité d’action contre les oppresseurs et exploiteurs. C’est en ce sens que depuis des années chez Révolution Permanente nous prenons systématiquement position en défense des militants et militantes de tous les courants du mouvement ouvrier face à la répression étatique. Et cela au-delà de nos différences politiques, tactiques et stratégiques, qui parfois sont très importantes. Aujourd’hui face à la provocation de Lallement, nous affirmons encore plus que nous continuerons à défendre l’ensemble des militants et militantes du mouvement ouvrier et social face à la répression, aux calomnies et aux provocations de l’Etat.

Cependant, nous voudrions également faire un détour historique afin d’apporter certaines réponses aux affirmations sur Trotsky et son rôle historique des camarades de Nantes Révoltée et de Désarmons-les qui nous semblent non seulement superficielles mais fausses. Nous essayerons d’exposer les faits évoqués et de montrer leur complexité. Cela s’inscrit bien sûr dans le cadre de plusieurs discussions et débats historiques, politiques et stratégiques entre nos courants historiques.

Guerre civile, révoltes paysannes et anarchisme

L’axe principal abordé par ces camarades anarchistes pour attaquer Trotsky c’est son rôle en tant que chef de l’armée rouge pendant la guerre civile qui a suivi la révolution de 1917 et la suppression de différentes révoltes paysannes contre le pouvoir soviétique. L’idée sur laquelle ils s’appuient est celle d’affirmer qu’il existe une continuité logique entre l’URSS de Lénine et Trotsky et le régime bureaucratique de Staline imposé au milieu des années 1920, berçant dans une lecture superficielle des causes de la dégénérescence de l’URSS et du parti bolchevique. Nous ne pouvons pas ici revenir en détail sur le processus très complexe qu’a été la guerre civile russe, mais nous allons essayer de donner quelques éléments pour répondre à certains arguments qui nous semblent partiels, incomplets, superficiels ou tout simplement faux sur les évènements évoqués.

Les principaux évènements auxquels se réfèrent les camarades de Nantes Révoltée sont ceux du mouvement makhnoviste en Ukraine, de la révolte des marins de Kronstadt et de celle de Tambov. Dans le texte des camarades, ces trois mouvements contestataires d’opposition au gouvernement soviétique sont présentés comme des « révoltes anarchistes ». Ainsi, ils seraient l’expression de la lutte entre « ceux qui souhaitent imposer un communisme autoritaire, sous l’égide d’un Etat centralisé, et les communistes libertaires, qui veulent combiner égalité et liberté : les anarchistes ». Le ton est ainsi donné sur une traditionnelle simplification et caricature que certains courants anarchistes et libertaires font présentant les marxistes (en général) comme des « manipulateurs sanguinaires » et les anarchistes comme les « vrais combattants pour la liberté ».

Non seulement cette lecture de l’histoire est partiale et largement romancée, mais elle est fausse. Les mouvements présentés dans le texte des camarades comme des « révoltes anarchistes » sont en réalité assez différents les uns des autres malgré certains points en commun et influences politiques communes. Ces révoltes étaient liées directement à la situation dans les campagnes russes au cours de la guerre civile et de la guerre contre 14 armées étrangères qui cherchaient à renverser le pouvoir bolchevique.

Les difficultés de la période de guerre civile obligent le gouvernement soviétique à appliquer une politique de réquisition de la production agricole afin d’alimenter les soldats du front et les villes dont la production était entièrement consacrée à satisfaire les besoins de la défense militaire de la révolution. La pauvreté du pays et la situation de conflit armé créait en outre une situation où la ville n’avait rien à offrir à la campagne. De plus en plus ces réquisitions étaient perçues comme injustes. Et parfois elles l’étaient. A cela il faut ajouter des méthodes pouvant être arbitraires appliquées par des agents chargés des réquisitions. Comme l’expliquait un responsable du parti Bolchevique de Tambov à l’époque par rapport aux raisons de la révolte paysanne dans cette région : « Les méthodes maladroites, cruelles de la Tchéka [police politique] provinciale lors de la répression (…) les mesures dépourvues de tact à l’égard de la paysannerie hésitante émurent la masse et donnèrent des résultats négatifs contraires à leur but (…) S’en tenant à leur point de vue étroit du ravitaillement, ils n’ont appliqué tous leurs efforts qu’à exécuter intégralement la réquisition coûte que coûte, souvent sans faire la distinction nécessaire entre le koulak et le paysan pauvre, et en abusant des larges pouvoirs qui leur étaient conférés et des mesures extraordinaires ».

De cette façon, ces mesures exceptionnelles prises par les Bolcheviques pour faire face à la guerre contre la réaction blanche et l’agression des puissances impérialistes (qui ont arrêté leur guerre pour se battre contre le jeune Etat soviétique) étaient en train de miner l’un des piliers de la révolution : l’alliance ouvrière-paysanne. C’est en ce sens que le caractère « anarchiste » de ces révoltes était discutable. Il s’agissait avant tout de révoltes paysannes que différents courants politiques essayaient d’influencer et de diriger (et parfois ils le faisaient effectivement) : des anarchistes mais aussi des socialistes-révolutionnaires de droite et de gauche, des menchéviques, mais aussi des Blancs. Bien qu’il y ait eu à la base de ces mouvements des paysans pauvres, il est faux de faire l’économie de l’analyse de la composition sociale de certaines révoltes. Souvent il arrivait qu’à la tête de la contestation se plaçaient des paysans aisés et moyens ; d’autres fois les anciens grands propriétaires tentaient de s’allier de façon démagogique à ces paysans mais immédiatement après quelques succès obtenus contre le pouvoir bolchevique, les agents des grands propriétaires fonciers retournaient les terres aux anciens propriétaires. Cela a rendu presque impossible pour les Blancs de s’allier durablement et directement à ces mouvements paysans.

Comme on peut le voir, la question des révoltes paysannes était beaucoup plus complexe que ce que les camarades de Nantes Révoltée veulent la présenter. Elles répondaient à la situation économique et sociale catastrophique d’une URSS dévastée. Dans leur court texte, les camarades semblent être plus préoccupés à « défoncer » Trotsky et la politique bolchevique que d’offrir un minimum d’un aperçu sur la complexité et les contradictions des évènements. En outre, les anarchistes étaient loin d’être les seuls à influencer les paysans, et l’idéologie même de ces secteurs paysans était assez confuse. Certains de ces mouvements étaient même ouvertement anti-communistes et pour le retour du capital russe et étranger dans les villes, comme nous le verrons plus bas.

Makhno et le mouvement makhnoviste

La pierre angulaire de ces révoltes donc était la situation dans les campagnes et non une lutte pour un quelconque projet anarchiste en soi. Mais dans ce mouvement paysan le dirigeant se réclamant de l’anarchisme le plus célèbre a été sans aucun doute Nestor Makhno. Celui-ci avait fondé un mouvement « d’armées vertes » en Ukraine qui se battaient aussi bien contre les Blancs que contre l’Armée rouge au nom du rejet de tout pouvoir et tout Etat afin d’édifier tout de suite une société libre de petits propriétaires paysans, sans Etat ni pouvoir. Il s’agissait là d’un exemple supplémentaire de la divergence entre anarchistes et marxistes sur la nécessité d’une période de transition entre le capitalisme et le communisme, du besoin de créer un Etat ouvrier centralisé capable de mener cette transition vers le socialisme. Mais cette fois-ci avec des conséquences directes et concrètes sur la réalité d’un pays qui venait de vivre une révolution instaurant le premier Etat ouvrier de l’histoire. Cependant, ce projet anarchiste, qui puisait largement son imaginaire des vieux mouvements paysans russes, rentrait continuellement en contradiction avec la réalité de la féroce guerre entre la révolution et la contre-révolution. Ainsi, les armées vertes de Makhno ont dû s’allier très souvent à l’Armée rouge contre les Blancs, montrant à sa manière qu’il n’y avait pas de chemin intermédiaire entre ces deux forces sociales.

Le projet politique même donnait à l’armée de Makhno un caractère éminemment localiste et par là limité. Comme l’explique l’historien Jean-Jacques Marie dans un texte consacré au dirigeant anarchiste : « Le point fort de cette armée paysanne typique, baignant dans la population locale, est aussi son point faible : ses soldats veulent défendre leur izba, leur champ, leur village, leur canton, leur district, mais ils ne veulent pas aller au-delà. Ils répugnent à s’éloigner de leurs bases. En cas de revers, ils ne veulent même pas s’enfuir au-delà et viennent se réfugier au milieu de leurs familles ou de leurs voisins. Même si Makhno, lui réellement frotté d’anarchisme, enrobe ces soucis d’un vocabulaire politique, les soucis de la grande majorité de ses troupes sont purement locaux » (Cahiers du Mouvement Ouvrier, N°51).

Loin de certaines caricatures construites à posteriori, Makhno n’a pas toujours eu une attitude hostile à l’égard des Bolcheviques. Au contraire, en 1918 il rencontre Lénine au Kremlin. Dans un texte, il raconte cette rencontre, où l’on voit des points de divergence avec les bolcheviques, mais également une certaine admiration de la part du dirigeant anarchiste : « J’avais en face de moi un homme avec qui il aurait fallu parler de beaucoup de choses, auprès duquel il y avait beaucoup à apprendre ». Les Bolcheviks, à la demande de Lénine, vont ensuite aider Makhno à regagner l’Ukraine (à l’époque contrôlée par l’Allemagne) clandestinement. Cependant, au plus fort du mouvement makhnoviste au milieu de l’année 1919 (souvent au détriment de l’Armée rouge), les Blancs, dirigés par le général réactionnaire Denikine, font une percée importante à travers le territoire ukrainien contrôlé par les makhnovistes. Makhno est alors obligé de faire une alliance de fait avec les Bolcheviques et ensemble font reculer les troupes contre-révolutionnaires. Dans leur retrait, les troupes de Denikine infligent une défaite importante aux makhnovistes à Yekaterinoslavka ; les makhnovistes en sortent affaiblis. L’Armée rouge demande alors à Makhno de diriger ses troupes vers la frontière polonaise face à une invasion imminente des contre-révolutionnaires, mais celui-ci attaché à sa politique d’hostilité à l’égard des Bolcheviques et de localisme refuse et les frictions entre les deux armées deviendront de plus en plus fortes. Makhno et les Bolcheviques mènent alors un dernier combat ensemble contre les troupes de général Wrangel. Pour Jean-Jacques Marie, « cette défaite semble marquer la fin de la guerre civile. Moscou ne veut pas alors laisser au cœur de l’Ukraine à reconstruire une armée insurrectionnelle de partisans de près de 20 000 hommes, au comportement imprévisible ». Makhno refuse d’intégrer ses troupes dans l’Armée rouge. Le conflit armé entre les deux armées devient ouvert et l’Armée rouge réussi à vaincre les makhnovistes. Makhno réussi cependant à s’échapper en Roumanie, puis en Pologne et finalement en France où il meurt en 1934 de tuberculose.

Comme on voit, loin de la lecture unilatérale faite par certains anarchistes, l’histoire de la révolte paysanne en Ukraine et l’affrontement entre les makhnovistes et les Bolcheviques reflète avant tout deux projets politiques différents qui entrent en contradiction au cours de la guerre civile, sans que cela les ait empêché de faire front à des moments précis contre la réaction blanche. Makhno s’érige à la tête d’une armée paysanne et envisage de mettre au centre le village contre la ville. Pour mettre sur pied son projet d’union libre de producteurs, au milieu d’une féroce guerre civile, il n’hésite pas à attaquer militairement l’Armée rouge. Cela dément également la lecture unilatérale sur les supposés massacres des Bolcheviques et de Trotsky en particulier qui était le chef de l’Armée rouge.

Nous pourrions débattre sur le fait de savoir si oui (ou non), et dans quelles conditions, un accord pacifique aurait pu être trouvé entre le gouvernement soviétique et les makhnovistes ; sur le fait de savoir si le projet makhnoviste pouvait garantir la défense de l’Etat soviétique face à la contre-révolution ou au contraire si cela n’allait pas devenir un atout pour les Blancs malgré les intentions réelles des makhnovistes. Cependant, ce qui est sûr c’est qu’on est loin du récit totalement mythifié qu’en font certains libertaires ou anarchistes de ces évènements, où d’un côté on aurait des « rouges sanguinaires » et de l’autre des « gentils anarchistes combattant pour la liberté ».

Kronstadt, le mythe et la tragédie

Les autres deux révoltes évoquées par le texte de Nantes Révoltée sont celles de Kronstadt et de Tambov. Le second évènement est moins connu mais le premier est devenu un symbole de l’anti-trotskisme, un vrai mythe pour une grande partie du milieu libertaire et anarchiste. Kronstadt était un fort sur une île située juste en face de Petrograd et connectée à cette ville en hiver par une passerelle de glace. Les marins de Kronstadt étaient devenus célèbres car en 1917 ils avaient joué un rôle très important dans le renversement de l’ancien régime. En mars 1921 une révolte éclate à Kronstadt contre le pouvoir central, revendiquant entre autres « les soviets sans les communistes ». Quelques jours plus tard l’Armée rouge lance une forte répression pour mettre fin à la révolte. Ainsi, la révolte de Kronstadt est présentée comme le « symbole clair » du caractère totalitaire du pouvoir bolchevique. Or, cet évènement mérite d’être analysé d’un peu plus près.

Premièrement, il y a un argument mis en avant par certains : à Kronstadt les Bolcheviques ont réprimé ceux qui les ont aidés à prendre le pouvoir. Sur cette question les études menées à la suite de l’ouverture partielle des archives, montrent qu’une partie de la garnison de Kronstadt en 1921 n’était pas la même qu’en 1917. En effet, une partie importante des marins de Kronstadt de 1917 étaient partis se battre au front et le personnel s’était largement renouvelé, notamment par des individus issus des campagnes révoltés en Ukraine. Parfois il s’agissait d’ex-combattants makhnovistes, d’autres fois même d’ex-sympathisants et combattants des armées blanches. Quoi qu’il en soit, cela nous amène à nous poser la question sur les origines de cette révolte. Comme cette composition sociale l’indique, elle est directement liée à la situation dans les campagnes : Kronstadt est une expression supplémentaire du mécontentement de la paysannerie.

Ensuite nous devons indiquer l’importance de cette forteresse pour la défense de Petrograd, et donc pour la survie de la révolution et le danger contre-révolutionnaire que représentait la perte du contrôle de ce fort. Les Bolcheviques craignaient ainsi qu’avec l’arrivée du printemps et le dégel de la passerelle reliant le continent à l’île, elle ne serve de base pour la contre-révolution. Les Bolcheviques avaient déjà des éléments pour faire des hypothèses dans le sens de mouvements de la contre-révolution, les études de certains historiens ont trouvé des preuves allant en ce sens. C’est le cas de l’historien anarchiste, et dont la sympathie est loin d’aller à la faveur des Bolcheviques, Paul Avrich qui dans son livre sur la rébellion de Kronstadt publié au milieu des années 1970 affirme : « En ce qui concerne les activités du Centre national [organisation des contre-révolutionnaires russes basée à Paris], il existe dans les archives de cette organisation un manuscrit non signé portant la mention "Très secret" et intitulé "Mémorandum sur la question de l’organisation d’un soulèvement à Cronstadt". Le mémorandum est daté de "1921" et présente un plan détaillé à mettre en œuvre à terme dans le cadre d’une rébellion prévue à Cronstadt. À en juger par les preuves qu’il contient, il est clair que le plan a été élaboré en janvier ou début février 1921 par un agent du Centre situé à Viborg ou Helsingfors. Il prédit qu’il y aura un soulèvement des marins au cours du "printemps prochain". Il y a "des signes abondants et évidents" de mécontentement à l’égard des Bolcheviks, écrit l’agent, et si "un petit groupe de personnes, par une action rapide et décisive, prenait le pouvoir à Cronstadt", le reste de la flotte et la garnison suivraient avec enthousiasme. "Parmi les marins", ajoute-t-il, "un tel groupe était déjà formé, prêt et désireux de prendre les mesures les plus énergiques". Et si un soutien extérieur était obtenu, conclut-il, "le succès complet du soulèvement pourrait être escompté". (...) Il existe des preuves indéniables (...) que le Comité révolutionnaire [direction de la révolte] est parvenu à un accord avec le Centre [national] après la répression de la rébellion et que certains de ses membres ont trouvé refuge en Finlande, et on ne peut exclure la possibilité qu’il s’agissait là de la poursuite d’une relation de longue date ».

Evidemment, cela ne veut pas dire que la révolte a été déclenchée par des éléments contre-révolutionnaires, ni même que tous les révoltés étaient des contre-révolutionnaires, mais bien que les émigrés russes de la main de l’impérialisme, français notamment, étaient en train de conspirer et probablement ils avaient réussi à infiltrer et influencer la direction de la révolte. De ce point de vue, malgré les négociations, les bolcheviques ont été obligés de lancer l’offensive au moment où la glace commençait à fondre.

Ainsi, la répression de la révolte de Kronstadt répondait surtout à des impératifs militaires de défense. Mais les Bolcheviques étaient déjà sur la route d’une réponse politique et économique aux différentes révoltes paysannes, ce qui s’est traduit par l’adoption de la NEP (Nouvelle Politique Economique) qui allait permettre aux paysans de vendre une partie de leur production et de payer en nature un impôt à l’Etat. La NEP a en effet soulagé largement la situation à la campagne mais d’autre part elle a permis le renforcement de secteurs aisés de la paysannerie qui vont s’enrichir de plus en plus avec l’arrivée de Staline au pouvoir. Tout cela montre la complexité du processus révolutionnaire en cours et son caractère contradictoire en permanence.

Quoi qu’il en soit, à Kronstadt (comme dans le cas des makhnovistes), nous voyons que le tableau était beaucoup moins idyllique que présenté par certains mythes anarchistes. C’est d’ailleurs ce que P. Avrich affirme dans la préface de son livre : « Les bolcheviks étaient confrontés à une mutinerie dans leur propre marine, au point d’avancée le plus stratégique, gardant l’accès depuis l’extérieur de Petrograd, et ils craignaient que Kronstadt n’allume l’étincelle sur le continent russe ou ne devienne le tremplin d’une nouvelle invasion anti-soviétique. Il est de plus en plus évident que les émigrés russes tentent de contribuer à l’insurrection et de l’exploiter à leur propre profit (...) Il faut replacer Kronstadt dans un contexte plus large d’événements politiques et sociaux, car la révolte s’inscrit dans une crise plus vaste qui caractérise le passage du communisme de guerre à la nouvelle politique économique, une crise que Lénine considérait comme la plus grave qu’il ait connue depuis son arrivée au pouvoir (...) Kronstadt présente une situation dans laquelle l’historien peut sympathiser avec les rebelles et concéder, cependant, que les bolcheviks étaient justifiés de les soumettre. Reconnaître ce fait, c’est vraiment saisir toute la tragédie de Cronstadt ».

Tambov, la contre-révolution à la manœuvre

Nous arrivons ici à la révolte de Tambov, l’autre grande soi-disant « prouesse anarchiste » écrasée par les Bolcheviques. A Tambov la révolte paysanne répond aux mêmes sources que les autres contestations rurales : la situation à la campagne et l’opposition aux réquisitions. Comme nous le disions plus haut, certaines actions arbitraires de la part des agents chargés des réquisitions ne faisaient que renforcer le mécontentement paysan les jetant dans les bras des leaders rebelles. Mais la révolte de Tambov à la différence des makhnovistes et de Kronstadt était ouvertement dirigée par des forces qui étaient passées du côté de la contre-révolution : les socialistes-révolutionnaires (S-R) de droite, même si les S-R de gauche tentaient d’y jouer un rôle aussi.

Même si comme nous l’avons vu dans le cas de Kronstadt le rôle de la contre-révolution était ambigu dans la direction de la révolte, la base populaire ne permettait pas que des revendications ouvertement restaurationnistes et bourgeoises soient mises en avant. Or, dans le cas de Tambov il en allait tout autrement. Ainsi, dans le programme de l’Union de la Paysannerie laborieuse, organe dirigeant de la révolte, paru en décembre 1920 on peut lire, entre autres, les revendications suivantes : « L’égalité de tous les citoyens, sans les diviser en classes ; la cessation de la guerre civile et l’instauration d’une vie pacifique ; tout le concours possible à l’instauration d’une paix durable avec toutes les puissance étrangères ; la convocation d’une Assemblée constituante selon le principe du suffrage universel égal, direct et secret, sans préjuger sa volonté dans le choix du régime politique, en conservant aux électeurs le droit de révoquer leurs représentants qui ne remplissent pas la volonté du peuple (…) La dénationalisation partielle des fabriques et des usines (…) L’admission du capital russe et étranger pour le rétablissement de la vie productive et économique du pays ; le rétablissement immédiat des relations politiques, commerciales et économiques avec les puissances étrangères… ».

De leur côté les S-R dits « de gauche » présentaient un projet de programme avec des revendications générales et vagues mais dont une était fondamentale : « La direction provisoire de l’Etat doit passer au comité révolutionnaire de l’Union de la paysannerie laborieuse ». Autrement dit, le pouvoir devait passer entre les mains de la même organisation qui était en train de prôner la « dénationalisation » de certaines entreprises, le retour du capital russe et étranger et la paix avec les puissances impérialistes coalisées pour le renversement du régime soviétique. Si les autres révoltes tentaient de garder une rhétorique « révolutionnaire », ici nous voyons que le langage adopté est complètement réactionnaire et contre-révolutionnaire. Qu’est-ce que des anarchistes peuvent-ils bien revendiquer de ce mouvement, c’est un mystère…

A ce caractère ouvertement contre-révolutionnaire du mouvement à Tambov il faut ajouter la violence que ses combattants, organisés en bandes de maquis, ont montré à l’égard des militants communistes. Par ailleurs, ce mouvement (mais ce n’était pas le seul) s’acharnait à détruire les coopératives agricoles mises en pied par le pouvoir central ainsi que tous les organes politiques soviétiques, comme les soviets eux-mêmes. Et comme si cela ne suffisait pas, Tambov a été l’un des mouvements les plus ouvertement antisémites (même si les makhnovistes ont aussi fait preuve d’antisémitisme). Dans un tract à l’adresse des soldats de l’Armée rouge, l’Union de la Paysannerie laborieuse écrit : « Ne les croyez pas [les Bolcheviques], ces coquins, car ils mentent impudemment et sans conscience, comme un youpin pour un kopeck de bénéfice ».

La révolte de Tambov a été négligée par le pouvoir central pendant longtemps, entre autres, parce que le gouvernement soviétique était concentré sur une ligne de front de près de 8 000 kilomètres et inquiet par les révoltes paysannes en Ukraine. Cela et d’autres facteurs comme une mauvaise appréciation par les autorités locales du parti Bolchevique, ont permis que cette révolte prenne des proportions importantes permettant à la réaction de lever la tête au cœur de l’Etat soviétique, avant d’être finalement écrasée.

Et Trotsky dans tout cela ?

Nous avons essayé d’apporter brièvement des éléments et des arguments afin de réfuter une certaine lecture superficielle, partiale et fausse de certains récits anarchistes sur la guerre civile russe. Ces récits mythifiés non seulement ne correspondent pas tout à fait à la réalité historique objective mais souvent ils omettent des éléments déterminants qui permettent de comprendre le contexte et la complexité des évènements cités. Evidemment, cela n’efface pas les débats politiques et stratégiques que l’on peut avoir avec différents courants du mouvement ouvrier comme l’anarchisme.

Cependant, après avoir analysé de façon un peu plus détaillée les révoltes paysannes présentées par certains courants comme des « révoltes anarchistes », on peut se demander pourquoi ces camarades s’acharnent à pointer particulièrement Trotsky, plus que Lénine ou les autres dirigeants bolcheviques. Car en réalité les arguments de ces camarades anarchistes se dirigent contre la politique bolchevique en général. Plus encore, la répression de la révolte de Kronstadt est particulièrement présentée comme un « crime » de Trotsky. Or, comme les preuves et les dires de Trotsky lui-même le montrent, aussi bien dans la conduction militaire que sur la répression qui a suivi, Trotsky n’a pas eu de rôle direct.

Trotsky n’a jamais cherché à éluder sa responsabilité politique générale en tant que haut responsable du gouvernement soviétique sur la nécessité de mettre fin à la révolte de Kronstadt. Ainsi, dans un court texte de 1938 il écrit : « Je n’ai jamais parlé de cette question. Non que j’aie quoi que ce soit à cacher, mais au contraire, précisément parce que je n’avais rien à dire. La vérité sur cette question, c’est que, personnellement, je n’ai nullement participé à l’écrasement de l’insurrection de Cronstadt, ni à la répression qui suivit. Ce fait, réel, n’a aucune signification politique à mes yeux. J’étais membre du gouvernement, je considérais comme nécessaire la liquidation de cette révolte, et je porte donc la responsabilité de sa suppression. Jusqu’à présent, je n’ai répondu à la critique que dans ces limites. Mais, lorsque les moralistes commencent à m’attaquer personnellement, m’accusant de cruauté excessive non nécessitée par les circonstances, je considère que j’ai le droit de leur dire : « Messieurs les moralistes, vous mentez un peu ! » ». Et plus loin il ajoute : « je suis prêt à reconnaître que la guerre civile n’est pas une école d’humanité. Les idéalistes et les pacifistes accusent toujours la révolution de commettre des « excès ». Mais le point capital est que ces « excès » découlent de la nature même de la révolution, laquelle n’est en elle-même qu’un « excès » de l’histoire. Celui qui le désire peut rejeter sur cette base (dans de petits articles) la révolution en général. Je ne la rejette pas. Dans ce sens, je prends la pleine et entière responsabilité de la répression de la révolte de Cronstadt ».

Comme nous l’avons vu, la révolte de Kronstadt représentait un danger objectif pour l’Etat soviétique et donc pour ses acquis, dont la distribution de la terre aux paysans. C’est cela qui rendait nécessaire d’y mettre fin avant qu’il ne soit trop tard. Malgré le fait de n’avoir pris aucune part directe dans la répression de la révolte, c’est sur cette nécessité que Trotsky assume sa responsabilité. Mais la question qui reste dans l’air encore c’est : pourquoi Trotsky ? Pourquoi certains anarchistes ont construit un mythe autour de Kronstadt comme exemple d’un « crime de Trotsky » ? Et cela d’autant plus que la campagne visant à lier la répression de Kronstadt directement à Trotsky se déclenche très fortement à la fin des années 1930, presque 20 ans plus tard !

Dans un autre texte de 1938, Trotsky explique qu’il y avait un véritable « front populaire » d’accusateurs allant des anarchistes jusqu’à la contre-révolution bourgeoise et faisait la réflexion suivante : « Comment l’insurrection de Cronstadt peut-elle être à la fois si chère au cœur des anarchistes, des mencheviks et des contre-révolutionnaires libéraux ? La réponse est simple : tous ces groupes ont intérêt à discréditer l’unique courant révolutionnaire qui n’ait jamais renié son drapeau, qui ne se soit jamais compromis avec l’ennemi, et qui soit le seul à représenter l’avenir. C’est pourquoi il y a parmi les accusateurs attardés de mon « crime » de Cronstadt tellement d’anciens révolutionnaires, ou d’anciens demi-révolutionnaires, de gens qui jugent nécessaire de détourner l’attention des abjections de la IIIe Internationale ou de la trahison des anarchistes espagnols. Les staliniens ne peuvent pas encore se joindre ouvertement à la campagne autour de Cronstadt, mais à coup sûr ils se frottent les mains de satisfaction ».

De cette façon, Trotsky liait cette campagne de falsification historique et de mythification aux évènements en cours en Espagne où les dirigeants anarchistes entrés au gouvernement bourgeois du Front Populaire étaient devenus la caution de gauche pour un gouvernement qui fusillait les combattants ouvriers et paysans. L’attaque contre la figure de Trotsky et le trotskisme était fondamentale pour discréditer un courant et un dirigeant révolutionnaire qui pourrait devenir une alternative pour les ouvriers en lutte non seulement en Espagne mais à travers un monde qui se préparait à déclencher une nouvelle guerre mondiale. A ce propos dans le même article Trotsky disait : « Le gouvernement de « Front populaire » étrangle la révolution socialiste et fusille les révolutionnaires : les anarchistes participent à ce gouvernement et, quand on les chasse, ils continuent à soutenir les bourreaux. Et leurs avocats et alliés étrangers s’occupent pendant ce temps de défendre... la rébellion de Cronstadt contre les féroces bolcheviks ».

Bien sûr, cela ne veut pas dire que les camarades anarchistes qui aujourd’hui entretiennent ce discours soient des traitres potentiels à notre classe. Cependant, en véhiculant ces mythes par ignorance (dans le meilleur des cas) ou par mauvaise foi (dans le pire des cas), ils entretiennent la confusion parmi les nouvelles générations militantes. Et pire encore, ils participent à la campagne réactionnaire présentant Staline comme une continuité logique de la politique de Lénine et Trotsky ; un discours complètement superficiel et contre-révolutionnaire fondamental pour la bourgeoisie pour maintenir éloignés des idées communistes révolutionnaires les éléments les plus conscients de la classe ouvrière et de la jeunesse.

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