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Casseurs de grève

Restrictions au droit de grève : pourquoi le gouvernement veut-il s’inspirer du modèle italien ?

Ces dernières semaines, la droite et le gouvernement ont multiplié les déclarations affichant leur intention de restreindre le droit de grève et de s’inspirer du modèle italien, très restrictif. Interdiction du droit de grève pendant les vacances, préavis extrêmement longs : des mesures visant à empêcher les grèves dirigées par la base de travailleurs, les seules à même de faire plier des gouvernements.

Enora Lorita


et Camille Tesga

9 février 2023

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Crédits photo : AFP

Ces dernières semaines, la droite et le gouvernement ont multiplié les déclarations affichant leur intention de restreindre le droit de grève et de s’inspirer du modèle italien, très restrictif. Interdiction du droit de grève pendant les vacances, préavis extrêmement longs : des mesures visant à empêcher les grèves dirigées par la base de travailleurs, les seules à même de faire plier des gouvernements.

Vers la préparation d’une loi restreignant le droit de grève en France ?

En quelques jours, plusieurs membres du gouvernement et de la droite ont successivement évoqué la possibilité de restreindre le droit de grève. Des déclarations faites sous couvert de la rhétorique habituelle anti-grévistes : « preneurs d’otages », « semeurs de pagailles », « chaos » etc. Un vocabulaire des plus ironiques de la part d’un gouvernement qui tente d’imposer une réforme des retraites que 93% des actifs rejettent. Dernière actualité : la députée Véronique Besse a annoncé début février avoir déposé un projet de loi visant à interdire les grèves dans les transports pendant les vacances scolaires.

Avant la première date de mobilisation contre la réforme des retraites, c’est Aurore Bergé qui a annoncé la couleur affirmant que si les blocages étaient trop importants, notamment dans les transports, le gouvernement n’hésiterait pas à faire évoluer la loi. A la veille du 19 janvier, Macron lui-même, en conseil des Ministres, avait appelé à « dénoncer les tentatives de blocage du pays ». Le même jour, Valérie Pécresse avait demandé au Parlement d’engager la réécriture de la loi sur le service minimum en vue des Jeux Olympiques pour imposer « 100% du service garanti aux heures de pointe », c’est-à-dire rendre la grève absolument inefficiente. Xavier Bertrand a quant à lui expliqué vouloir en finir avec le droit de grève pendant les vacances. Dans le même temps, Olivier Véran appelait à ne pas confondre « droit de grève avec blocage ». Pourtant, le droit de grève est précisément un des droits les plus élémentaires et fondamentaux des travailleurs : celui de cesser le travail pour lutter et donc de bloquer l’économie pour instaurer un rapport de force.

En décembre dernier, Olivier Véran avait déjà, face à la grève à la base des contrôleurs de la SNCF pendant les vacances scolaires, affirmé : « Le président de la République a évoqué la nécessité pour l’avenir de tenir compte de ce nouveau type de mouvement de grève qui échappe au dialogue social ». Car il s’agit de ça : face à une crise de confiance très importante de la base des travailleurs contre les directions syndicales, dont le visage traître est révélé au grand jour à chaque nouvelle mobilisation, le gouvernement veut réformer en vue des grandes contestations sociales à venir. Le modèle italien, extrêmement restrictif, est agité comme exemple : mais qu’en est-il réellement ?

Les enjeux d’une législation à l’italienne

Les récentes propositions voulant s’attaquer au droit de grève ont assumé vouloir s’inspirer de l’Italie, pays où les marges de manœuvre pour faire grève légalement sont extrêmement réduites.

En 1990, avec le retour en force du libéralisme économique et l’effondrement du bloc soviétique, le gouvernement de centre-droit italien a passé une loi qui limite considérablement le droit de grève italien en imposant un service minimum dans les services publics. Renforcée en 2000, la loi utilise une définition extrêmement large du service public qu’elle applique aux services « ayant pour objet de garantir la jouissance des droits de la personne protégés par la Constitution : droits à la vie, à la santé, à la liberté et à la sécurité, à la liberté de circulation, à l’assistance et à la prévoyance sociale, à l’éducation et à la liberté de communication ». Concrètement, sont concernés presque l’intégralité des secteurs de travailleurs puisqu’en plus des transports ou de la santé sont aussi compris les chauffeurs de taxi, les artisans ou même les avocats.

Ainsi, dans l’ensemble de ces domaines, à chaque grève il doit être établi un service minimum. En France également, une loi sur le service minimum dans les transports est passée en 2007 à l’initiative de Nicolas Sarkozy, imposant notamment un préavis de 48 heures, le DII. En Italie, l’attaque est allée beaucoup plus loin : les transports locaux sont contraints d’assurer un service complet pendant les heures de pointe (généralement entre 6 et 9h et 18 et 21h) et ne peuvent pas faire grève pendant les périodes de vacances où les déplacements sont les plus importants et pourraient donc le plus fortement bloquer l’économie. Plus encore, les entreprises de transports sont tenues de respecter un préavis de 10 jours et de déterminer par avance la durée de la grève. La loi met notamment en œuvre des sanctions pécuniaires très importantes (pouvant aller jusqu’à 100 000 euros) contre les grévistes en cas de non-respect de ces modalités. Toute grève dans ces conditions perdrait ainsi complètement en substance et se transformerait en grève fantoche, à la portée purement symbolique.

Il existe également dans la loi italienne la possibilité de réquisitionner des grévistes en cas de non-respect des dispositions légales. Un outil anti-grève dont ne s’est pas privé le gouvernement français pour tenter de briser la grève des raffineurs à l’automne dernier. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes avait motivé son arrêté de réquisition par le fait que la grève intervenait pendant une période de départ en vacances, rappelant les pratiques italiennes. En réalité, les restrictions au droit de grève alimentées par l’idée selon laquelle les usagers seraient victimes des blocages est une façon pour les gouvernements d’alimenter la division entre les usagers et les grévistes. En effet, alors que 60% de la population française est aujourd’hui favorable à un blocage de l’économie, l’alliance entre les différents secteurs de la population est une crainte importante du gouvernement qui souhaite pouvoir s’appuyer sur des lois plus restrictives.

Grèves à la base, reconductibles, sauvages : des lois pour empêcher les luttes gagnantes

Pour faire passer ses lois anti-grève, le gouvernement italien a pu compter sur les directions des grandes confédérations syndicales qui ont joué un rôle pivot. Elles sont allées jusqu’à accepter l’adoption de codes d’autoréglementation, dans lesquels les entreprises ou administrations peuvent, avec l’accord des syndicats, dépasser le cadre posé par la loi pour aller plus loin dans les limitations au droit de grève. C’est notamment dans ces codes que l’on peut retrouver l’obligation d’assurer un service minimum dans les transports durant les heures de pointe.

Dans les années 1990-2000, l’Italie a été marquée par une hausse du coût de la vie pour les travailleurs, dont les salaires n’ont jamais été indexé à l’inflation réelle. Au travers de conventions collectives, le gouvernement et les syndicats ont prédéterminé plusieurs années en avance les taux d’inflation auxquels les salaires seraient indexés, bien en-deçà du taux réel. Dans un contexte de colère très importante, les seules journées d’actions appelées par les directions syndicales respectant les longs préavis étaient bien en deçà de la radicalité des travailleurs italiens. Dans le secteur des transports, à Milan notamment, les travailleurs à la base ont voté en décembre 2003 la grève, en dehors du cadre fixé par la loi et donc, pendant les heures de pointe. La grève de 2003, entièrement portée par la base du mouvement ouvrier, a secoué le pays et établi un précédent pour d’autres mouvements de masse. Loin d’isoler les grévistes des usagers, la grève avait reçu la solidarité du reste de la population. Par la multiplication d’appels à la grève illimitée décidés dans des cadres d’auto-organisation et d’arrêts de travail sauvages, imposant un autre plan de bataille que celui des directions syndicales, les grévistes avaient réussi à imposer un véritable rapport de force et à faire plier le gouvernement sans avoir aucune sanction pour non-respect des préavis. C’est précisément ce type de mobilisation dont les gouvernements ont peur et qu’ils veulent empêcher : une grève dont la boussole est l’auto-organisation des travailleurs à travers son outil de prédilection qu’est la grève reconductible.

En France, il n’est pas anodin que ce soit la grève des contrôleurs de la SNCF qui ait relancé les velléités du gouvernement à légiférer vers de nouvelles restructions du droit de grève. Cette grève, impulsée par un collectifs de contrôleurs non syndiqués, a inquiété les hautes sphères pour la simple et bonne raison qu’elle était issue de la base et en dehors des cadres dictés par les directions syndicales. Depuis 2018, ont ainsi éclaté plusieurs conflits que la presse bourgeoise a elle-même qualifié de « gilet-jaunisation », telle que la grève spontanée des agents du Technicentre TGV Atlantique de Châtillon en 2019, qui ont montré une radicalité à la base que redoute le gouvernement. Les agents de Châtillon, qui ont fait plier la SNCF, n’avaient d’ailleurs pas respecté le préavis imposé par la loi Sarkozy. Un acte qui avait été assumé et expliqué dans le premier communiqué des grévistes : « Nous respecterons les délais de prévenance le jour où la direction respectera les cheminots ».

En pleine bataille contre la réforme des retraites, c’est ce type de mobilisation que redoute le gouvernement et qui pourrait le faire plier : une grève dure, reconductible, et impulsée par la base dans des assemblées générales. Ainsi, la meilleure façon de se battre dès aujourd’hui contre des potentielles attaques au droit de grève à venir est de soutenir toutes les initiatives des grévistes pour élargir la grève, telle que l’idée de la CGT Énergie de réduire les factures des boulangers, pour faire bloc contre la réforme des retraites et imposer un rapport de force qui puisse faire reculer le gouvernement.


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