Entretien avec Adrien Cornet, CGT Total

Restructuration de Grandpuits : ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise !

Restructuration de Grandpuits : ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise !

Le groupe Total a profité de l’été pour annoncer la fermeture des activités de raffinage de son site de Grandpuits. Cette restructuration menace 250 emplois directs et plus de 500 emplois indirects sur le bassin de Seine-et-Marne. L’entreprise a justifié cette fermeture en arguant un virage vers des énergies « vertes », ainsi que l’impact de la crise sanitaire sur la production. Il n’en est rien, comme l’explique Adrien Cornet, travailleur à la raffinerie de Total de Grandpuits et délégué syndical CGT. Dans cet entretien avec RP Dimanche il déconstruit le greenwashing du groupe Total et revient sur les perspectives de lutte pour les travailleurs face au géant de la pétrochimie.

Nous avons appris au milieu de l’été que le groupe Total envisageait la fermeture de l’activité de raffinage de son site de Grandpuits, en Seine-et-Marne. Le 24 septembre a eu lieu un CSE extraordinaire au siège de Total où la direction a annoncé les détails du plan de restructuration des sites de Grandpuits et de Gargenville. En quoi consiste ce plan ?

Total arrête l’activité de raffinage de pétrole brut à Grandpuits. Ils vont démanteler les unités de raffinage et les capacités de raffinage vont être importées notamment de pays où les normes sociales et environnementales sont moindres par rapport à la France. Ce qui va leur permettre d’augmenter leurs profits et leurs capacités de raffinage. Ça fait des années qu’ils envisagent cette politique. Ils ont commencé par fermer la raffinerie de Dunkerque dans le Nord, ensuite ils ont fermé le site pétrochimique de Carling, puis la raffinerie de la Mède et maintenant c’est à Grandpuits qu’ils ferment l’activité de raffinage. Ce qui pose problème à Total, c’est le poids des normes sociales et des normes environnementales qui font que leurs profits sont moindres par rapport par au Moyen-Orient par exemple, où ils peuvent exploiter les travailleurs et polluer avec beaucoup plus de liberté.

Concernant les salariés de Total, il y a 200 suppressions de poste sur une plateforme qui en compte 450. C’est énorme, c’est quasiment 50 % de l’effectif du site. Sur les entreprises extérieures, on serait à 500 suppressions de postes, ce qui fait qu’il y a 700 suppressions de postes sur le bassin francilien. Il n’y aura pas de licenciements chez Total, mais il y en aura dans les entreprises sous-traitantes. Chez Total on aura des mutations forcées. Comme on le sait, tout le monde n’aura pas la destination qu’il aura marqué dans son choix numéro un. Ça va engendrer, comme partout, de la misère sociale, des dépressions, des séparations. Malheureusement, on a beaucoup d’expérience des plans sociaux chez Total, on connait les conséquences d’une casse sociale sans précédent.

Les syndicats sont engagés dans une contre-expertise ?

Dès le 9 septembre, nous avons demandé à Total qu’il nous réponde via un droit d’alerte, ce qui les oblige à ouvrir leurs livres de compte et à nous expliquer pourquoi ils ferment les capacités de raffinage, d’où vont venir les produits et comment ils vont pouvoir alimenter la région parisienne en carburants finis. C’est malheureux pour l’environnement, mais nous sommes toujours dépendant des énergies fossiles.

Total a refusé de répondre à notre droit d’alerte. Puis, le 24 septembre, le Groupe a présenté son Plan de reconversion de Grandpuits, pensant ne pas devoir se justifier sur la fermeture des capacités de raffinage. Il y aura bien deux expertises pour forcer Total à ouvrir ses comptes.

On a entendu dire que la fermeture de la raffinerie est soit une conséquence de la crise du Covid-19, notamment à travers une baisse des investissements dans l’outil de travail, ou encore que c’est le résultat d’une politique de reconversion vers une « énergie verte ». Par exemple, le 30 septembre, Total a clarifié sa stratégie « multi-énergies », notamment en faisant un virage vers le gaz naturel et l’électricité. Qu’en est-il réellement ?

Sur le Covid-19, la situation de Grandpuits est plus structurelle que conjoncturelle. Le Covid-19, pour nous, c’est juste une excuse pour supprimer des emplois avec le prétexte de la crise sanitaire. Ils nous disent : "Vous vous rendez compte de l’état du raffinage aujourd’hui ? On ne vend plus de produits". Et dans un deuxième temps, dans Les Échos il y a quelques jours, il y a un article où Patrick Pouyanné, le PDG du groupe Total, nous dit qu’il n’y a pas de soucis, il y aura encore un besoin de pétrole et de produits finis. Il voit même une décroissance seulement à partir de 2030. Pour l’instant, ça ne leur pose pas tellement de problèmes. Là où il faut vraiment pointer du doigt la propagande patronale c’est de dire que Total veut se peindre en vert pour faire plaisir à l’opinion publique. Alors qu’en réalité, en parallèle de délocaliser les capacités de raffinage de Grandpuits, ils vont construire un pipe-line au milieu des parcs naturels, déplacer de force des populations entières, avec l’aide du gouvernement ougandais. Pour une entreprise qui veut se peindre en vert, ça fait vraiment tâche d’huile.

Plusieurs discours écologiques opposent les intérêts des travailleurs de la pétrochimie et la sauvegarde de la planète. Quelle est la position de ton syndicat par rapport à la question écologique ?

On part toujours du postulat que les syndicats de l’énergie voudraient se battre corps et âme pour préserver le raffinage et la production à base d’énergies fossiles, ce qui n’est pas du tout le cas. Nous sommes conscients qu’il faut dépasser les énergies fossiles. Moi j’ai trente ans, j’ai deux enfants en bas âge. Je comprends la nécessité de protéger la planète mais cela ne doit pas se faire au détriment des travailleurs. Dans le monde des capitalistes, on pense la transition écologique surtout comme un vaste plan de suppression d’emplois. Mais la transition écologique, si on la pense collectivement, elle va générer des emplois. Ce que je dis souvent, c’est que demain je pourrais devenir ouvrier dans la permaculture, ça me plairait énormément ! Il faudrait juste me garantir des moyens de subsistance qui m’éloignent de la précarité, donc un salaire et des conditions de travail dignes de ce nom. Comme dit Marx, le travailleur est guidé par l’aiguillon de la faim. Nous n’avons jamais été passionnés par le fait de travailler dans le raffinage, de respirer du carburant toute la journée, et de travailler en 3x8, le matin, l’après-midi et la nuit.

La position du syndicat de Grandpuits est majoritaire dans la fédération ?

Oui, pour te donner un exemple très concret, lors de la fermeture de la raffinerie de Flandres, la FNIC avait porté un projet d’hydrogène très complet. C’était un projet très aboutit. Ce qui avait manqué, c’était un rapport de forces collectif, notamment à travers l’opinion publique. En 2010, la conscience écologique n’était pas aussi développée. Aujourd’hui, l’urgence écologique est dans toutes les têtes, il faut mettre cette question au centre du débat publique.

Grandpuits est un site connu pour sa combativité, pour sa participation aux différents mouvements nationaux, que ce soit en 2010 en 2016 et en 2019. Est-ce que la fermeture du site est aussi un moyen de se débarrasser d’un site trop encombrant socialement ?

Le Patronat a été marqué au fer rouge par la grève de 2010. La raffinerie de Grandpuits en était le fer de lance. Nous avons vu ensuite comment la classe bourgeoise s’est organisée collectivement pour casser l’outil du travail du raffinage et pour éviter l’impact d’une éventuelle grève. C’était déjà dans les plans du gouvernement et de Total de rendre quasiment nul l’impact d’une grève dans le raffinage. À cela, il faut ajouter qu’ils nous importaient des produits complètement finis, qui vont alimenter des dépôts, qui sont d’habitude peu grévistes. En fait, un dépôt quand ils font grève, ils peuvent être ouverts par d’autres gens, notamment des cadres qui eux ne font pas grève et peuvent ouvrir le dépôt à deux personnes. L’effet de la grève étant nul, personne ne se mobilise dans les dépôts. Tout ça c’est une stratégie qui est pensée à long terme. C’est une stratégie à 15, 20 ans. On paie le résultat d’une démonstration de forces en 2010, qui a fait tellement peur au gouvernement et au patronat qu’ils ont mis tous les moyens pour que ça n’arrive plus.

Comment peut-on lutter contre la restructuration promise par Total ? Et c’est quoi pour toi la prochaine étape ?

La prochaine étape c’est mardi 6 octobre. On se mobilise avec les travailleurs notamment de Total. Mais il y aura aussi les travailleurs de Hutchinson, qui sont frappés par un plan de suppression d’emplois de plus de 1 000 postes, et aussi les camarades de la centrale nucléaire de Nogent, avec qui on s’est battus dans les différents combats nationaux. Ils viendront nous soutenir et aussi débattre de leur vision de l’Energie, à travers les yeux des travailleurs et non pas des capitalistes.

Au-delà du 6 octobre, qui sera un rassemblement assez important, on va se mettre en lien avec Les amis de la terre, qui est un collectif écologiste qui s’est battu auprès de la CGT de la Mède pour trouver une alternative à l’huile de palme. On est en lien avec eux et on essaie de penser un contre-projet vraiment d’ampleur pour qu’il y ait zéro suppression d’emplois et pour qu’on ait un impact considérable pour protéger la planète et l’environnement. On a à peu près entre trois et quatre mois pour essayer de construire et de porter ce projet avec un rapport de forces.

Propos recueillis par Camille Münzer

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