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Lutte contre la précarité

Retour au 19ème siècle... avec des smartphones. Entretien avec un gréviste de UberEats à Glasgow

Face à l’uberisation, les coursiers d’outre-manche s’organisent et ripostent contre la baisse constante des paies. Interview avec un gréviste d'UberEats de Glasgow.

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C’est à Glasgow, ville Ecossaise, que le lundi 12 septembre une première journée de grève a eu lieu, et ce sont ensuite les coursiers de la ville de Londres qui ont suivi le mouvement par une grève quelques jours plus tard. C’est donc une journée de grève nationale des coursiers et des travailleurs de la restauration rapide qui a été appelée pour le mardi 4 octobre par les principaux syndicats du pays. Voici une interview réalisée par Révolution Permanente de Chris, coursier UberEat et syndicaliste dans la ville de Glasgow pour parler de sa situation et de la situation du mouvement.

Une interview qui démontre l’importance et l’efficacité de l’action collective, notamment l’action syndicale, pour notre classe, ainsi que la nécessité pour tous les secteurs uberisés de lutter pour le statut de salarié au sein de ces entreprises. Celles-ci ne doivent plus pouvoir licencier des travailleurs comme bon leur semble, et les travailleurs doivent pouvoir exercer une activité syndicale sans crainte de répression. Enfin, tous les travailleurs doivent avoir droit à un revenu garanti par leur statut de salarié.

Révolution Permanente : Bonjour Chris, merci d’avoir accordé une interview à Révolution Permanente, pourrais tu nous décrire ta situation et nous présenter en deux mots ton travail ?

Chris  : Salut je m’appelle Chris, je vis à Glasgow, en Écosse, et je travaille comme coursier chez UberEats. Je suis également un organisateur du syndicat international Industrial Workers of the World (IWW), et plus particulièrement du réseau des coursiers IWW.

RP : Pouvez-vous décrire les conditions de travail en tant que coursier à Glasgow ?

Chris  : Rudes et imprévisibles. De toute évidence, les coursiers sont généralement assez habitués au mauvais temps écossais et au temps froid, mais la plupart n’a pas l’habitude de se faire traiter de façon complètement irrespectueuse par Uber.

Il ne s’agit pas d’un véritable travail indépendant, car nous n’avons pas la possibilité de négocier nos propres tarifs pour le travail. J’ai travaillé en tant que véritable auto-entrepreneur dans le passé et je peux vous dire que je n’ai jamais eu un client comme celui-là !

La camaraderie entre les coursiers est excellente, et le travail en lui-même est assez agréable : qui n’aimerait pas faire du vélo ou du scooter ? Ce sont juste les conditions elles-mêmes qui sont épouvantables.

RP : Quels sont les profils des personnes qui travaillent comme coursier ?

Chris  : Les coursiers de la ville proviennent de nombreux groupes différents et de presque toutes les nationalités. Il y a beaucoup de coursiers brésiliens, grecs et roumains en particulier à Glasgow.

La plupart des personnes qui travaillent comme coursiers sont assez jeunes, mais il y en a plusieurs qui le font depuis des décennies, de manière professionnelle.

RP  : Pouvez-vous expliquer les raisons qui t’ont poussé à te mettre en grève le lundi 10 septembre et pourquoi tu comptes la reprendre le jeudi 4 octobre ?

Chris  : La grève de lundi était une réaction à la baisse des paies sur Glasgow. La grève de jeudi est une grève nationale pour un montant forfaitaire de £5 par livraison pour chaque entreprise de livraison (mais surtout pour UberEats). Les collaborateurs de l’industrie agroalimentaire des restaurants McDonalds, Wetherspoons et TGiF (chaines de restaurations rapides) ont annoncé le mois dernier qu’ils allaient être en grève ce jour-là.

Nos amis de l’Independent Worker’s Union of Great Britain (Syndicat professionnel) ont accepté de nous rejoindre dans l’action, ce qui est génial. Nous attendons des actions dans beaucoup de grandes villes à travers le pays. Si nous réussissons, ce sera la plus grande grève des livreurs que le Royaume-Uni ait jamais vue !

RP : Pouvez-vous nous donner les principales revendications des grèves et les expliquer ?

Chris  : La principale revendication de la grève de lundi était la hausse des taux de paiements variable [1] à Glasgow. Après l’action, les taux de paiement variables ont été temporairement meilleurs et nous savons que l’entreprise se sent menacée par l’action.

La demande de la grève du jeudi est un taux forfaitaire de 5 £ par livraison, de sorte que nous puissions gagner un salaire avec lequel nous puissions vivre après avoir payé les impôts, l’entretien et les réparations de nos vélos ou scooters.

RP : Avez-vous des difficultés à mobiliser d’autres coursiers ?

Chris  : La principale difficulté à mobiliser les autres est l’apathie. Les coursiers semblent tellement résignés à des conditions de travail terribles que beaucoup ont juste abandonné l’idée de s’opposer et se soumettent à toutes les attaques des directions. Contrer cette apathie est l’une de nos principales tâches.

Les coursiers ne semblent pas non conscients des victoires remportées par les coursiers travaillant collectivement, et certains ne savent même pas ce qu’est un syndicat. Notre travail consiste à leur montrer que l’organisation dans un syndicat fonctionne et qu’elle peut produire des résultats réels.

La résistance est définitivement là. Avec les vidéos étonnantes de piquets de grève survenus à la suite de la récente grève de Londres, il est indéniable que de plus en plus de coursiers à travers le pays commencent à prendre conscience de l’importance de notre pouvoir en tant que travailleurs.

RP : Uber a-t-il mis en place des stratégies pour rompre les grèves ?

Chris  : Oui totalement ! L’une de leurs façons préférées de briser la grève consiste à augmenter temporairement les paies avant la grève, de sorte que certains coursiers mettent en doute la nécessité d’agir le jour même. Dès que l’action est terminée, le salaire est considérablement réduit ! La plupart des coursiers ont pris conscience des méthodes d’Uber et sont maintenant complètement engagés dans des actions de grève.

Dés le 4 septembre, nous avons vu Uber utiliser une tactique pour essayer d’empêcher la grève en appelant individuellement les coursiers de chaque ville et en les suppliant de venir travailler, en disant qu’il y avait pénurie de coureurs. Cette tactique montre que notre action syndicale fonctionne et que notre appel aux coursiers à ne pas travailler pour un salaire inférieur au salaire minimum (7,20 £ l’heure) est très suivi ! Uber est secoué et l’action collective fonctionne.

Nous avons également vu Uber introduire des bonus temporaires pour le personnel dans les villes « à problèmes ». Par exemple, certains coursiers de Glasgow ont reçu un message d’Uber disant que s’ils terminaient 30 livraisons en trois jours, ils recevraient un supplément de 90 £. Toutes ces tactiques sont conçues pour rompre la grève et encourager les coursiers à se bagarrer entre eux.

RP : Quelles sont les menaces et la répression qu’encourent les coursiers en lutte ?

Chris  : La menace d’être mise sur une liste noire et d’être licencié pour s’être organisés ouvertement est une menace constante, mais les coursiers sont bien préparés pour cela. Porter des masques à poussière et des foulards lors de manifestations publiques est essentiel pour vous empêcher d’être identifié et ciblé.

Il y a quelques années à Leeds, Deliveroo a payé un briseur de grève pour infiltrer une discussion de communication syndicale IWW, ce qui a entraîné le licenciement de sept de nos collègues. Tous ont été immédiatement réembauchés après une action syndicale massive.

Il y a aussi la menace de la violence physique venant de ces mêmes briseurs de grève. A Londres, des grévistes et certains de leurs amis ont été menacés avec un couteau par un briseur de grève devant un McDonald’s parce qu’ils lui avaient demandé de ne pas s’approcher du piquet de grève. Dans les grèves de coursiers, les jaunes semblent être impitoyables quand il s’agit de travailler.

RP : Pourquoi avez-vous décidé de vous organiser en syndicat ?

Chris  : Parce que nous savons que nos revendications seront prises au sérieux en tant que travailleurs et travailleuses si nous travaillons ensemble et utilisons notre pouvoir collectif. Nous avons essayé de collaborer avec UberEats en tant qu’individus, mais cela n’a abouti à rien. Si vous regardez l’histoire et même aujourd’hui, vous pouvez voir que chaque victoire majeure remportée par les travailleurs et travailleuses en termes d’amélioration des droits, de la rémunération et des conditions a été acquise lorsque nous avons mené une action collective.

RP : Comment voyez-vous la situation économique et politique au Royaume-Uni ? Pensez-vous qu’il y a un lien avec votre situation et votre lutte ?

Chris  : Absolument. Le gouvernement conservateur au pouvoir depuis 8 ans a détruit les droits des travailleurs, fait baisser les salaires tout en récompensant les capitalistes avec des allégements fiscaux et en détruisant l’Etat-Providence. Les coupes budgétaires sans fin ont poussé les familles à la rue, les gens à un énorme endettement et les enfants à la faim. Des millions de personnes à travers le pays sont obligées de compter sur les banques alimentaires pour manger chaque semaine.

Les tentatives du Parti conservateur pour faire du Royaume-Uni un paradis néolibéral se reflètent parfaitement dans nos emplois uberisés. Nous sommes essentiellement de retour à l’époque victorienne en termes de droits des travailleurs - sauf que nous avons des smartphones.

Ce qui est amusant, c’est que bien qu’ils aient essayé de détruire le pouvoir des travailleurs et le pouvoir des syndicats en introduisant des lois punitives, ils ont en réalité rendu les actions de grève beaucoup plus militantes et imprévisibles ! La résistance prend définitivement son essor au Royaume-Uni.

RP : Que pensez-vous de l’idée de créer une confédération internationale de coursiers pour coordonner la lutte au niveau international ?

Chris  : Notre réseau pense que la collaboration interne entre les syndicats et les travailleurs est essentielle si nous voulons vraiment gagner la bataille pour de meilleures conditions dans l’industrie. Nous soutenons toute action visant à établir un lien entre des luttes de coursiers dans différents pays. Les coursiers en France ont été une inspiration particulière pour nous. Vos mobilisations et piquets de grève sont incroyables !

Crédit photo : Daily Record.


[1Les taux de paiement variables généralement appelés Boost sont un taux multiplicateur (entre x1.1 et x2) appliqué sur une zone et au revenu d’une course effectuée dans la zone, augmentant le revenu du coursier, mais qui en réalité constitue une grande partie du revenu. Ce taux est totalement dépendant de l’entreprise (UberEats), qui s’en sert généralement en fonction de ses besoins (manque de coursiers sur un secteur ou nécessité de briser un mouvement de grève)



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