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On ne restera pas « sages » !

Retraites. Pour gagner, la jeunesse ne doit pas laisser le dernier mot au Conseil Constitutionnel

Trois mois après le début de la mobilisation historique contre la réforme des retraites, la jeunesse, entrée en scène avec le déclenchement du 49.3, incarne l'espoir d'un rebond de la mobilisation. Pour jouer un rôle clé, le mouvement étudiant doit incarner une autre voie que celle de l’intersyndicale, qui cherche une sortie de crise en s’en remettant à « la sagesse » du Conseil Constitutionnel.

Ariane Anemoyannis

8 avril 2023

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Retraites. Pour gagner, la jeunesse ne doit pas laisser le dernier mot au Conseil Constitutionnel

Crédit photo : AFP / Geoffroy VAN DER HASSELT

Cette semaine, en même temps que s’est développé le mouvement étudiant et que s’est affirmée la colère dans les lycées, l’intersyndicale a commencé à dessiner la voie d’une sortie de crise pour Macron. Mercredi, les dirigeants syndicaux sont partis défaits de leur réunion à Matignon avec Elisabeth Borne, qui est parvenue à les garder près d’une heure dans son bureau à discuter de la suite de son calendrier anti-social. Après avoir enjoint une nouvelle fois sur le plateau de BFMTV le gouvernement à mettre un « stop » et à « suspendre » son projet, le leader de la CFDT a été d’autant plus clair en fin de semaine, en s’engageant à respecter la décision du Conseil Constitutionnel et à en reconnaitre toute la légitimité concernant le devenir de la réforme des retraites.

Alors que cette institution doit se prononcer le vendredi 14 avril sur la validité constitutionnelle de la loi, ces déclarations vont dans le sens d’une « démobilisation » progressive à partir de la semaine prochaine. Pourtant, le rejet de la réforme par la population reste massif et dans la jeunesse, la mobilisation grossit. Du côté des universités, l’affluence dans les AG est variable mais une tendance à la hausse se dessine – 1 000 personnes à Paris 1, plus de 500 personnes à la fac de sciences à Montpellier, 700 personnes à Bordeaux – tandis que les étudiants continuent de déferler dans les rues les jours de mobilisation. Du côté des lycées, les épreuves du Bac de ces dernières semaines laissent la place à une explosion de la colère avec plusieurs centaines de blocus lycéens sur tout le territoire ce jeudi.

Dans cette situation et après 11 journées de mobilisation massive, la jeunesse peut jouer un rôle décisif pour imposer un plan de bataille conséquent qui permette à l’ensemble de la population d’aller chercher la victoire, qu’il y ait ou non validation de la loi par le Conseil Constitutionnel. Pour cela, il faut qu’elle parvienne à déployer toutes ses forces en alliant radicalité, massivité, et auto-organisation.

Jusqu’au retrait… mais surtout au-delà : imposons nos propres revendications

Depuis le début de la mobilisation en janvier, il existe une contradiction entre la profondeur de la colère qui s’exprime dans les facs et les lycées, et le fait que la seule revendication portée par l’intersyndicale et la gauche parlementaire soit le retrait pur et simple de la réforme des retraites. En particulier depuis le 49.3, il est clair que ce qui se joue dans ce mouvement dépasse largement le projet en tant que tel mais que la mobilisation de la jeunesse pose des questions bien plus profondes sur le régime en lui-même : les leviers anti-démocratiques de la Vème République, la détestation d’un Président élu sur la crainte de l’extrême-droite qu’il a lui-même alimenté, l’impasse de la stratégie parlementaire pour mettre un terme aux attaques anti-sociales du gouvernement.

Ces questionnements rendent d’autant plus inconséquent de la part de la CFDT de s’en remettre à la « sagesse » d’une institution non-élue, présidée par un ancien Premier Ministre, et dans laquelle les anciens présidents de la République peuvent être membres de droit à vie. Le tout, alors que le gouvernement mène une offensive autoritaire inédite, entre violences policières, annonces de dissolution des organisations de gauche, et menaces de couper les subventions de la LDH suite à ses observations à Sainte-Soline.

Dans ce cadre, les AG étudiantes et lycéennes doivent élargir les revendications du mouvement pour répondre aux préoccupations du plus grand nombre. Sur le terrain démocratique, la demande de dissolution de la BRAV-M est ce qui incarne de façon aigüe la prise de conscience large des étudiants sur l’institution policière. De même, le slogan « Macron démission » hérité des Gilets Jaunes et entonné dans les cortèges et AG de jeunesse va dans le sens de remettre en cause la figure présidentielle en liant la question du retrait de la réforme au départ de son principal architecte. Il faut continuer d’aller en ce sens, en pointant plus profondément la V° République et son arsenal autoritaire comme le 49.3, mais aussi les institutions réactionnaires comme le Sénat ou le Conseil Constitutionnel. Dans le même temps, l’enjeu est de repartir à l’offensive concernant les nombreuses attaques de Macron contre les jeunes, que ce soit sur le terrain universitaire ou celui de la précarité étudiante. A l’AG de Paul Valéry à Montpellier, les étudiants ont par exemple voté la revalorisation de 400 euros des bourses, la titularisation de l’ensemble du personnel de la fac, l’abrogation des réformes de sélection à l’université, et la retraite à 60 ans sans condition d’annuité.

A Paris 1 et au Mirail à Toulouse, les étudiants mobilisés cherchent quant à eux à s’attaquer à la sélection et la pression scolaire alors que les partiels de fin de semestre approchent et vont avoir pour conséquence de sanctionner celles et ceux qui se seront mobilisés contre les politiques de Macron. Avec la revendication du 10 améliorable comme modalités d’examens voté en AG, l’objectif est donc de faire en sorte que personne n’ait à redoubler son année. Plus profondément, c’est le tri social et la mise en concurrence à travers les différentes réformes (Parcoursup, Bienvenue en France, Mon Master, ainsi que les politiques d’assiduité) qui sont pointées du doigt. Ces réformes, aux fondements du visage néolibérale de l’université actuelle, participent en effet à discipliner la jeunesse et la former comme future main d’œuvre docile du patronat.

Dans ce sens-là, il faut commencer à élaborer des plateformes revendicatives depuis les différents cadres d’auto-organisation qui permette de répondre concrètement aux préoccupations de la jeunesse, des plus immédiates aux plus systémiques. Pour ne pas être de simples listes de revendications, il s’agit d’en faire le point de départ d’actions concrètes pour construire le rapport de force suffisant pour les obtenir. Afin de s’affronter à la sélection par exemple de multiples initiatives peuvent être mises en place, des actions symboliques jusqu’aux tentatives de bloquer les examens : avec des pétitions, actions devant les présidences, blocages, débrayages de cours, motions votées dans les conseils centraux...

N’attendons rien de l’intersyndicale : construisons notre propre calendrier aux côtés des travailleurs

Si les AG se multiplient et grossissent dans certains établissements, il existe encore un décalage entre le nombre de jeunes qui se mobilise et le nombre de jeunes qui investit les cadres d’auto-organisation pour construire la suite du mouvement : au-delà des AG, les comités de mobilisation restent très petits et la colère de la jeunesse s’exprime principalement dans la rue de façon spontanée. Pourtant, alors que l’intersyndicale s’obstine à un calendrier de journées isolées, à circonscrire la mobilisation au retrait de la réforme, à donner de la légitimité aux institutions anti-démocratiques, il est nécessaire que les jeunes deviennent des acteurs de la mobilisation pour imposer une alternative par en bas qui soit capable de construire un rapport de force suffisant contre le gouvernement.

Dans ce sens, les AG étudiantes ont déjà réussi à faire quelques démonstrations. C’est le cas de l’AG interfacs de région parisienne, qui a organisé la première manifestation sauvage du mouvement dans le quartier latin le 8 février pour reconduire la mobilisation de la veille, et de l’AG de Paris 1 qui a initié un appel à manifester jusqu’à l’Assemblée nationale le 16 mars alors que le gouvernement passait en force avec le 49.3. Il faut poursuivre ce type d’initiatives, notamment à l’occasion de la décision du Conseil Constitutionnel le 14 avril, en suivant la proposition faite par les étudiants de Paris 8 en AG ce vendredi d’aller manifester devant l’institution à 17h.

Massifier les cadres d’auto-organisation pour leur donner une réalité et permettre de dépasser la politique de l’intersyndicale serait un signal fort envoyé au monde du travail, qui cherche lui aussi à aller au-delà des journées de grève saute-mouton. En effet, les énergéticiens, éboueurs, égoutiers, travailleurs des transports et raffineurs ont montré leur aspiration à durcir le ton en se mettant en grève reconductible depuis le 7 mars. Avec le réseau pour la grève générale, ces secteurs cherchent justement à coordonner les grèves reconductibles existantes et étendre la dynamique.

Pour autant, alors que ces secteurs en reconductible sont restés isolés par l’intersyndicale et sans appui face aux réquisitions, les taux de grève ont fini par retomber, malgré la détermination des travailleurs. A l’inverse, la jeunesse a été un des acteurs clés de ces dernières semaines, et une mobilisation massive des étudiants et lycéens pourrait redonner confiance aux travailleurs pour reprendre le chemin de la grève quand le plan de l’intersyndicale apparait plus que jamais défaillant pour mener vers une victoire.

Pour réaliser cette perspective, il faut que la jeunesse se saisisse du réseau pour la grève générale et élabore avec le monde du travail un plan alternatif qui permette non seulement de poser un autre calendrier, mais aussi de faire émerger de nouvelles revendications pour le mouvement. Des expériences ont déjà été faites en ce sens, à l’instar de la délégation de 200 jeunes venue soutenir les raffineurs réquisitionnés à Total Normandie le 24 mars à l’initiative du réseau. En région parisienne cette semaine, des étudiants sont allés en nombre bloquer spontanément les centres d’incinération, pour appuyer la grève des éboueurs qui devrait reprendre le 13 avril, et des délégations jeunes étaient également présentes à l’appel du réseau sur le piquet du technicentre SNCF de Chatillon ainsi qu’à une action organisée à l’aéroport de Roissy par les travailleurs. A Montpellier, les étudiants mobilisés de la fac de Paul Valéry ont organisé un grand meeting de la grève avec des cheminots, des profs et des travailleurs sociaux, puis ont récolté de l’argent pour les caisses de grève avec un concert. Il faut aller plus loin, en faisant en sorte que les AG étudiantes accueillent des grévistes pour se lier aux travailleurs mobilisés, envoient des délégations dans les AG ouvrières mais aussi dans les comités d’action du réseau pour la grève générale.

Dans un moment de grande fragilité pour l’éxécutif, la jeunesse a donc un rôle à jouer pour relancer le mouvement et lui donner un caractère ouvertement politique : contre Macron, le 49-3 et les violences policières. Face à une Ve République qui apparait chaque jour un peu plus comme un régime brutal et autoritaire, la jeunesse doit faire entendre sa colère face au système.

En ce sens, rejoignons l’appel des étudiants de Paris 8 à un rassemblement aux Tuileries, devant le Conseil Constitutionnel, ce vendredi à 17 heures.

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