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Réforme des retraites

Retraites : le gouvernement veut gagner du temps et opte pour la méthode de la concertation

Le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a précisé sur RTL que les concertations sur la réforme des retraites s’étaleront sur un an, après que Macron a annoncé que cette dernière serait l'occasion pour le gouvernement d'opérer "un changement de méthode". Une décision qui exprime l'hésitation du gouvernement à amorcer une des réformes les plus décriées de son quinquennat.

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Depuis quelques semaines, l’exécutif ne cesse de multiplier les annonces concernant la réforme des retraites. Concertation citoyenne, réunions publiques avec des membres du gouvernement, et désormais une année dédiée aux concertations avec la société civile. S’« il Il faut prendre le temps nécessaire pour expliquer aux Français ce que nous voulons » selon Bruno Le Maire, c’est essentiellement parce que le pouvoir est conscient que la séquence ouverte par le mouvement des Gilets jaunes n’est pas refermée, et la rentrée qui se profile lui fait craindre de nouveau la tempête. 

Prendre le temps de la concertation comme le souhaitait Edouard Philippe, cela équivaut à présenter le projet sur les retraites après les municipales de 2020, ce qui permet d’atténuer les risques d’une débâcle dans les urnes lorsque la réforme amorcée est l’une des plus contestées du quinquennat, et ce alors que les municipales vont être un véritable test pour LREM et sa capacité à s’intégrer durablement dans le paysage politique. Gagner du temps donc, voilà un autre objectif de la concertation avec la société civile. 

Si le gouvernement a d’ailleurs déjà commencé à avancer les preuves de son nouveau mot d’ordre "écoute, dialogue, proximité" en privilégiant la durée de cotisation plutôt que l’âge pivot, il précise rapidement que rien n’est définitif et que tout sera discuté avec les organisations syndicales et les électeurs. Une manière de satisfaire d’une part et pendant un temps la CFDT de Laurent Berger qui préférait la prise en compte de la durée de cotisation, tout en se réservant par ailleurs la possibilité pendant un an de revenir sur cette décision, sans que cela ne l’affecte davantage dans les urnes. 

L’objectif est ainsi de ne rien décider en amont de la concertation citoyenne et syndicale pour gagner en crédibilité tout en conservant au final la direction du projet. Et si l’exécutif a pour objectif de mener la réforme jusqu’au bout malgré la colère qui gronde en organisant une concertation de plusieurs mois pour éviter d’en pâtir dans les urnes, c’est au risque mettre en colère le patronat, irrité de l’abandon de l’âge pivot. Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, a ainsi prévenu le gouvernement qu’en l’état de la réforme, l’organisation patronale ne la soutiendrait pas, ce qui rajoute à l’instabilité de la situation dès lors que le patronat constitue une frange importante de sa base sociale. 

Macron marche donc sur des œufs, mais continue de marteler qu’il souhaite "construire cela tous ensemble". En particulier, il mise sur la capacité des directions syndicales et en premier lieu sur la CFDT à soutenir le projet pour éviter qu’elle n’organise son rejet dans la rue. "Traumatisé par la crise des gilets jaunes" pour reprendre les termes de Raphaëlle Nesse Desmoulières dans les colonnes du Monde, l’exécutif mise donc explicitement sur une concertation avec les organisations syndicales car il n’est plus en mesure d’engager le train des réformes sans elles à l’image d’un début de quinquennat qui privilégiait la métaphore du buldozer. Conscient du rôle de contention de la colère que jouent les bureaucraties syndicales après que le mouvement des gilets jaunes ait mis en lumière la radicalité des secteurs de la classe ouvrière précisément marginalisés des outils syndicaux, l’exécutif renoue donc avec la tradition de la concertation pour tenter de faire paraître la réforme des retraites comme un projet commun de l’ensemble des acteurs de la société civile. 

Mais si l’ensemble de la presse remarque le changement de méthode de la part du gouvernement concernant la concertation en tant que telle, le bouleversement tient surtout au fait que Philippe mise sur une négociation corporation par corporation, qui permet mieux de casser la protection auparavant universelle de la retraite. Le pari tient aussi au fait de monter les travailleurs les uns contre les autres, selon la bonne vieille méthode du privé contre le public et de dénoncer les « privilèges » des travailleurs du rail ou de la RATP, à l’image du « cheminot bashing » lors de la bataille du rail. Sous couvert d’être minutieux avec une réforme d’envergure, le premier ministre annonce que chaque corporation sera reçue individuellement pour négocier (tout en se démarquant des propos de Darmanin en annonçant de manière floue que la réforme sera « pour les prochains mois ») : quand « vous modifiez la logique qui a prévalu pendant soixante-dix ans, soixante-quinze ans parce qu’elle pose toute une série de questions, parce que le système n’est pas équilibré, parce qu’il est assez juste, vous n’agissez pas dans la précipitation et vous êtes obligés de prendre le temps de poser les sujets un par un ». De la retraite indexée à la durée de cotisation jusqu’à la négociation par corporation, l’exécutif veut diviser les travailleurs en leur proposant une réforme « sur mesure », c’est-à-dire qui ne leur permet pas une protection commune à tous, ni une riposte globale. Une manière de donner du grain à moudre aux directions syndicales en brandissant l’arme du corporatisme qui empêche au monde du travail de s’unir derrière la conscience d’avoir à faire au même ennemi. Derrière l’argument de ne pas masquer les revendications de chaque secteur, ces directions organisent les batailles en rangs éparses. Ces dernières années les exemples sont nombreux, division des parcours pour une même journée de manif entre cheminots et fonction publique en 2018, une le matin et une l’après-midi pour les retraités et les EHPAD et pour celles à venir en ce mois de septembre, une pour les hospitaliers (le 11), une pour les retraités (le 13), une pour les professions libérales (le 16) une pour FO (le 21) et pour la CGT et Sud Rail (le 24).. Bref, tout ce qu’il faut pour conclure que les travailleurs n’étaient pas assez nombreux, pas prêts à lutter alors que ce sont leurs directions qui élaborent des plans de bataille qui les mènent dans le mur.

Car quand bien même les forces syndicales FO et CGT prétendent s’opposer dans la rue à une réforme qui allonge le temps de travail et précarise les travailleurs, elles se rendront au rendez-vous d’Edouard Philippe des 5 et 6 septembre et le calendrier des manifestations est pensé, dans la logique des journées d’actions isolées de ces dernières décennies, comme un appui à... l’ouverture de négociations ! Une manière de gratter des miettes en légitimant l’action du gouvernement. Journées de mobilisation éclatées par secteurs, « c’est à une nouvelle rentrée avec un nouveau record battu dans la division des dates que veulent nous préparer les directions des syndicats dits "contestataires" »

Si la radicalité et la colère des gilets jaunes continuent de contaminer les différents secteurs du mouvement ouvrier comme les hospitaliers ou les enseignants, il ne suffira pas de descendre chacun son tour dans la rue au mois de septembre. L’hésitation du gouvernement et sa crainte de subir une nouvelle débâcle sont un indicateur de l’explosivité de la situation dont il faut se saisir dès maintenant pour construire une mobilisation massive sur les lieux de travail et dans la rue : contre toute solution boutiquière corporatiste, la riposte doit être générale derrière les mêmes mots d’ordre, retraite à 60 ans au maximum et sans conditions d’annuité !


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