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« Mort au dictateur »

Révolte en Iran : la jeunesse en première ligne

La révolte en Iran dure depuis maintenant trois semaines et ne faiblit pas. Déclenchée après la mort de Jina Mahsa Amini, elle a dès le début pris un caractère beaucoup plus profond de remise en cause de l’ensemble du régime iranien et englobe aujourd’hui plusieurs pans de la population, parmi lesquels la jeunesse étudiante massivement mobilisée.

Irène Karalis

6 octobre 2022

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Photo : Des étudiants manifestent dans l’université de Téhéran / Twitter

En Iran, la semaine dernière a été marquée par des manifestations massives dans les universités, qui ont fait leur rentrée le 1er octobre. Dans ce pays qui compte 4 millions d’étudiants, rien que le 3 octobre, ce sont des dizaines de milliers d’entre eux qui ont manifesté à l’université de Semnan, à l’université technologique d’Ispahan, dans celle de Razi à Kermanshah ou encore à l’université de Sanandaj dans la province du Kurdistan. Les universités sont ainsi devenues des centres importants des mobilisations en Iran.

Malgré la répression féroce du régime, la révolte ne faiblit pas

Rapidement, et comme depuis le début de la révolte, le régime a répondu par la répression. À l’université de Sharif plus particulièrement, le 2 octobre au soir, la police a lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balle réelle sur les étudiants. Sur une vidéo, des étudiants sont filmés en train d’être embarqués par la police avec des cagoules sur la tête, tandis qu’une autre vidéo, glaçante, montre les policiers autour de l’université et l’un d’eux tire sur la personne qui filme.

Marjan, étudiante iranienne arrivée en France il y a bientôt trois ans, réagit à ces images : « hier, j’ai vu quelques vidéos sur lesquelles on voit la police frapper des enfants. C’est terrible et inacceptable, l’université devrait être un espace sûr. Si les étudiants se disent ‘je vais aller à l’université et je vais me faire tirer dessus’, ils vont finir par se dire ‘à quoi bon y aller ?’ Le pire c’est quand ça arrive à des mineurs. » En témoigne le cas de Nika Shakarami, jeune fille de 16 ans qui a disparu lors d’une manifestation le 20 septembre et dont le corps a été présenté mutilé à la famille 10 jours plus tard. Ses proches remettent en cause la version des autorités, affirmant que Nika a été frappée et sur les réseaux, nombreuses sont les versions qui soupçonnent le fait que Nika ait pu être violée et torturée.

Pour réprimer les mobilisations, le régime a notamment recours aux Bassidjis, une force paramilitaire créée en 1979. Marjan explique : « ce sont des volontaires en charge de la ‘Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice’ qui existent dans les universités et dans d’autres endroits. Ils ont le pouvoir de venir te voir et te dire que tu portes mal le voile par exemple. Aujourd’hui, le gouvernement envoie les Bassidjis frapper et tirer sur les gens. »

Jusqu’à maintenant, selon l’ONG Iran Human Rights, la répression du régime aurait fait plus de 90 morts. Mais les mobilisations ne faiblissent pas pour autant, bien au contraire. Le 4 octobre, des dizaines de milliers d’étudiants sont à nouveaux sortis dans les rues, chantant « Azadi, azadi, azadi » (« liberté, liberté, liberté ») et arborant des pancartes « Le bassidji n’est pas un étudiant comme parmi les étudiants de l’université de médecine de la ville de Rasht où dans l’université de Bushehr, une ville portuaire, où les étudiants sont sortis aux cris de « La liberté est notre droit, l’université de Sharif est notre mot-clé », en référence aux étudiants réprimés de l’université de Sharif.

Après les étudiants, les lycéenns

En plus de tenir dans les universités, le mouvement s’est également étendu aux lycées. Toute la semaine dernière, des dizaines de vidéos montrant des lycéennes arracher leur voile et manifester dans leur école ont essaimé la toile. Dans la ville de Karaj, les lycéennes sont allées jusqu’à jeter leur voile à la figure du directeur, lui criant dessus et le qualifiant de « sans vergogne ». Dans une autre école, alors même que les autorités scolaires avaient invité un bassidji haut placé, les élèves se sont mises à chanter : « Bassidji, va-t-en ! » Sur d’autres vidéos et photos, des élèves déchirent un portrait de l’ayatollah Khamenei. Marjan réagit : « c’est magnifique, époustouflant que des enfants de cet âge puissent dire ça et brûlent des portraits de Khomenei et de Khamenei qui sont de vraies figures de la dictature en Iran. »

Fortement composé de jeunes, le mouvement regroupe aussi de nombreux membres des minorités ethniques opprimées par le régime iranien. Le 30 septembre, de grosses manifestations ont ainsi secoué la province du Sistan-Balouchistan, une des régions les plus pauvres du pays où vit la minorité sunnite baloutche. La manifestation, causée par le viol suspecté d’un adolescente de 15 ans par un chef de police, a été réprimée « dans le sang » selon l’ONG Iran Human Rights et selon les sources, il y aurait eu entre 60 et 85 morts.

Cette répression est à l’image de la politique menée par le régime iranien contre les minorités ethniques. Dans ce pays composé de Persans, de Kurdes, de Gilakis, de Baloutches et de dizaines d’autres ethnies, le régime a durci sa politique d’oppression ces dernières années et en particulier ces derniers mois, en remettant à l’ordre du jour les condamnations à mort. Cet été, après la pendaison d’un homme baloutche qui avait tué un policier, le directeur de l’ONG Iran Human Rights Mahmood Amiry-Moghaddam dénonçait auprès du Parisien : « la reprise de ce châtiment total en public est destinée à effrayer et à intimider les gens pour qu’ils ne manifestent pas. »

Pour renverser le régime, la nécessité de l’extension de la révolte au monde du travail

Derrière les slogans « femme, vie, liberté » se trouve un ras-le-bol plus profond du régime théocratique iranien. C’est également ce qu’exprime Marjan qui dénonce un régime profondément autoritaire : « Depuis la révolution de 1979, nous n’avons jamais eu un seul dirigeant qui n’était pas du cercle proche du Guide suprême. » La révolte exprime l’envie profonde de liberté de ces femmes, de cette jeunesse, opprimés au quotidien par le régime et orphelins de perspectives d’avenir : « il ne s’agit pas que de l’obligation de porter le voile, qui est une des oppressions les plus visibles, il s’agit de tous les droits humains, des droits des femmes, mais aussi de la situation économique. Les gens, et en particulier les jeunes gens, sortent dans la rue parce qu’ils n’ont aucun espoir d’avoir une vie meilleure, ou une vie tout court. »

De fait, le chômage atteint aujourd’hui les 25% de chômage dans la jeunesse et les 40% chez les femmes. Étouffée par les sanctions prises par les pays impérialistes, l’économie du pays s’est écroulée et l’Iran a perdu près de la moitié de ses revenus pétroliers et 30% de son commerce extérieur. Or, depuis le soulèvement de 2009 et le « mouvement vert », le régime n’a fait que se durcir. Une solution s’impose donc aujourd’hui au peuple iranien en lutte pour un meilleur avenir : renverser le régime de Khomenei.

À ce titre, seule une alliance avec la classe ouvrière, à l’image de celle qui a fait fuir le Shah après quatre mois de grève générale en 1979, pourra instaurer un rapport de forces suffisant pour faire plier le régime. À ce jour, selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran, « le mouvement ne s’est pas encore diffusé dans des catégories sociales telles que les ouvriers ; si ces derniers semblent donner leur approbation, ils n’ont pas décrété de grève. » Quelques grèves éparses ont éclaté dans tout le pays, comme dans la zone industrielle de Shahpur à Ispahan, sans que la grève ne s’étende à d’autres secteurs du monde du travail. C’est à travers cette perspective pourtant qu’un rapport de forces suffisant pourra s’envisager, dans le sens non seulement de renverser le régime, mais également d’aller vers une issue alternative au régime théocratique comme aux puissances impérialistes. En août 2020 de puissantes grèves avaient été menées par les travailleurs de la pétrochimie et des raffineries iraniennes.

De la France, il est impératif de soutenir les révoltes en Iran, notamment face à la répression. Samedi dernier, des rassemblements ont eu lieu dans plus de 150 villes et plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Toronto, Montréal et Vancouver au Canada, pendant que plusieurs milliers de personnes défilaient à Berlin, à Bruxelles ou encore à Paris. Une victoire du peuple, des femmes et de la jeunesse iranienne sera une victoire pour l’ensemble des pays du Moyen-Orient, mais également pour toutes les personnes opprimées et exploitées à travers le monde.


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