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Royaume-Uni. Rishi Sunak, un ultraconservateur au secours de l’empire britannique en déclin

Le Royaume-Uni vient d'avoir un nouveau Premier Ministre, le troisième en à peine deux mois. Un nouveau symptôme de la crise politique qui traverse l’establishment britannique.

Claudia Cinatti

26 octobre 2022

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Boris Johnson, Liz Truss, et aujourd’hui, Rishi Sunak. Ce 25 octobre, le roi Charles III a déclaré le nouveau chef du parti conservateur Premier Ministre pour former un gouvernement. Sa prédécesseuse, Liz Truss, qui avait remplacé Boris Johnson après sa démission n’était en poste que depuis 44 jours. En peu de temps, elle a provoqué un choc financier qui a laissé la City de Londres, et peut-être le monde, au bord d’une crise d’une ampleur similaire à celle de 2008. Un sauvetage d’un milliard de dollars par la Banque d’Angleterre a permis d’éviter cette perspective inquiétante.

Truss, admiratrice (et imitatrice) de Margaret Thatcher, a en effet appliqué à pleine vitesse le dogme libertarien-néolibéral du "petit État" : son seul acte en tant que Première Ministre, en plus du renforcement des lois antisyndicales, a été une très généreuse réduction d’impôts pour les riches - particuliers et entreprises - qui a considérablement augmenté le déficit du pays. Cet acte de foi envers le “libre marché” a été impitoyablement rejeté par ce même marché, qui a fait plonger la livre Sterling et les obligations d’État à des niveaux historiquement bas et a failli mettre en faillite les fonds de pension.

La réponse de M. Truss a été la destitution de son ministre des finances, un autre partisan du mantra selon lequel la réduction des impôts sur les riches encourage les investissements et conduit à la croissance. Ce dernier a été remplacé par Jeremy Hunt, qui a annulé les réductions d’impôts mais annoncé un plan d’austérité orthodoxe de discipline budgétaire et de réduction des dépenses publiques.

Avec l’arrivée de Rishi Sunak au 10 Downing Street, l’establishment du parti conservateur semble avoir repris le contrôle, avec un remplaçant au poste de populiste de droite qu’occupait Boris Johnson.

Et bien que Sunak ait rejoint Boris Johnson dans la faction pro-Brexit en 2016, il est du côté gagnant de la mondialisation. Cet ancien banquier d’origine indienne apparaît comme un exemple de réussite de la "méritocratie". Avec son épouse, il possède une fortune estimée à 800 millions de dollars, supérieure à celle de la monarchie elle-même.

Certains néolibéraux "progressistes", portés sur la politique identitaire, parlent du Royaume-Uni comme d’un "moment Obama" et considèrent l’inauguration de Sunak comme un signe que le racisme, si caractéristique du parti conservateur et d’autres expressions politiques d’extrême droite, est sur le déclin. Même le premier ministre indien, le nationaliste Narendra Modi, a salué sa nomination.

Il est vrai que c’est la première fois qu’une personne non blanche avec un nom non anglo-saxon est nommée au gouvernement britannique. Mais au-delà de ses origines, le programme de Sunak est profondément xénophobe et anti-immigration. Paradoxalement, un Britannique d’origine indienne et hindoue ("un peuple bestial avec une religion bestiale" selon Winston Churchill) entreprend de sauver le parti de la classe dirigeante et de l’Empire britannique en déclin.

Sunak va tenter de regagner la confiance des capitalistes, avec le pari que le parti conservateur sera capable de sortir le Royaume-Uni de la stagflation - aux dépens des travailleurs et de la population active. Pour l’instant, les marchés lui ont donné leur approbation. Il en est de même pour les dirigeants de l’"extrême centre" de l’Union européenne, assaillis par la montée de l’extrême droite et les tensions de la guerre en Ukraine, qui voient en Sunak un conservateur raisonnable, même s’ils savent évidemment qu’il n’y aura pas de retour en arrière quant au Brexit.

Le nouveau Premier Ministre a déjà annoncé que "des moments et des décisions très difficiles" l’attendent. En interne, il tentera d’hégémoniser les différentes factions du parti Tory et de le mener à minima à une fin de mandat décente, derrière un plan d’ajustement qui restaure la crédibilité de l’establishment.

Légalement, Sunak n’est pas tenu de tenir des élections générales avant deux ans. Cependant, sa légitimité "démocratique" est nulle. La majorité conservatrice au parlement qui l’a adoubé Premier Ministre a été élue en 2019 sur la base du programme "populiste de droite" de Boris Johnson, promettant dépenses publiques et intervention de l’État. Si Liz Truss n’avait été élue que par 140 000 membres et contributeurs du parti conservateur, Sunak n’a été élu que par quelques 200 députés du parti conservateur. Une base très faible pour mettre en œuvre l’austérité dans un climat de mécontentement et de colère croissants, alors que l’inflation ronge les salaires et les prestations sociales.

Le parti travailliste, sous la direction de Keir Starmer (un héritier de Tony Blair), travaille à la stabilité du régime bourgeois et espère gagner les prochaines élections. Pourtant dans ce cadre, plusieurs syndicats - postiers, professeurs d’université - accueilleront Sunak avec des grèves et des mobilisations, en plus de secteurs majeurs comme celui des transports. La meilleure voie à emprunter, en cette période de crise de l’autorité du régime bourgeois.

[Traduction de La Izquierda Diario]


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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